Par un jugement n° 1302497 du 13 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Saint-Malo à verser à l'ONIAM la somme de 80 104,88 euros et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 158 245,19 euros au titre de ses débours et de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 16NT03921 les 9 décembre 2016 et 5 janvier 2017, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me de la Grange, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2016 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser la somme totale de 134 749, 55 euros ainsi que 11 139,25 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Nantes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- M. F...ayant été victime au cours de sa prise en charge de deux infections nosocomiales successives, qui ont conduit à un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25%, les dispositions du code de la santé publique lui ont fait obligation de prendre en charge les préjudices subis pas celui-ci, au titre de la solidarité nationale ;
- il est cependant en droit d'exercer, à l'encontre du centre hospitalier, le recours subrogatoire prévu à l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, dès lors qu'il établit l'existence d'une faute commise par cet établissement ;
- les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Malo dans la prise en charge du patient ont été clairement mises en évidence par l'expertise, qui relève notamment que la seconde infection, qui est à l'origine de l'amputation, a été largement favorisée par le traitement inadapté de la première infection ; il a droit en conséquence au remboursement intégral des sommes qu'il a versées, quand bien même il ne serait pas possible d'établir que ces fautes sont à l'origine de l'ensemble des dommages subis ;
- il justifie avoir versé à M. F...la somme de 132 649,55 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices et est fondé à demander le remboursement de cette dépense ;
- il a également droit au remboursement, pour un montant de 2 100 euros, des frais des expertises réalisées dans le cadre de la procédure devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ;
- le refus du centre hospitalier de Saint-Malo d'indemniser la victime était abusif au vu de l'avis rendu par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, ce qui justifie que l'établissement soit condamné à lui verser 15 % de l'indemnité allouée, à titre de pénalité.
Par des mémoires enregistrés les 12 et 27 mars 2018, le centre hospitalier de Saint-Malo et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par MeD..., concluent au rejet de la requête de l'ONIAM.
Ils soutiennent que les moyens présentés par l'ONIAM ne sont pas fondés.
II. Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 16NT03959 les 13 décembre 2016, 23 janvier 2017 et 27 mars 2018 le centre hospitalier de Saint-Malo et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par MeD..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2016 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par l'ONIAM et par la CPAM d'Ille-et-Vilaine.
Ils soutiennent que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- le fait de procéder dans le même temps opératoire au retrait du spacer et à la pose de la prothèse du genou ne peut être qualifié de faute dès lors qu'il n'y a pas de consensus dans la profession médicale sur la meilleure façon d'agir dans une telle situation ;
- compte tenu de l'important risque infectieux inhérent à la pathologie du patient, qui a été souligné par les experts, le taux de perte de chance qui résulterait de la faute relevée doit être fixé à un niveau inférieur à 50% ;
- les premiers juges ont commis une erreur en accordant à l'ONIAM plus de 50% de la somme qu'il demandait alors qu'ils ont évalué le taux de perte de chance à 50% et que l'action subrogatoire limitait le droit au remboursement de l'ONIAM aux sommes effectivement payées par lui ;
- le tribunal administratif a également commis une erreur dans l'évaluation du salaire annuel de référence de la victime ;
- ils s'opposent à la capitalisation des frais futurs accordée par le tribunal administratif à la CPAM d'Ille-et-Vilaine pour un montant de 100 204,76 euros, frais qui ne sont qu'éventuels ;
- la demande présentée par la CPAM au titre de la pension d'invalidité qu'elle verse à la victime ne peut s'exercer que sur les postes de perte de revenus professionnels et d'incidence professionnelle, en tenant compte du taux de perte de chance et des sommes versées à ce titre à l'intéressé.
Par des mémoires enregistrés les 13 avril 2017, 28 février et 16 mars 2018, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me A...B..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2016 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes ;
3°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Saint-Malo et son assureur à lui verser la somme totale de 268 577,94 euros au titre des débours engagés pour la prise en charge de son assuré M.F... ;
4°) de porter à 1 066 euros la somme de 1 047 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo a été condamné à lui verser au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, le centre hospitalier de Saint-Malo a commis des fautes dans la prise en charge de la première infection contractée par le patient, qui lui ont fait perdre 50% de chance d'éviter les complications dont il a été victime ;
- elle justifie, au titre des frais engagés pour la prise en charge de l'infection nosocomiale, d'une créance d'un montant total de 537 155,89 euros : c'est donc à tort que les premiers juges, après application du taux de perte de chance, ont fixé à 158 245,19 euros la somme qui lui est due ;
- elle peut prétendre à une indemnité de gestion de 1 066 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 20 décembre 2017.
