Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 février 2021, la préfète de l'Orne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 24 février 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
c'est par une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation que le tribunal administratif a retenu que l'arrêté contesté était illégal pour avoir méconnu le droit d'être entendu garanti par le droit de l'Union européenne faute d'avoir apprécié si cette méconnaissance avait effectivement privé l'intéressé de la possibilité de mieux pouvoir se défendre alors que, de plus, M. C... a bien été en mesure de présenter préalablement ses observations ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'audition du 4 janvier 2021 ;
à supposer même que M. C... ait été privé de son droit d'être entendu, cette circonstance a été sans incidence sur le sens de la décision prise à son encontre ;
aucun des autres moyens présentés par M. C... devant le tribunal n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2021, M. B... C..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
c'est à bon droit que le tribunal administratif a annulé l'arrêté de la préfète de l'Orne pour méconnaissance du droit d'être entendu dès lors que si l'administration avait sollicité préalablement ses observations, il aurait pu produire tous les justificatifs nécessaires concernant sa prise en charge par l' aide sociale à l'enfance (ASE) ainsi que sur les démarches engagées pour bénéficier d'un contrat jeune majeur et que le procès-verbal d'audition du 4 janvier 2021 ne lui a pas permis de faire valoir ses observations sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement ;
l'arrêté en litige porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de son insertion dans la société française alors qu'il n'a plus aucune attache familiale au Mali.
M. B... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
1. La préfète de l'Orne relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 5 janvier 2021 faisant obligation à M. B... C..., ressortissant malien né le 5 septembre 2000, de quitter sans délai le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991: " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :
4. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ".
5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse uniquement aux institutions et organes de l'Union. Le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est donc inopérant. Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il n'implique toutefois pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, l'étranger soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.
6. Il ressort du procès-verbal de l'audition menée le 4 janvier 2021 par les services du commissariat de police d'Alençon dans le cadre de l'interpellation de M. C... que celui-ci a été interrogé sur le motif de son départ de son pays ainsi que sur les conditions de son séjour en France, notamment sur les démarches qu'il aurait entreprises pour solliciter un titre de séjour afin de régulariser sa situation administrative. Il a été ainsi en mesure de préciser les étapes de son parcours en France et ses moyens de subsistance, notamment le fait qu'il est arrivé en France alors qu'il était mineur et qu'il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) pendant trois ans. Il a également été interrogé sur l'éventualité qu'une mesure de reconduite à la frontière puisse être prise à son encontre, l'intimé se bornant à répondre qu'il serait alors déçu. Enfin, il a été amené à indiquer sa nationalité et ses attaches familiales dans son pays d'origine. Au demeurant, l'intéressé ne fait état d'aucun élément pertinent, susceptible d'influer sur le contenu de la décision en litige qu'il n'aurait eu la possibilité de présenter. Il suit de là que la préfète de l'Orne est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 5 janvier 2021 comme étant entaché d'un vice de procédure pour ne pas avoir respecté le droit d'être entendu.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen et devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par M. C... :
8. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la convention franco-malienne sur la circulation et le séjour des personnes. Elle relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. C... le 15 septembre 2017 et précise les conditions de son séjour en France, notamment sa prise en charge par les services de l'ASE qui a pris fin le 11 septembre 2020. Il rappelle qu'il n'a effectué aucune démarche administrative en vue de régulariser sa situation administrative au regard de son droit au séjour en France et qu'il est sans profession et domicile fixe. La préfète s'est également fondée sur les circonstances que l'intéressé n'établissait pas, d'une part, l'intensité de ses liens en France, M. C... se déclarant célibataire et sans enfant et, d'autre part, être isolé dans son pays d'origine ou susceptible d'y être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux serait illégal pour être insuffisamment motivé.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
10. M. C... fait valoir qu'il est arrivé en France en septembre 2017 alors qu'il était mineur et qu'il a été pris en charge par les services de l'ASE. Il indique avoir suivi une scolarité en CAP agent polyvalent de restauration à partir de septembre 2018 et avoir obtenu son diplôme au terme de l'année scolaire 2019/2020. Il soutient qu'il n'a pas pu poursuivre sa scolarité en intégrant un organisme de formation pour n'avoir reçu aucune aide dans son suivi pédagogique, ni avoir été assisté par les services du département alors qu'un contrat jeune majeur avait été signé. Il fait enfin grief aux services du département de ne pas l'avoir également accompagné dans ses démarches auprès des services de la préfecture de l'Orne afin d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige,
M. C..., qui était majeur, était en situation irrégulière. A cet effet, il ne saurait utilement reporter ses propres carences à ne pas avoir solliciter la régularisation de sa situation administrative sur les services de l'ASE alors que le contrat d'aide jeune majeur qu'il avait conclu avec cet organisme était expiré depuis le 11 septembre 2020, soit près de trois mois à la date de l'arrêté en litige, ce contrat prévoyant au surplus, en son article 1er, que l'intéressé s'engageait à effectuer les démarches nécessaires pour obtenir un titre de séjour. Par ailleurs, il n'est pas contesté que M. C... est célibataire et sans enfant. Il n'établit pas avoir d'attaches familiales en France. Lors de son audition devant les services de police, il a, en outre, déclaré être sans ressource, ne disposant que de la somme de cinq euros et avoir suivi sa scolarité au Mali où vivent ses parents ainsi que ses frères et sœurs. Dans ces conditions, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. En l'obligeant à quitter la France et en fixant le Mali comme pays de destination, la préfète de l'Orne n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de l'Orne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 5 janvier 2021.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de M. C... A... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E:
Article 1er : Le jugement rendu le 24 février 2021 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Caen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise à la préfète de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2021.
Le rapporteur
M. L'hirondel
Le président
D. Salvi
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00534