Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 août 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 19 juillet 2018 ;
2°) de rejeter les demandes de M. B... et de MmeB....
Il soutient que :
- le juge de première instance, qui n'a pas détaillé ses moyens de défense, n'a que partiellement pris en compte son argumentation écrite et les pièces qu'il avait produites et renversé la charge de la preuve ;
- en l'absence de demande formalisée et complète de demande de titre de séjour, le moyen tiré d'un défaut d'examen de situation n'était pas fondé ;
- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2019, M. et MmeB..., représentés par MeH..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à leur conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Ils font valoir que les moyens invoqués par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.Coiffet,
- les observations de MeF..., substituant MeH..., représentant M. et MmeB....
Considérant ce qui suit :
1. Par deux arrêtés du 11 juillet 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine a obligé respectivement M. B... et MmeB..., ressortissants albanais, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et leur a interdit un retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 19 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé ces arrêtés.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. D'une part, aux termes de l'article 41 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsque la demande d'aide juridictionnelle est formée après que la partie concernée ou son mandataire a eu connaissance de la date d'audience et moins d'un mois avant celle-ci, il est statué sur cette demande selon la procédure d'admission provisoire. ". D'autre part, aux termes de l'article 8 de cette loi : " Toute personne admise à l'aide juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d'exercice d'une voie de recours. ".
3. M. B...et MmeB..., qui ont bénéficié de l'aide juridictionnelle en première instance, ont formé des demandes d'aide juridictionnelle le 28 février 2019 postérieurement à la tenue de l'audience. Il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, leur admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, postérieurement au rejet de son recours présenté devant la Cour nationale du droit d'asile, le conseil de M. B... a sollicité un rendez-vous auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine en vue de retirer " un dossier médical ", par courriel du 10 juillet 2018 auquel ces services ont répondu, par la même voie, en indiquant que cette demande de rendez-vous serait traitée dès lors que tous les éléments demandés auront été transmis. Toutefois ces circonstances ne permettent pas d'établir que le préfet d'Ille-et-Vilaine était saisi, à la date de l'arrêté contesté, d'une demande de titre de séjour enregistrée auprès de ses services par M. B... et qu'il aurait été tenu d'instruire. Dès lors, la circonstance que l'arrêté du 11 juillet 2018 contesté pris à son encontre ne mentionne pas la demande de rendez-vous de l'intéressé ne permet pas d'établir, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, que le préfet ne se serait pas préalablement livré à un examen complet de la situation de l'intéressé.
5. En second lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date des arrêtés contestés, les deux premiers enfants de M. et MmeB..., nés en 2009 et 2014 et récemment scolarisés en France, étaient inscrits respectivement en cours élémentaire deuxième année et en petite section de maternelle. Les intéressés n'établissent pas que cette scolarité doive nécessairement se poursuivre en France. Ils n'établissent pas davantage, en se prévalant de considérations d'ordre général relatives à des difficultés d'accès à l'éducation que connaîtrait la communauté rom en Albanie, que leurs enfants ne pourraient y suivre une scolarité. Dans ces conditions, les arrêtés du 11 juillet 2018 pris à l'encontre M. et Mme B...ne sont pas intervenus en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 11 juillet 2018 pris à l'encontre de M. B...ainsi que son arrêté du même jour pris à l'encontre de Mme B...aux motifs que l'arrêté concernant M. B...avait été pris sans examen complet de sa situation et en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et que l'arrêté concernant Mme B...portait, en raison de l'annulation de l'arrêté pris à l'encontre de son époux, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale.
8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés devant la juridiction administrative par M. B... et par Mme B...contre ces arrêtés.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
9. Par un arrêté du 13 avril 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture d'Ille-et-Vilaine n° 556 du même jour, le préfet d'Ille-et-Vilaine a donné délégation à Mme A...C..., adjointe au directeur des étrangers, aux fins de signer notamment, en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier, les décisions d'éloignement. Il n'est ni établi ni allégué que M. D... E..., directeur des étrangers, n'était pas absent ou empêché le 11 juillet 2018. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté pris à l'encontre de Mme B...doit être écarté.