Par des mémoires enregistrés les 12 janvier et 6 avril 2018, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me de la Grange, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 octobre 2016 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser la somme totale de 134 749,55 euros et la somme de 11 139,25 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Nantes et de son assureur une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il ressort du rapport d'expertise et il n'est pas contesté que M. F...a été victime au cours de sa prise en charge de deux infections nosocomiales successives, qui ont conduit à un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25% ;
- les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Malo dans la prise en charge du patient ont été clairement mises en évidence par l'expertise, qui relève notamment que la seconde infection, qui est à l'origine de l'amputation, a été largement favorisée par le traitement inadapté de la première infection ; les requérants ne produisent aucun élément médical de nature à remettre en cause cette appréciation, ni le taux de perte de chance retenu par les experts.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 27 décembre 2017 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
- et les observations de MeC..., substituant MeD..., représentant le centre hospitalier de Saint-Malo et la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. M.F..., né en 1960, a fait le 6 août 2007 une chute sur des rochers qui a provoqué une fracture fermée du tibia et du péroné gauche. Il a été transporté au centre hospitalier de Saint-Malo où une intervention chirurgicale d'ostéosynthèse par fixateur externe a été réalisée le 8 août 2007. Le 23 août suivant, une infection par un staphylocoque doré a été diagnostiquée et traitée par antibiothérapie. Une nouvelle intervention a été pratiquée le 22 janvier 2008 afin de mettre en place un spacer en ciment aux antibiotiques (dispositif temporaire permettant de traiter une zone infectée avant de mettre en place une prothèse définitive). Les prélèvements effectués à cette occasion ont révélé une infection par deux types de staphylocoques, doré et epidermidis. L'ablation du spacer et la pose d'une prothèse définitive du genou furent effectuées le 17 avril 2008. A cette date, le staphylocoque epidermis était toujours présent et l'antibiothérapie a été poursuivie. Le patient fut cependant de nouveau hospitalisé du 18 juillet au 1er août 2008 au centre hospitalier de Saint Malo pour une suspicion de sepsis (syndrome d'infection grave et généralisée). Il fut par la suite admis au centre hospitalier universitaire de Rennes, qui prescrivit une antibiothérapie active. L'évolution fut favorable et le traitement interrompu début 2009. Saisie par M. F... le 10 août 2008, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Bretagne, après une expertise réalisée en 2009 par deux médecins, a émis le 20 janvier 2010 un avis concluant à la prise en charge des dommages par le centre hospitalier de Saint-Malo, tant en raison des fautes commises que du caractère nosocomial des infections contractées qui, à l'époque, étaient à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 10%. L'assureur de l'établissement ayant refusé d'indemniser la victime, l'ONIAM, conformément aux dispositions de l'article
L. 1142-15 du code de la santé publique, a procédé en septembre 2010 à une première indemnisation de M. F... à hauteur de 15 873,71 euros.
2. De nouveaux signes infectieux sont apparus à partir de septembre 2011 et ont conduit, malgré de nombreux traitements, à une amputation de la jambe gauche qui a été pratiquée le 11 mars 2013. Eu égard à cette aggravation de ses dommages, le patient a à nouveau saisi la CRCI de Bretagne qui, après une nouvelle expertise confiée aux mêmes médecins, s'est prononcée le 26 mars 2014 en faveur d'une indemnisation partagée par moitié entre l'ONIAM, à raison de l'infection nosocomiale ayant entraîné un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %, sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du code la santé publique, et le centre hospitalier de Saint-Malo, à raison des fautes commises dans la prise en charge des différents épisodes infectieux. L'ONIAM a conclu de nouveaux protocoles transactionnels avec M. F... afin de l'indemniser de l'intégralité des préjudices subis, l'assureur du centre hospitalier de Saint-Malo ayant refusé de prendre en charge tout ou partie des dommages. Il a ensuite demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à lui rembourser la somme globale de 134 749,55 euros, correspondant au montant total des indemnités versées à M. F... outre les frais des expertises devant la CRCI, et à lui verser une pénalité d'un montant de 15%, soit 11 139,25 euros. Par un jugement du 13 octobre 2016 le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Saint-Malo à verser à l'ONIAM la somme totale de 81 154,88 euros. Il a également condamné le centre hospitalier à verser la somme de 158 245,19 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine en remboursement de ses débours ainsi qu'une somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
3. Par la voie de l'appel principal dans l'instance n°16NT03921 et de l'appel incident dans l'instance n°16NT03959, l'ONIAM demande la réformation du jugement du 13 octobre 2016 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes et renouvelle ses conclusions présentées en première instance. Par la voie de l'appel principal dans l'instance n°16NT03959, le centre hospitalier de Saint-Malo demande l'annulation du jugement du 13 octobre 2016, le rejet des conclusions présentées par l'ONIAM et par la CPAM d'Ille-et-Vilaine et, à titre subsidiaire, la réduction des sommes mises à sa charge. Enfin, dans l'instance n°16NT03959, la CPAM d'Ille-et-Vilaine conclut à la réformation du jugement du 13 octobre 2016 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes, à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser la somme de 268 577,94 euros, et à ce que la somme accordée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion soit portée à 1 066 euros. Les requêtes n°16NT03921 et 16NT03959 sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune, il y a par suite lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la responsabilité :
4. Aux termes du paragraphe I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d' atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article
L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1 l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. (...) Si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un professionnel, établissement, service, organisme ou producteur de produits de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-14 est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre celui-ci. Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.".
5. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, et il n'est du reste pas contesté que les deux infections contractées successivement par M. F... à la suite de la première intervention chirurgicale le 8 août 2007 par un staphylocoque doré, puis à la suite de la mise en place du spacer le 22 janvier 2008 par un staphylocoque épidermidis, ont un caractère nosocomial. Il n'est pas davantage contesté que les troubles infectieux apparus à compter de septembre 2011 sont une suite directe des deux premières infections, qui n'avaient pas été complètement maîtrisées. Les experts ont estimé, en outre, que le centre hospitalier de Saint-Malo avaient commis des fautes dans la prise en charge de ces deux infections, à l'origine d'une perte de chance qu'ils évaluent à 50% d'échapper à l'aggravation des dommages.
6. Si le centre hospitalier de Saint-Malo fait valoir que la décision qui a été prise dans le traitement de M. F...de procéder dans le même temps opératoire, le 17 avril 2008, au retrait du spacer et à la pose de la prothèse au lieu de pratiquer deux interventions successives ne peut être considérée comme fautive car il n'y a pas de consensus au sein de la profession sur la meilleure stratégie à adopter, les experts ont cependant relevé que la prise en charge au plan infectieux du patient entre la mise en place du spacer le 22 janvier 2008 et la mise en place de la prothèse le 17 avril 2008 avait été insuffisante. Ils ont ainsi précisé qu'après l'interruption de l'antibiothérapie le 1er avril 2008 l'équipe médicale aurait dû s'assurer, grâce à des prélèvements profonds, de la stérilité du site avant de procéder à une opération qui, du fait de son caractère double, présentait un risque infectieux plus élevé. La faute commise par l'établissement est donc constituée par l'absence de précautions suffisantes en rapport avec le type d'intervention qu'il avait choisi de pratiquer, et elle est de nature à justifier l'exercice par l'ONIAM de l'action subrogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique.
7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la faute commise par le centre hospitalier, qui est intervenue après que M. F...eut été atteint par un staphylocoque doré puis par un staphylocoque épidermidis, n'est pas à l'origine de ces infections mais a seulement fait perdre au patient une chance d'échapper à l'aggravation des dommages en résultant. Dès lors que le dommage dont il est demandé réparation n'est pas entièrement la conséquence directe de cette faute, l'ONIAM ne saurait prétendre à être déchargé de toute obligation au titre du droit à réparation par la solidarité nationale prévue à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique. En prenant en compte le risque infectieux important inhérent aux circonstances de l'accident dont avait été victime le patient, les experts ont estimé à 50% le taux de la perte de chance définie ci-dessus. L'ONIAM, pas plus que le centre hospitalier de Saint-Malo, ne présentent d'éléments, notamment médicaux, de nature à remettre en cause cette appréciation.
8. Par suite, ni l'ONIAM ni le centre hospitalier de Saint-Malo ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par un jugement qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a mis à la charge de l'établissement hospitalier 50% des préjudices subis par M. F....
Sur les préjudices :
9. Il appartient au juge administratif d'évaluer les préjudices subis par la victime afin de fixer le montant des indemnités dues à l'ONIAM et, le cas échéant, à la caisse primaire d'assurance maladie, sans être lié par les sommes versées par ces derniers à l'intéressé pour chaque poste de préjudice, à condition de rester dans la limite du montant total des dépenses engagées.
