Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 15 janvier, 18 juin et 16 septembre 2019, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 septembre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 18 septembre 2018 de la préfète de la Loire-Atlantique ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités allemandes :
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet n'a pas procédé à un réexamen de sa situation méconnaissant ainsi l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 août 2018 ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé, de son orientation sexuelle et des dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permettent de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, avec un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- aucune décision de mise en fuite ne lui a été notifiée et il demande que les autorités préfectorales lui communiquent la preuve de l'information à l'Etat requis du report du transfert ;
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Allemagne ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle apparaît disproportionnée ;
- elle le prive de son droit à un recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Le préfet déclare s'en remettre à ses écritures de première instance et informe la cour que l'intéressé n'a pas exécuté la décision de transfert vers l'Allemagne et produit la preuve de l'information à l'Etat requis du report de transfert.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas, président assesseur, été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 27 mars 2018 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 2 mai suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités italiennes le 11 juin 2016 puis auprès des autorités allemandes les 18 novembre 2016 et 12 avril 2017. La préfète de la Loire-Atlantique a alors adressé à ces autorités une demande de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement de l'article 18-1 (d) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que seules les autorités allemandes ont explicitement acceptée le 6 juin 2018. Par deux arrêtés du 13 août 2018 la préfète de la Loire-Atlantique a ordonné la remise de M. A... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence. Par un jugement du 17 août 2018 le tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés en raison de l'insuffisante motivation de l'arrêté portant remise de l'intéressé aux autorités allemandes. Le même jugement a enjoint à la préfète de procéder au réexamen de la situation de M. A.... Par deux arrêtés du 18 septembre 2018, la préfète de la Loire-Atlantique a alors ordonné la remise de M. A... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement du 24 septembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
En ce qui concerne la décision de remise aux autorités allemandes :
2. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. La décision prononçant le transfert de M. A... aux autorités allemandes vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève le caractère irrégulier de l'entrée en France du requérant et rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celui-ci s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique le 5 mai 2018 pour y demander le bénéfice de l'asile. La décision mentionne que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été précédemment relevées en Italie et en Allemagne, où il a reconnu avoir effectué deux demandes d'asiles, et que les autorités allemandes, saisies le 31 mai 2018 d'une demande de reprise en charge de M. A... sur le fondement du paragraphe 1 d) de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont expressément donné leur accord à cette prise en charge. Elle précise en outre qu'au regard des documents produits sur son état de santé, l'intéressé n'établit pas qu'il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins que son état requiert ni que le défaut de soins entrainerait pour lui des conséquences d'une extrême gravité. Enfin, la décision mentionne également que la situation de M. A... ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et que l'intéressé n'établit pas être exposé à des risques personnels en cas de retour en Allemagne. Il en résulte que cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent et fait apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 18 1 d) du chapitre III du règlement précité du 26 juin 2013, est suffisamment motivée. En outre, alors même que des courriers adressés à l'administration n'ont pas été mentionnés, la préfète de la Loire-Atlantique n'était pas tenue de motiver son refus de faire application des dispositions de l'article 17 du même règlement qui permettent à chaque Etat membre de l'Union de décider d'examiner une demande de protection internationale. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision doit être écarté.
5. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que M. A... reprend en appel sans plus de précisions, doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté de la préfète de la Loire-Atlantique du 13 août 2018 au seul motif que le requérant n'avait pas été mis à même de comprendre le critère retenu pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et il a enjoint à la préfète de procéder au réexamen de la situation du requérant. Il résulte de l'arrêté du 18 septembre 2018 qu'il a bien été procédé à un nouvel examen de la situation de l'intéressé, notamment au regard de son état de santé, alors même que les courriers qu'il a adressés à la préfecture ne sont pas cités. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
8. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Loire-Atlantique n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A... et des conséquences de sa réadmission en Allemagne au regard notamment de son état de santé, des garanties exigées par le respect du droit d'asile et du risque de son renvoi en Guinée par les autorités allemandes.
9. D'autre part, M. A... ne démontre pas qu'il serait exposé au risque de subir en Allemagne des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il n'est donc pas établi que la décision de transfert en Allemagne méconnaitrait l'article 3-2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. Enfin, M. A... fait état de ses problèmes de santé, du fait qu'il est un jeune majeur et qu'il n'a aucune garantie que les autorités allemandes, qui ont déjà rejeté sa demande d'asile, vont le garder sur leur territoire et ne pas le renvoyer en Guinée où il craint pour sa vie en raison de son orientation sexuelle. Cependant, la décision de transfert de M. A... vers l'Allemagne n'a ni pour objet ni pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine, mais seulement de le remettre aux autorités allemandes. Alors que celles-ci ont explicitement accepté de reprendre en charge M. A..., ce dernier n'établit pas qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir auprès de ces autorités tout élément relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Guinée. Par ailleurs, M. A... ne présente pas de situation de vulnérabilité particulière et il ne démontre pas que ses problèmes de santé ne pourraient pas être pris en charge en Allemagne. Ainsi, doivent être écartés les moyens tirés de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant sa remise aux autorités allemandes, la préfète aurait entachée sa décision d'une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.
12. L'arrêté portant assignation à résidence de M. A... vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 561-2, ainsi que l'arrêté du même jour décidant la remise de l'intéressé aux autorités allemandes. Par ailleurs, il indique que M. A... fait l'objet d'une décision de transfert en Allemagne, dont l'exécution demeure une perspective raisonnable. Cet arrêté comporte ainsi un exposé suffisant des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé la préfète de la Loire-Atlantique pour décider d'assigner M. A... à résidence. Il est ainsi suffisamment motivé.
13. En deuxième lieu, il résulte des points 2 à 10 du présent arrêt que M. A... n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
14. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d'assignation à résidence de M. A..., dont le caractère disproportionné n'est pas établi en l'état des pièces soumises au débat, procèderait d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressé.
15. En quatrième lieu, M. A... a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Il a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions il n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence porterait atteinte à son droit à un recours effectif.
16. En dernier lieu, et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que les autorités allemandes ont bien été informées du fait que le transfert de M. A... devait être reporté en raison de la fuite de ce dernier. Par ailleurs, la circonstance que M. A... ait, ou non, été informé du fait qu'il a été, postérieurement aux arrêtés contestés du 18 septembre 2018, regardé comme ayant pris la fuite est sans incidence sur la légalité des décisions contestées.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés de la préfète de la Loire-Atlantique du 18 septembre 2018. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2019.
Le rapporteur,
C. RivasLe président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19NT00194
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