Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2018, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 octobre 2018 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser, en réparation du préjudices subi du fait de la pratique systématique de fouilles à nu sur sa personne au centre pénitentiaire de Nantes, une somme de 50 000 euros majorée des intérêts et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- au cours de son incarcération au centre pénitentiaire de Nantes, il a effectué 46 " parloirs " et a été fouillé systématiquement à ces occasions ; ces fouilles non motivées sont disproportionnées ;
- il doit être fait une juste appréciation du préjudice moral subi du fait de ces fouilles fautives en lui allouant la somme demandée.
Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en l'absence de moyens d'appel ;
- les moyens présentés sont en tout état de cause infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... relève appel du jugement du 2 octobre 2018, par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser, en réparation du préjudice subi du fait de la pratique systématique de fouilles intégrales au centre pénitentiaire de Nantes entre le 12 juillet 2007 et le 26 juin 2012, une somme de 50 000 euros majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
2. L'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. / Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n'exerçant pas au sein de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en oeuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement. ".
3. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.
4. M. C..., qui avait été notamment condamné à douze ans de réclusion criminelle par la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine le 14 avril 2006, pour homicide, a été incarcéré au centre pénitentiaire de Nantes entre le 17 mai 2004 et le 17 septembre 2006 puis entre le 12 juillet 2007 et le 26 juin 2012. A l'appui de sa requête, il soutient, en substance, qu'il a fait l'objet, entre le 12 juillet 2007 et le 26 juin 2012, de fouilles intégrales à l'issue de chaque accès aux parloirs, soit à 46 occasions, et estime que la pratique de telles fouilles est fautive.
5. Toutefois, premièrement, il ne résulte pas de l'instruction que ces fouilles intégrales n'auraient pas été justifiées par l'un des motifs mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009.
6. Deuxièmement, M. C... a eu, en cours d'incarcération, un comportement marqué, d'une part, par la violence, tant à l'égard de ses codétenus que des surveillants, et, d'autre part, par une propension à dissimuler des armes par nature ou par destination ainsi qu'à s'en servir. Ainsi, il a fait l'objet de 54 " rapports d'incidents " établis par les agents de l'administration pénitentiaire. En particulier, le 17 mai 2008, un surveillant a découvert, alors qu'il rassemblait le paquetage de M. C... en vue de son transfert en quartier disciplinaire, un couteau que l'intéressé avait fabriqué lui-même. De même le 18 décembre 2009, le 24 mars 2010 et le 16 septembre 2010, M. C... a, en des termes particulièrement explicites, menacé un surveillant de l'agresser une fois libéré. Par ailleurs le 6 juin 2010, à l'occasion d'un transfert vers le quartier disciplinaire, 50 comprimés d'une substance non autorisée ont été découverts dans ses chaussures, puis les 9 et 10 juin 2010 ainsi que les 15, 17 et 22 septembre 2010, M. C... a déclenché un début d'incendie dans sa cellule disciplinaire, le 8 avril 2011 un téléphone portable a été découvert dans sa cellule, le 26 juillet 2011, il a agressé un surveillant dans sa cellule à l'aide d'une tige métallique. Enfin, à plusieurs occasions, M. C... a été visé par des plaintes de codétenus, déposées auprès des agents de l'administration pénitentiaire, lesquelles portaient notamment sur des faits de racket ou de violences.
7. Compte tenu des circonstances rappelées au point précédent, il n'est pas établi que des fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique auraient été suffisantes. Les fouilles intégrales entreprises par les agents de l'administration pénitentiaire apparaissaient en revanche nécessaires et proportionnées.
8. Troisièmement, à supposer même que M. C... ait fait l'objet d'une fouille intégrale à l'issue de chacun des rendez-vous prévus aux parloirs du centre pénitentiaire, ces fouilles ne peuvent être regardées, pour ce seul motif, comme étant systématiques. En effet, il ne résulte pas de l'instruction que les fouilles intégrales réalisées sur M. C... ne l'aient pas été, au cas par cas, après prise en compte des éléments propres à la situation de l'intéressé.
9. Quatrièmement, il n'est ni établi ni allégué que les conditions dans lesquelles ont été effectuées les fouilles intégrales litigieuses étaient, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.
10. Il résulte de tout ce qui précède que ces fouilles ne sont pas fautives. Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, M. C... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande indemnitaire. Par suite, sa requête, y compris les conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2019.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04253
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