En ce qui concerne les droits de l'ONIAM
10. Il y a lieu, tout d'abord, de confirmer l'évaluation faite par les premiers juges des frais d'adaptation du logement, des frais d'adaptation du véhicule, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique et du déficit fonctionnel permanent, fixés respectivement aux sommes de 4 074,02 euros, 2 413,02 euros, 12 000 euros, 12 000 euros, 10 000 euros et 70 000 euros, cette évaluation étant admise par l'ONIAM et n'étant pas sérieusement contestée par le centre hospitalier de Saint-Malo, soit une somme totale de 110 487,04 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50% retenu au point 7, la somme due par le centre hospitalier de Saint-Malo à ce titre est de 55 243,52 euros.
Les frais de santé futurs :
11. L'ONIAM justifie avoir versé à M. F...une somme de 6 173,66 euros pour l'achat d'un fauteuil roulant, sur la base d'un devis fourni par l'intéressé. Cependant, ce dernier a déclaré aux experts qu'il ne s'était jamais servi d'un fauteuil roulant et qu'il ne souhaitait pas le faire. Dans ces conditions et alors qu'aucune pièce ne permet d'établir que le patient aurait par la suite changé d'avis et fait l'acquisition de ce matériel, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande présentée par l'ONIAM sur ce poste de préjudice.
Le préjudice d'agrément :
12. Il ne résulte pas de l'instruction que M. F...aurait été contraint de cesser de pratiquer des activités sportives ou de loisir qu'il exerçait avec une intensité particulière avant son accident, et qu'il justifierait de ce fait d'un préjudice distinct de ceux indemnisés par les sommes accordés au titre de ses déficits fonctionnels temporaire et permanent. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la demande présentée par l'ONIAM au titre de ce préjudice.
Le besoin d'assistance par une tierce personne :
13. En premier lieu, les experts ont évalué le besoin d'assistance par une tierce personne de M. F...avant la consolidation de son état, fixée au 17 décembre 2013, à 1 heure par jour du 9 février au 9 mars 2013, puis à 3 heures par semaine du 10 mars au 16 décembre 2013 soit 43 semaines et un total de 145 heures. En tenant compte de la valeur du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales en 2013, soit 13,20 euros, et après déduction de la prestation de compensation du handicap perçue par l'intéressé à hauteur de 3,76 euros par jour à compter du 1er novembre 2013, ce poste de préjudice peut être évalué, avant consolidation, à la somme de 1 741 euros.
14. En second lieu, les experts ont estimé le besoin d'assistance par une tierce personne après consolidation et à titre permanent à 3 heures par semaine. En tenant compte d'une valeur moyenne du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales entre 2013 et 2018 de 13,50 euros, et après déduction des sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap, ce poste de préjudice évalué depuis le 17 décembre 2013 jusqu'à la date de lecture du présent arrêt, soit 4 années, 10 mois et 23 jours, justifie le versement d'une somme de 3 545,74 euros. Le patient étant âgé de 58 ans à cette date, le coefficient de capitalisation à prendre en compte en application du barème publié à la gazette du palais en 2016 est de 19,947, et les frais futurs d'assistance par une tierce personne peuvent être arrêtés à un capital de 14 633,12 euros.
15. Il y a lieu, par suite, de porter à la somme totale de 19 919,86 euros le montant de ce poste de préjudice, qui avait été évalué par les premiers juges à 8 991,24 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50% retenu au point 7, la somme due par le centre hospitalier de Saint-Malo à l'ONIAM à ce titre est de 9 959,93 euros.
La perte de revenus et l'incidence professionnelle :
16. En application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, le cas échéant, de la part de responsabilité mise à sa charge. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.
17. M. F...exerçait avant son accident la profession de cariste et technicien d'atelier, il n'a pas pu reprendre son emploi et s'est vu attribuer dès le 1er juillet 2009, soit avant son amputation, une pension d'invalidité. Les experts ont estimé que 50% seulement de la perte de revenus et de l'incidence professionnelle qu'il a subies étaient imputables aux séquelles des infections nosocomiales contractées au cours de sa prise en charge, parce que les fractures articulaires dont il avait été victime du fait de son accident évoluent très fréquemment vers une arthrose grave du genou, nécessitant la mise en place d'une prothèse.
