Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 septembre 2018, la Garde des Sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure dès lors qu'ils ont omis de communiquer le premier mémoire en défense, produit cinq jours avant l'audience, et qui contenait des indications décisives pour statuer sur la demande dont le tribunal administratif était saisi ;
- le jugement est entaché d'une erreur de fait dès lors que l'intéressé n'a pas subi neuf fouilles intégrales entre les mois de juin et août 2015 ni n'a été soumis à un régime de fouilles systématiques ;
- les fouilles intégrales réalisées entre juin et août 2015, au nombre de trois, étaient justifiées et proportionnées compte tenu du profil pénal et pénitentiaire de l'intéressé.
Par une ordonnance du 24 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 septembre 2019, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de l'article 1er du jugement du 17 juillet 2018, par lequel le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 900 euros, majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral résultant de la réalisation de fouilles intégrales au cours de la période de juin à août 2015.
2. L'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. / Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n'exerçant pas au sein de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en oeuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement. ".
3. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du registre des fouilles, que M. B... a fait l'objet, au cours de la période de juin à août 2015, de huit fouilles intégrales : trois dans le secteur des parloirs, les 1er juillet, 22 juillet et 8 août 2015, deux dans le secteur " maison d'arrêt 2 " les 19 juin et 14 août 2015 et trois dans le secteur du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement, les 19 juin 2015 et 8 juillet 2015, dont deux ce dernier jour.
5. En premier lieu, ces fouilles intégrales ne présentaient pas un caractère systématique. A titre d'illustration, alors que M. B... avait eu accès au parloir, durant cette période, à quatorze reprises, il n'a été fouillé intégralement, à cette occasion, que trois fois, alors même qu'il avait été surpris, le 2 juillet 2015, en possession d'un téléphone portable et que, eu égard à l'une des infractions qu'il avait commise, l'autorité pénitentiaire pouvait raisonnablement craindre qu'il tente d'introduire au sein de l'établissement des stupéfiants.
6. En deuxième lieu, ainsi qu'il ressort des mentions portées sur le registre des fouilles, lesquelles ne sont pas contestées, les fouilles intégrales réalisées sur M. B... étaient toutes justifiées par l'un des motifs mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009, à savoir le risque d'introduction, dans le centre pénitentiaire, d'objets ou de substances interdites ainsi que celui de détention d'objets dangereux pour les personnes.
7. En troisième lieu, M. B..., le 1er juin 2015 à la maison d'arrêt de La Roche-sur-Yon, a agressé un surveillant en tentant de le frapper avec un pied métallique de tabouret qu'il avait dissimulé sous sa serviette, ce qui a entraîné son transfert au centre pénitentiaire de Nantes, où il a violemment agressé un autre détenu le 19 juin 2015, acte pour lequel il a d'ailleurs été sanctionné par vingt-cinq jours en cellule disciplinaire dont dix avec sursis. Par ailleurs, le 2 juillet 2015, alors qu'il était placé en quartier disciplinaire, il a, ainsi qu'il a été dit au point 5, été surpris en possession d'un téléphone portable, agissement pour lequel il a été sanctionné par quatorze jours de cellule disciplinaire avec sursis. Enfin, le 25 août 2015, l'intéressé s'est battu avec un codétenu dans sa cellule. Ainsi, compte tenu des agissements violents réitérés de M. B... et de la circonstance qu'il a introduit des objets proscrits dans l'enceinte du centre pénitentiaire, il n'est pas établi que des fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique auraient été suffisantes. Les fouilles intégrales entreprises par les agents de l'administration pénitentiaire apparaissaient en revanche tant nécessaires que proportionnées.
8. En quatrième lieu, il n'est ni établi ni même allégué que les conditions dans lesquelles ont été effectuées les fouilles intégrales litigieuses auraient été, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, la garde des sceaux, ministre de la justice, est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée à l'égard de M. B... en raison du préjudice moral résultant de fouilles entachées d'illégalités fautives et que celui-ci devait être indemnisé.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1600649 du tribunal administratif de Nantes du 17 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : La demande indemnitaire de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la garde des sceaux, ministre de de la justice.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2019.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT03495
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