Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2020, M. B... A..., représenté par Me E... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juillet 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 2 juin 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois, dans le délai de huit jours suivant la décision à intervenir, et de transmettre sa demande d'asile à l'OFPRA pour examen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert en Suisse.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 octobre 2020 et le 15 janvier 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer sur la décision portant transfert de M. A... en Suisse et au rejet du surplus de la requête.
Il soutient que la France est devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant érythréen né le 15 janvier 1994, déclare être entré en France le 12 février 2020. Il a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 26 février suivant. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé qu'il avait préalablement sollicité l'asile auprès des autorités suisses, ses empreintes digitales ayant été enregistrées le 11 septembre 2015 dans ce fichier par ces mêmes autorités, le préfet a demandé, le 26 février 2020, son transfert aux autorités de ce pays, lesquelles ont expressément accepté le 28 février suivant. Par deux arrêtés du 2 juin 2020, le préfet de Maine-et-Loire a décidé, d'une part, le transfert de M. A... aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours renouvelable. Par un jugement du 6 juillet 2020, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces deux décisions.
Sur l'étendue du litige :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de la notification à l'administration du jugement par lequel le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de la décision de transfert du requérant vers la Suisse a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification à l'administration, le 6 juillet 2020, du jugement attaqué. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas non plus reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, l'arrêté en cause est caduc à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le litige ayant perdu son objet il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation du jugement du 6 juillet 2020 en tant qu'il a rejeté ses conclusions en annulation de l'arrêté de transfert du 2 juin 2020.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant reçu application, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation présentées par M. A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qu'il concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
6. A ce titre, M. A... se borne à soulever par la voie de l'exception le moyen tiré de l'illégalité de la décision de transfert.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
9. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a reçu, le 26 février 2020, le guide du demandeur d'asile, ainsi que la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ", et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce-que cela signifie ' ". L'intéressé, qui a signé le résumé de l'entretien individuel du même jour, réalisé à l'aide d'un interprète en tigrigna, doit être regardé comme ayant reconnu, ainsi que cela est précisé dans ce document, que ces informations lui avaient été remises antérieurement dans une langue qu'il comprenait. Par suite, et alors même que les informations en cause n'ont pas été délivrées lors de la venue du requérant dans une structure de premier accueil des demandeurs d'asile, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement précité du 26 juin 2013, relatif à l'entretien individuel : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".
11. En l'espèce, l'entretien dont le requérant a bénéficié le 26 février 2020 a été conduit par un " agent habilité " de la préfecture de la Loire-Atlantique et il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci n'aurait pas été une personne qualifiée au sens des dispositions précitées. Par conséquent, et alors même que le nom de cet agent n'est pas mentionné, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement précité ne peut qu'être écarté.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
13. M. A... invoque les risques qu'il encourt en cas de retour en Erythrée et soutient qu'il risque d'y être renvoyé par les autorités helvétiques, qui ont rejeté sa demande d'asile et l'ont obligé à quitter le territoire suisse. Toutefois, il ressort d'un courriel du secrétariat d'Etat suisse aux migrations du 4 janvier 2019 que les ressortissants érythréens dont la demande de protection internationale a été rejetée en Suisse ne se voient certes pas attribuer de titre de séjour, mais peuvent, de fait, séjourner dans ce pays où ils reçoivent une " aide d'urgence " et ne sont, en tout état de cause, pas éloignés à destination de l'Erythrée. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une décision d'éloignement devenue définitive aurait été prise à l'encontre de l'intéressé par les autorités suisses et qu'il ne pourrait faire valoir de nouveaux éléments sur sa situation personnelle ou ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2020 décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... aux fins d'annulation de la décision du 2 juin 2020 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert auprès des autorités helvétiques.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me E... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2021.
Le rapporteur,
C. C...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 20NT03062