18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'intéressé percevait avant son accident un revenu annuel de 16 529,32 euros (ou 45,29 euros/jours), qu'il a bénéficié d'indemnités journalières du 17 décembre 2013 au 30 juillet 2014 à hauteur de 2 972,25 euros, ainsi que, dès le 1er juillet 2009, d'une pension d'invalidité d'un montant annuel de 14 353,12 euros (ou 39,32 euros/jours). Sa perte de revenus jusqu'à la date de lecture du présent arrêt, soit sur une période de 4 ans, 10 mois et 23 jours (ou 1 788 jours) peut donc être évaluée à un total de 7 702,11 euros (80 978,52 - 2 972,25 - 70 304,16). En outre, sa perte de revenus annuelle étant, compte tenu du versement de la pension d'invalidité, de 2 176,20 euros, et le taux de rente applicable à un homme de 58 ans jusqu'à 62 ans, âge d'ouverture des droits à la retraite, étant de 3,804, la perte de revenus futurs peut être évaluée à 8 278,26 euros. Soit une somme totale au titre de la perte de revenus de 15 980,37 euros, dont la moitié seulement, soit 7 990,19 euros, est imputable aux conséquences des infections nosocomiales contractées au cours des hospitalisations.
19. En deuxième lieu, M.F..., s'il n'était pas, selon les experts, dans l'incapacité totale de travailler à la suite de son amputation, n'a, compte tenu de son âge, de son handicap, et de son niveau de qualification, quasiment aucune perspective de reconversion professionnelle. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle subie par l'intéressé en lien avec les infections nosocomiales dont il a été victime en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.
20. En troisième lieu, le centre hospitalier de Saint-Malo, du fait de la limitation de son obligation de réparation fixée à 50%, ne saurait être condamné à verser à l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime, et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine une somme totale supérieure à la moitié des postes de préjudice " perte de revenus et incidence professionnelle " tels qu'évalués par le juge administratif, indépendamment des prestations effectivement versées par la caisse, notamment au titre de la prestation d'invalidité. En l'espèce, en tenant compte d'un revenu annuel de 16 529,32 euros, et abstraction faite des prestations qu'il a perçues, la perte de revenus de M. F...depuis le 20 mars 2009 (date de son premier arrêt de travail après l'aggravation de l'infection) jusqu'au 10 août 2022 (date d'ouverture de ses droits à la retraite) peut être fixée à la somme de 212 388,61 euros. Seule la moitié de cette somme doit être regardée comme imputable aux conséquences des infections nosocomiales, l'autre moitié étant imputable aux conséquences de l'accident dont a été victime M.F..., soit une somme de 106 194,31 euros, à laquelle il y a lieu d'ajouter 5 000 euros au titre de l'incidence professionnelle. Par ailleurs le centre hospitalier de Saint-Malo, dont la faute est seulement à l'origine d'une perte de chance de 50% d'éviter ce préjudice, ne peut être condamné à verser, au titre des postes " perte de revenu et incidence professionnelle ", une somme supérieure à la moitié de 106 194,31 euros, soit 55 597,15 euros. En vertu du droit de priorité de la victime institué par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'ONIAM peut prétendre à l'indemnisation intégrale du préjudice subi par M. F..., soit 12 990,19 euros (7 990,19 + 5 000), la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine ne pouvant quant à elle prétendre, au titre des indemnités journalières et de la pension d'invalidité qu'elle a versées, qu'au reliquat, soit 42 606,96 euros.
21. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu du taux de perte de chance de 50% retenu au point 7 et du droit de priorité de la victime rappelé au point 20, la somme de 80 104,88 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo a été condamné à verser à l'ONIAM par le tribunal administratif de Rennes doit être ramenée à 78 193,64 euros (55 243,52 + 9 959,93 + 12 990,19).
22. Par ailleurs, le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Saint-Malo à indemniser l'ONIAM de la moitié des frais de l'expertise réalisée dans le cadre de la procédure devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Bretagne, soit 1 050 euros. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cet établissement la totalité de ces frais comme le demande l'ONIAM.
En ce qui concerne les droits de la CPAM d'Ille-et-Vilaine
23. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 20 que la CPAM d'Ille-et-Vilaine, si elle justifie avoir versé à M. F...une somme de 9 470,30 euros au titre des indemnités journalières ainsi qu'une somme de 76 122,79 euros au titre des arrérages arrêtés au 30 mai 2015 de la pension d'invalidité qui lui a été concédée le 1er juillet 2009, soit une somme totale de 85 593,09 euros, ne peut prétendre au versement d'une somme supérieure à 42 606,96 euros par le centre hospitalier de Saint Malo. Dans ces conditions, la demande présentée par ailleurs par la caisse au titre de la capitalisation de cette pension d'invalidité, à hauteur de 86 438,59 euros, ne peut, en tout état de cause, qu'être rejetée.
