Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 avril 2015 et le 10 mars 2016, MeF..., représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du tribunal administratif de Caen du 10 février 2015 ;
2°) de condamner la commune de Cabourg à lui verser une somme de 581 717,51 euros en réparation du préjudice subi ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Cabourg une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de la commune est engagée à raison de la faute que constitue l'adoption de l'arrêté du 8 août 2009 ordonnant la fermeture de L'Hôtellerie de l'Oie qui fume en méconnaissance de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui a entraîné l'annulation de cette décision pour illégalité ; par ailleurs cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 123-59 du code de la construction et de l'habitation ;
- la liquidation judiciaire dont elle a fait l'objet est la conséquence directe de cet arrêté qui a produit ses effets pendant toute la période où il était en vigueur, privant l'établissement de la possibilité d'ouvrir durant deux saisons estivales consécutives ;
- le préjudice lié à la fermeture de l'hôtel entre le 8 août 2009 et le 14 septembre 2010 s'élève à 61 171,01 euros TTC et celui correspondant à la perte du fond de commerce à 520 546,50 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 octobre 2015 et le 27 mai 2016, la commune de Cabourg, représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'annuler, par la voie de l'appel incident, l'article 1er du jugement du 10 février 2015 et de rejeter en conséquence la demande indemnitaire présentée par Me F...devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge de Me F...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité dont est affecté l'arrêté du 8 août 2009 n'est pas de nature à engager sa responsabilité dès lors que la fermeture administrative de l'établissement hôtelier L'Oie qui fume était justifiée en application des dispositions de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation, compte tenu des manquements graves de cet établissement aux règles de sécurité incendie ;
- à titre subsidiaire, les autres moyens soulevés par Me F...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la commune de Cabourg.
1. Considérant que la société L'Oie qui fume exploitait à Cabourg un établissement comprenant un restaurant et un hôtel de 19 chambres ; qu'à la suite de la visite effectuée par la commission de sécurité de l'arrondissement de Caen, le 1er juillet 2009, et de l'avis défavorable à la poursuite de l'exploitation émis par cette commission le 4 août suivant, le maire de la commune de Cabourg a, le 7 août 2009, mis en demeure le gérant de 1'établissement de remédier aux manquements constatés au regard des règles de la sécurité incendie et de lui fournir au plus tard le lendemain à 11 heures les certificats des travaux indispensables demandés par la commission de sécurité ; qu'en l'absence de réponse, le maire a, par arrêté du 8 août 2009, prononcé la fermeture immédiate au public de la partie hôtelière de l'établissement jusqu'à la constatation de la mise en conformité des locaux ; que, par un jugement du 14 septembre 2010, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté pour vice de procédure ; que MeF..., agissant en qualité de mandataire liquidateur de cette société, a adressé le 7 août 2013 une demande préalable en vue d'obtenir le versement de la somme de 581 717,51 euros en réparation des préjudices, correspondant à la perte d'exploitation et la perte du fonds de commerce, que la société hôtelière aurait subis du fait de l'édiction de cet arrêté illégal ; que, par un jugement du 10 février 2015, le tribunal administratif de Caen a, par son article 1er, condamné la commune de Cabourg à verser à Me F...la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'exploitation subi par l'Hôtellerie de l'Oie qui fume en raison de l'illégalité de l'arrêté de fermeture immédiate du 8 août 2009 et, par son article 2, rejeté le surplus de sa demande ; que Me F...relève appel de l'article 2 de ce jugement tandis que la commune de Cabourg, par la voie de l'appel incident, relève appel de l'article 1er ;
Sur le principe de la responsabilité :
2. Considérant que, par le jugement du 14 septembre 2010 revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée en raison de son caractère définitif, le tribunal administratif de Caen a estimé que la commune de Cabourg a entaché son arrêté du 8 août 2009 d'illégalité en omettant, préalablement à l'adoption de sa décision et en l'absence d'urgence et de nécessités d'ordre public, de mettre le gérant de l'établissement hôtelier l'Oie qui fume en mesure de faire valoir ses observations en défense ;
3. Considérant que, par la voie de l'appel incident, la commune de Cabourg fait valoir que les manquements graves de la société gérante de l'établissement hôtelier aux règles de sécurité incendie constatés par la commission de sécurité de l'arrondissement de Caen justifient la mesure qui a été prise et que, par suite, l'illégalité dont la décision du 8 août 2009 est entachée n'est pas de nature à ouvrir un droit à indemnité ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux, la fermeture des établissements exploités en infraction aux dispositions du présent chapitre peut être ordonnée par le maire ou par le représentant de l'Etat dans le département dans les conditions fixées aux articles R. 123-27 et R. 123-28. La décision est prise par arrêté après avis de la commission de sécurité compétente. L'arrêté fixe, le cas échéant, la nature des