Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 30 octobre 2018 sous le n°18NT03901 et un mémoire complémentaire enregistré le 7 janvier 2019, M.A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 octobre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 12 septembre 2018 par lesquels le préfet de la Sarthe a décidé son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet, à titre principal d'enregistrer sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile dans un délai de trois jours à compter de la décision à intervenir et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de rendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, le tout sous astreinte de cinquante euros par jour de retard passé les délais indiqués ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- il n'est pas justifié par le préfet que l'entretien a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national conformément à l'article 5 du règlement (UE) n°603/2013 du 26 juin 2013 ; aucune question sur ses craintes en cas de renvoi en Guinée n'a été posée à ce dernier lors de son entretien ;
- l'arrêté contesté est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation ; le préfet n'a pas examiné la possibilité de conserver sa demande d'asile à titre dérogatoire au regard des risques encourus en cas de renvoi dans son pays d'origine et de ses problèmes de santé dont la prise en charge n'est pas assurée en Italie ; en cas de renvoi en Italie ses droits en tant que demandeur d'asile ne seront pas respectés et il sera soumis à des traitements inhumains et dégradants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2018, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
II. Par une requête n° 18NT03902, enregistrée le 30 octobre 2018, M. A...représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 12 octobre 2018 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens qu'il présente dans le cadre de sa requête enregistrée sous le n°18NT03901 sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et des décisions de transfert et d'assignation à résidence contestées.
- en l'absence d'effet suspensif de l'appel formé, la décision de transfert aux autorités italiennes peut être exécutée à tout moment ; l'exécution de cette décision emporterait des conséquences difficilement réparables, son état de santé s'opposant à son transfert aux autorités italiennes compte tenu de la situation actuelle de l'Italie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2018, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2018 dans le cadre de l'instance enregistrée sous le n°18NT03901 et sa demande dans le cadre de l'instance enregistrée sous le n°18NT03902 a fait l'objet d'un rejet.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement d'exécution (UE) n°118/2014 du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter,
- et les observations de MeB..., représentant M.A....
M. A...a produit deux notes en délibéré enregistrées les 6 et 11 mars 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen né le 23 juin 1996, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 20 avril 2018. Il a sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de la préfecture la Sarthe le 7 mai 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie et qu'il y avait également déposé une demande d'asile. Par deux arrêtés du 12 septembre 2018, le préfet de la Sarthe a ordonné sa remise aux autorités italiennes, qui avaient accepté implicitement sa reprise en charge le 22 mai 2018 et l'a assigné à résidence. M. A...relève appel du jugement du 12 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions et en demande également le sursis à exécution
2. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. Il ressort des pièces du dossier que M.A..., qui déclare être entré irrégulièrement en France le 7 mai 2018 après être passé par la Lybie, où il a été emprisonné et victime de mauvais traitements, puis par l'Italie où il est resté durant six mois sans bénéficier de soins, a fait état lors de l'entretien par les services de la préfecture, de ses problèmes médicaux. Par ailleurs, le requérant établit par les différents certificats médicaux, particulièrement motivés, qu'il verse au dossier, faire l'objet d'une prise en charge médicale depuis le mois de mai 2018 par l'équipe mobile psychiatrie-précarité du Mans pour un " syndrome dépressif caractérisé nécessitant une prise en charge spécialisée régulière et soutenue pour une durée supérieure à un an ". Le traitement médicamenteux mis en place, en plus de consultations régulières en psychiatrie, consistant notamment en la prise quotidienne de Sertraline, puissant antidépresseur, ne peut être interrompu sans risque majeur. Or, les documents produits, notamment les rapports établis par Amnesty International et Médecins sans Frontière, font état de ce que, au moment de l'arrêté contesté, l'Italie, qui est confrontée à un afflux massif de réfugiés, ne peut assurer correctement aux personnes vulnérables la prise en charge, les soins ou le suivi médical que requiert leur état spécifique. D'ailleurs, en l'absence de toute réponse expresse aux demandes de reprise en charge formulées par l'administration française, il n'existe aucune garantie que les autorités italiennes prennent effectivement en compte l'état de santé du requérant et le suivi médical qu'il requiert, alors que l'intéressé indique avoir vainement demandé à bénéficier de soins et à être hospitalisé durant les six mois qu'il a passés en Italie. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la particulière vulnérabilité de M. A...et aux risques personnels en résultant pour sa santé, ainsi qu'à son jeune âge, le préfet de la Sarthe a entaché la décision de transfert en Italie prise le 12 septembre 2018 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 septembre 2018 par lequel le préfet de la Sarthe a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2018 par lequel le préfet de la Sarthe a décidé de l'assigner à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 12 septembre 2018 par lequel le préfet de la Sarthe a décidé la remise de M. A...aux autorités italiennes, implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à ce dernier une attestation de demande d'asile lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
8. La cour statuant au fond, les conclusions de la requête 18NT03902 par lesquelles M. A...a sollicité qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué, sont dénuées d'objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 octobre 2018 et les arrêtés du préfet de la Sarthe du 12 septembre 2018 portant transfert de M. A...en Italie et assignation à résidence sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Sarthe de délivrer à M. A...une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n°18NT03902 de M.A....
Article 4 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Ibrahima Sory A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 26 février 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2019.
La présidente, rapporteure,
N. Tiger-WinterhalterL'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,
M.P. Allio-RousseauLa greffière,
M. B...Le président,
L. LAINÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 18NT03901, 18NT03902 2
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