Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le numéro 18NT00254 le 22 janvier 2018, la préfète de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 décembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Nantes.
Elle soutient que :
- le premier juge en retenant que les arrêtés du 18 décembre 2017 étaient entachés d'un défaut d'examen et d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. A...au regard des dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation ; les défaillances systémiques en Bulgarie de nature à priver sa demande d'asile d'un traitement conforme aux exigences du droit d'asile ne sont pas démontrées ;
- dans le cadre de l'effet dévolutif, les moyens de défense developpés en première instance sont repris.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2018, M.A..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la préfète de la Loire-Atlantique n'est fondé.
II. Par une requête, enregistrée le 22 février 2018, sous le numéro 18NT00280, la préfète de la Loire-Atlantique demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 décembre 2017.
Elle soutient que :
- l'annulation du jugement sera de nature à déclencher un nouveau délai de 6 mois pour le transfert de M.A... ; le premier juge a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé ;
- les moyens soulevés dans le cadre de sa requête enregistrée sous le n°18NT00254 sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2018, M.A..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la préfète de la Loire-Atlantique n'est fondé.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu au profit de M. A...par une décision en date du 14 février 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique
- le rapport de Mme Allio-Rousseau ;
- les conclusions de M. Bréchot ;
- et les observations de MeB..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant afghan né le 15 mars 1997, a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français le 8 août 2017 et y a présenté une demande d'asile. Les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont révélé qu'il avait sollicité l'asile en Bulgarie le 3 novembre 2016. Par deux arrêtés du 18 décembre 2017, la préfète de la Loire-Atlantique a ordonné sa remise aux autorités bulgares, qui avaient accepté sa reprise en charge le 7 septembre 2017, et son assignation à résidence. La préfète de la Loire-Atlantique relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 22 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces deux décisions et lui a enjoint de réexaminer la situation de M.A....
2. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
4. Il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie et de la situation particulière de M. A..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités bulgares, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il est constant que la Bulgarie est un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New-York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, M. A...a alerté la préfecture de la Loire-Atlantique dès le 15 novembre 2017 des mauvais traitements et violences qu'il a déclaré avoir subies en Bulgarie et explicités dans un courrier adressé à la préfecture de la Loire-Atlantique le 28 novembre 2017. Il y décrit précisément son parcours en Bulgarie, où il dit être entré en mai 2016, puis avoir été intercepté par les forces de police et emprisonné pendant deux jours " en tant que criminel pour avoir traversé le pays illégalement ". Il affirme également avoir alors été sévèrement battu et contraint à faire relever ses empreintes digitales sans avoir formellement demandé à bénéficier du droit d'asile en Bulgarie, puis maintenu pendant 6 jours dans le camp fermé de Bosmanci, où les occupants étaient à 16 par pièce et n'étaient nourris qu'une fois par jour. Il produit à l'instance des photographies illustrant les conditions sanitaires particulièrement dégradantes dans lesquelles il a été hébergé dans ce camp. Il soutient également avoir été transféré ensuite au camp ouvert de Veena Rampa, où il a été contraint de dormir sur le sol, dans un couloir, puis violenté par des éléments d'une mafia locale, sans que les personnels en charge de la sécurité du camp ne réagissent. Ce récit et les pièces produites, qui ne sont pas sérieusement contestés par la préfète de la Loire-Atlantique, est cohérent avec les documents et rapports émanant de diverses organisations gouvernementales et non gouvernementales. En outre, il ressort des pièces du dossier que la Commission européenne, dans un courrier adressé aux autorités bulgares le 6 juillet 2017, a attiré l'attention de ces autorités sur le traitement des demandes d'asile émanant de ressortissants afghans, soulignant le taux de reconnaissance dans ce pays extrêmement bas pour ces ressortissants en comparaison des taux des autres Etats de l'Union et le caractère systématique et long de leur détention. Dans ces conditions, alors même que les éléments produits par M. A...ne seraient pas suffisants pour démontrer l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, au sens de l'article 3 paragraphe 2 du règlement n° 604/2013, dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'est pas établi que le transfert de M. A...à destination de la Bulgarie pourrait être opéré dans des conditions excluant que ce transfert entraîne pour lui un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains ou dégradants.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Loire-Atlantique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé les arrêtés du 18 décembre 2017 par lesquels elle a ordonné la remise de M. A...aux autorités bulgares et son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
7. La cour statuant au fond, les conclusions de la requête 18NT00280 par lesquelles la préfète de la Loire-Atlantique a sollicité qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué, sont dénuées d'objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Neraudeau, avocate de M.A..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n°18NT00254 de la préfète de la Loire-Atlantique est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n°18NT00280 de la préfète de la Loire-Atlantique.
Article 3 : L'Etat versera au conseil de M. A...la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information à la préfète de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00254 et 18NT00280