24. En deuxième lieu, la CPAM d'Ille-et-Vilaine produit un décompte détaillé des débours engagés pour la prise en charge des infections nosocomiales de M. F...ainsi qu'une attestation d'imputabilité. Il y a lieu de retenir, après exclusion de la période d'hospitalisation du 18 janvier au 6 février 2008, antérieure à la faute du centre hospitalier, et des indemnités journalières qui sont traitées au point 22, la somme totale de 129 877,83 euros au titre des frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport engagés jusqu'à la consolidation de l'état de l'intéressé. En outre, pour la période post-consolidation, les experts ont indiqué que devraient être pris en charge un traitement neuropsychiatrique pendant un an, un traitement antalgique ainsi que l'entretien, la réadaptation éventuelle et le renouvellement de la prothèse tous les 5 ans environ. La CPAM justifie sur la période du 17 décembre 2013 au 31 décembre 2014 de frais pharmaceutiques et de frais d'appareillage d'un montant total de 25 669,06 euros, soit un montant total de frais effectivement engagés pour la prise en charge des infections nosocomiales du patient de 155 546,89 euros, qui sera ramené à 77 773, 45 euros après application du taux de perte de chance.
25. En troisième lieu, eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge de l'auteur responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec l'accord de ce dernier. Or le centre hospitalier de Saint-Malo fait valoir à juste titre qu'il n'a pas donné son consentement à une telle modalité de versement. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine un capital au titre des dépenses de santé futures. La caisse ayant refusé, malgré la demande formulée par le magistrat chargé de l'instruction du dossier, de justifier des frais engagés pour M. F... pour la période du 1er janvier 2015 à ce jour, le centre hospitalier de Saint-Malo doit seulement être condamné à lui rembourser au titre des frais futurs, à échéance annuelle et sur justificatifs, 50% des frais d'antalgiques et d'appareillage engagés postérieurement à la lecture du présent arrêt.
26. Enfin il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter à 1 066 euros la somme de 1 047 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo été condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en première instance.
27. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 158 245,19 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo a été condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine par le tribunal administratif de Rennes doit être ramenée à 120 380,41 euros (42 606,96 + 77 773,45). Le centre hospitalier doit en outre être condamné à rembourser à la caisse, à échéance annuelle et sur justificatifs, 50% des frais d'antalgiques et d'appareillage engagés pour la prise en charge de M. F... postérieurement à la lecture du présent arrêt.
Sur la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :
28. L'ONIAM demande que le centre hospitalier de Saint-Malo soit condamné à lui verser une pénalité équivalent à 15% de la somme qui lui est due sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, qui régissent les cas où il doit se substituer à l'établissement hospitalier lorsque celui-ci ne satisfait pas à son obligation d'indemniser la victime. Cependant, dans le cas d'espèce, où les dommages à réparer résultent d'une infection nosocomiale ayant entrainé un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25%, l'ONIAM tenait son obligation d'indemniser la victime des dispositions de l'article L. 1142-1-1, qui renvoient aux dispositions de l'article L. 1142-17 du même code. Ces dernières dispositions ne prévoient pas de l'application d'une pénalité à l'encontre de l'établissement hospitalier. Dès lors, les conclusions de l'office tendant au versement d'une somme à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, le versement à l'ONIAM et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine des sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 80 104,88 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo été condamné à verser à l'ONIAM par le tribunal administratif de Rennes est ramenée à 78 193,64 euros.
Article 2 : La somme de 158 245,19 euros que le centre hospitalier de Saint-Malo été condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine par le tribunal administratif de Rennes est ramenée à 120 380,41 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier de Saint-Malo est condamné à rembourser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine, à échéance annuelle et sur justificatifs, 50% des frais d'antalgiques et d'appareillage que la caisse engagera pour M. F...postérieurement à la lecture du présent arrêt.
Article 4 : Le jugement n° 1302497 du 13 octobre 2016 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La requête n°16NT03921 présentée par l'ONIAM, les conclusions présentées par la CPAM d'Ille-et-Vilaine et le surplus des conclusions présentées par le centre hospitalier de Saint-Malo dans sa requête n°16NT03959 sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, au centre hospitalier de Saint-Malo et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2018.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°16NT03921-16NT03959