aménagements et travaux à réaliser ainsi que les délais d'exécution. " ; que ces dispositions imposent à l'autorité compétente, sauf motif d'urgence dûment établi, d'inviter le propriétaire à procéder aux travaux nécessaires pour assurer la sécurité du public avant de prononcer la fermeture d'un établissement ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lors du contrôle inopiné effectué le 1er juillet 2009 dans les locaux de la société hôtelière de l'Oie qui fume, la commission de sécurité a relevé de nombreux manquements aux règles de sécurité incendie ; que si, par un avis rendu le 4 août 2009, elle a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement dans l'attente de travaux de mise en conformité notamment à la réglementation de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, elle n'a pas relevé d'urgence particulière relevant d'un risque immédiat pour le public accueilli ; que, préalablement à la mesure·de fermeture immédiate de l'établissement, l'exploitante n'a pas été mise en demeure de réaliser ces travaux, le courrier de la mairie adressé le 7 août 2009 lui imposant uniquement de présenter " des copies des certificats de travaux indispensables demandés par la commission " au plus tard le lendemain à 11 heures ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que la société avait engagé dès le 3 juillet 2009 des démarches en vue de régulariser sa situation conformément à la demande de la commission de sécurité et de remettre en état le système de sécurité incendie dans les 48 heures suivant la visite de cette commission ; que les autres travaux pouvaient être réalisés rapidement ; qu'ainsi, en l'absence d'urgence, d'ailleurs non évoquée dans les motifs de l'arrêté du 8 août 2009, et cette absence d'urgence étant l'un des motifs constituant le support nécessaire du dispositif d'annulation retenu dans le jugement du 14 septembre 2010, le maire ne pouvait légalement ordonner la fermeture de l'établissement sans avoir, au préalable, invité l'exploitant de l'Oie qui fume à réaliser les travaux nécessaires ; que, dans ces conditions, l'appel incident de la commune de Cabourg doit être rejeté ;
Sur l'indemnisation du préjudice :
6. Considérant que le tribunal administratif de Caen a fixé à 10 000 euros l'indemnisation résultant de la perte nette d'exploitation liée à la fermeture administrative de la partie hôtelière de l'établissement l'Oie qui fume pendant treize mois et a rejeté la demande d'indemnisation de la perte du fond de commerce, le lien de causalité entre la période de fermeture et la perte de ce fonds n'étant pas suffisamment établi ;
7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la société gérant l'établissement hôtelier a été placée en redressement judicaire dès le mois de juillet 2010 ; que si elle a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 16 juin 2011, la société requérante ne justifie pas des raisons pour lesquelles, depuis sa réouverture le 14 septembre 2010 jusqu'à cette date, elle n'a pas été en mesure de redresser l'activité de l'établissement ; qu'il résulte en outre des écritures comptables de la société que le chiffre d'affaires de l'activité hôtelière de l'établissement, qui comptait par ailleurs un restaurant et un bar, était en forte chute depuis l'année 2007 ;
8. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que si le gérant de l'hôtel a engagé des démarches en vue de la réalisation des travaux demandés par la commission de sécurité et a tenté en vain d'obtenir un entretien avec les services de la mairie au cours de la période du mois d'août 2009, correspondant à la haute saison touristique, pour établir un programme des travaux compatibles avec son activité et ses ressources financières, ces travaux de mise en conformité par rapport au risque incendie n'ont pas été réalisés au cours de la période de fermeture ; que si la Socotec a indiqué, dans son rapport de vérifications techniques le 17 août 2009, que le calendrier de travaux devait être discuté avec les autorités compétentes, il ne résulte pas de l'instruction que la commission de sécurité de l'arrondissement de Caen a été saisie d'une quelconque demande en ce sens ;
9. Considérant, par suite, que c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont fixé à la somme de 10 000 euros l'indemnisation du préjudice résultant de la perte nette d'exploitation au titre des treize mois de fermeture, dont l'intégralité de la haute saison touristique de l'année 2010, de la partie hôtelière de l'établissement l'Oie qui fume et refusé de faire droit à sa demande d'indemnisation de la perte de son fonds de commerce ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Me F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a limité l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du maire de Cabourg du 8 août 2009 à la somme de 10 000 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit versée à MeF..., perdante à l'appel principal, et à la commune de Cabourg, perdante à l'appel incident, au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par Me F...ès qualité de mandataire liquidateur de la SARL L'Hôtellerie de l'Oie qui fume est rejetée.
Article 2 : L'appel incident de la commune de Cabourg et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MeF..., ès qualité de mandataire liquidateur de la SARL L'Hôtellerie de l'Oie qui fume, et à la commune de Cabourg.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président assesseur,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 décembre 2016.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01364