Par un jugement nos 1702012-1702013 du 25 octobre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2020, Mmes D... E... et A... F..., représentées par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen en date du 25 octobre 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 465 708 euros et 321 940 euros en réparation des préjudices subis du fait du traitement réservé à leur famille depuis 1962 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il écarte tout lien de causalité entre une action de l'Etat et leur faible niveau de qualification professionnelle ;
- leur père, harki, n'a pas été pris en charge par les autorités françaises immédiatement après l'indépendance de l'Algérie et a fait l'objet de représailles des nouvelles autorités algériennes ;
- après avoir quitté l'Algérie en 1968, leur famille n'a pas été accueillie dans des conditions dignes par les autorités françaises, qui l'ont logée dans un camp insalubre de mars 1968 à mars 1969 ; ces conditions d'accueil dégradées sont la cause de préjudices matériels et moraux ;
- elles ont subi des brimades à l'école et n'ont pu acquérir, de ce fait, que de faibles qualifications professionnelles ;
- leurs préjudices ne peuvent être intégralement réparés par les dispositifs d'indemnisation spécifiques mis en place en faveur des harkis.
Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B... épouse E... et Mme A... B... épouse F..., nées respectivement en 1959 et 1971, dont le père a été supplétif de l'armée française en Algérie, ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à leur verser une indemnité en réparation de préjudices subis par leur famille depuis 1962. Par un jugement du 25 octobre 2019, dont elles relèvent appel, leurs demandes ont été rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. A l'appui de leur appel, les requérantes soutiennent que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, notamment dès lors qu'il écarte tout lien de causalité entre une action de l'Etat et le niveau de qualification professionnelle qu'elles ont pu atteindre à l'issue de leur parcours scolaire. Toutefois, il résulte des énonciations de ce jugement, notamment de son point 7, qu'il expose, en des termes au surplus clairs et précis, et en particulier sur ce point, les considérations de droit et de fait sur lesquelles il repose. Le moyen tiré de la méconnaissance des exigences de motivation prévues par l'article L. 9 du code de justice administrative ne peut dès lors qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les préjudices résultant de l'absence de protection des familles de supplétifs de l'armée française contre les interventions des autorités algériennes :
3. Les requérantes soutiennent que les autorités françaises n'ont pas fait obstacle aux menaces et aux traitements dégradants dont a fait l'objet leur famille en Algérie, de 1962 à 1968, année de leur départ pour la France, ni n'ont empêché l'incarcération, en Algérie, de leur père, au cours de cette période. Toutefois, comme l'a jugé le tribunal administratif, les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient, par conséquent, engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute.
En ce qui concerne les préjudices résultant d'un séjour dans un camp d'hébergement et de transit :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ".
5. Il résulte de l'instruction, notamment d'un certificat administratif produit pour la première fois en appel, établi le 1er mars 2019 par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, que Mme E... a séjourné 356 jours à compter du 26 mars 1968 dans le camp d'hébergement et de transit de Château Lascours - Saint-Maurice-l'Ardoise (Gard). Si la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée à raison des conditions de vie indignes réservées à Mme E..., alors enfant, dans ce camp, la nature et l'étendue des conséquences dommageables de cette faute étaient, en tout état de cause, connues dès 1969, année au cours de laquelle la famille de l'intéressée a quitté le camp. Dans ces conditions, la ministre des armées est fondée à opposer aux conclusions tendant à l'indemnisation de ces conséquences dommageables la prescription quadriennale prévue par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968.
6. En second lieu, Mme F... n'a jamais vécu dans un camp d'hébergement et de transit destiné aux familles des anciens supplétifs de l'armée française en Algérie. Elle ne justifie ainsi d'aucun préjudice résultant d'un tel séjour. En outre, le séjour de ses parents et de sa soeur Ferroudja dans un tel camp ne lui a causé aucun préjudice personnel et direct.
En ce qui concerne les préjudices dont le fait générateur est postérieur à un séjour dans un camp d'hébergement et de transit :
7. Les requérantes allèguent que les difficultés qu'elles ont rencontrées au cours de leurs parcours scolaires et professionnels, de même que les brimades et les discriminations dont elles ont fait l'objet durant ceux-ci, résultent de fautes de l'Etat, et en particulier de l'insuffisante prise en charge par ce dernier des familles des anciens supplétifs de l'armée française en Algérie. Toutefois, l'imputabilité à l'Etat de ces situations de fait ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction. Aucun élément tangible précis, concernant les requérantes elles-mêmes, n'est en effet produit pour étayer de telles allégations.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes E... et F... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes. Par suite, leur requête, y compris les conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mmes E... et F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse E..., à Mme A... B... épouse F... ainsi qu'à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 novembre 2020.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00099
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