10. M. et MmeB..., entrés irrégulièrement en France en mai 2016, soutiennent que leurs deux premiers enfants y sont scolarisés, qu'un troisième y est né en 2018 que le frère de M. B... y réside également avec son épouse. Toutefois, les intéressés n'établissent ni être dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine, où ils peuvent reconstituer leur cellule familiale ni être dans l'impossibilité, ainsi qu'il a été dit au point 4, d'y scolariser leurs enfants. Si M. et Mme B...soutiennent également qu'ils justifient d'une réelle volonté d'intégration, attestée par la promesse d'embauche en contrat d'une durée de quatre mois dont bénéficie M. B... et les soutiens qui les entourent, ils ne justifient pas d'une autonomie matérielle dans leurs conditions d'existence, d'une maîtrise de la langue française et leur présence en France est récente. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des conditions d'entrée et de séjour en France de M. et MmeB..., les décisions contestées les obligeant à quitter le territoire français n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Ces décisions ne sont pas davantage entachées d'erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
11. Les décisions fixant le pays de renvoi comportent la mention des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement Ces décisions sont par suite suffisamment motivées. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé, préalablement à l'édiction de ces décisions, à un examen particulier de la situation de M. et Mme B...au regard des éléments portés à sa connaissance.
12. M. et Mme B...soutiennent que leur appartenance à la communauté rom les expose à des pressions et des menaces en Albanie, ainsi qu'en atteste une agression subie par M. B... et qu'ils ne peuvent bénéficier d'une protection des autorités. Toutefois, les intéressés, qui se bornent à faire état de considérations générales sur la situation de la communauté rom en Albanie et dont les demandes d'asile ont été rejetées par des décisions du 14 novembre 2016 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmées par des ordonnances du 18 décembre 2017 du président désigné de la cour nationale du droit d'asile, n'établissent pas qu'il seraient exposés à des risques personnels et actuels en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, en fixant l'Albanie comme pays à destination duquel ils étaient susceptibles d'être reconduits, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne les décisions portant refus de délai de départ volontaire et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué contre ces décisions :
13. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ". Aux termes de l'article L. 743-1 du même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ".
14. Pour refuser d'accorder à M. et Mme B...un délai de départ volontaire, le préfet d'Ille-et-Vilaine s'est fondé sur la circonstance que les intéressés s'étaient soustraits à l'exécution de précédentes mesures d'éloignement prises à leur encontre le 14 novembre 2017. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la cour nationale du droit d'asile a enregistré, le 18 décembre 2017 et après que les intéressés eurent présenté des demandes d'aide juridictionnelle à cette fin, leurs recours dirigés contre les décisions du 14 novembre 2016 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant leurs demandes d'asile. Le préfet n'établit pas, alors que la cour nationale du droit d'asile n'a pas opposé de forclusion à ces recours, que M. et Mme B...avaient ainsi, à la date à laquelle il a pris les mesures d'éloignement du 14 novembre 2017, perdu le droit de se maintenir sur le territoire français et été définitivement déboutés de leurs demandes d'asile qu'ils tenaient des dispositions de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet d'Ille-et-Vilaine ne pouvait, ainsi que l'a justement apprécié le premier juge, légalement se fonder sur les dispositions du 3° a) du II de l'article L. 511-1 de ce code pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. et MmeB....
En ce qui concerne les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
15. Les conclusions de M. et Mme B...tendant à l'annulation des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ne sont assorties d'aucun moyen et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est pas entaché d'irrégularité, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 11 juillet 2018 en tant qu'ils portent obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et lui a enjoint de délivrer à M. B... et Mme B...une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, de procéder à un nouvel examen de leur situation dans le délai de trois mois à compter de cette même notification. Le préfet d'Ille-et-Vilaine n'est toutefois pas fondé à se plaindre de ce que ses arrêtés ont été annulés par ce même jugement en tant qu'ils refusent d'accorder un délai de départ volontaire aux intéressés. Cette annulation n'implique aucune mesure d'exécution.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B... et Mme B...sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E
Article 1er : M. B... et de Mme B...sont admis, à titre provisoire, à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'article 2 du jugement n°s 1803315, 1803316 du 19 juillet 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes, en tant qu'il annule les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an contenues dans les arrêtés du 11 juillet 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine pris à l'encontre de M. B... et de MmeB..., ainsi que l'article 3 de ce jugement sont annulés.
Article 3 : Les demandes présentées par M. B... et par Mme B...devant le tribunal administratif de Rennes tendant à l'annulation des décisions citées à l'article précédent et au prononcé d'injonctions, ainsi que leurs conclusions présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. I... B...et à Mme J...B....
Copie en sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 28 février 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président-rapporteur,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 15 mars 2019.
Le président-rapporteur,
O. Coiffet
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
E. Berthon
Le greffier,
M. G...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT031752