Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2019, et un mémoire, enregistré le 19 septembre 2019, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 novembre 2018 en tant qu'il le condamne au versement des sommes qu'il mentionne ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires de la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en tant qu'elles sont dirigées contre lui ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Les Charpentiers de l'Atlantique à le garantir de la condamnation dont il fait l'objet intégralement ou, à défaut, à hauteur de 80 % ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou de toute partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale ; en effet, ils affectent un platelage en chêne ; or, celui-ci, situé sur le domaine public maritime, n'est pas ancré au sol ni ne nécessite des moyens importants pour être déplacé ; il ne constitue donc pas un ouvrage immobilier ;
- les désordres relèvent de la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur, à savoir la société LCA ; la responsabilité de l'architecte, maître d'oeuvre, ne saurait être recherchée sur le terrain contractuel ;
- les désordres ne sont, en tout état de cause, pas imputables à l'architecte, maître d'oeuvre ; en effet, le cahier des clauses techniques particulières établi par ce dernier prévoyait la pose de lames en bois conformes aux normes techniques applicables ; en outre, la société LCA, qui disposait d'un bureau d'études spécialisé, a proposé une variante, impliquant la pose de lames de bois ne respectant pas cette réglementation ; enfin, le maître d'oeuvre n'avait pas à sa charge les études d'exécution ;
- en omettant d'interdire l'accès à la promenade en bois à des véhicules à deux roues, la commune a, par sa faute, participé à la réalisation des désordres ;
- pour déterminer le montant de l'indemnisation, il y a lieu, en tout état de cause, d'appliquer un coefficient de vétusté qui ne saurait être inférieur à 30 % ;
- la part de responsabilité de l'architecte ne saurait être égale à celle de l'entrepreneur ; elle est nulle ou, à tout le moins, inférieure à 20 %.
Par un mémoire, enregistré le 15 mars 2019, la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses conclusions indemnitaires ;
2°) de rejeter les conclusions des autres parties ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société Les Charpentiers de l'Atlantique et de M. C... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les désordres relèvent de la garantie décennale dès lors que la promenade en bois, fixée au sol, est un ouvrage immobilier et que celui-ci est rendu impropre à sa destination ;
- ces désordres sont partiellement imputables à M. C..., dont la mission comprenait l'étude d'exécution et le suivi de l'exécution des travaux ;
- la commune n'a pas participé à la survenue des désordres ;
- si la garantie décennale devait ne pas jouer, il y aurait lieu de condamner l'entrepreneur et le maître d'oeuvre sur le terrain de la responsabilité contractuelle, la faute de ces intervenants étant établie et celle-ci ayant un lien direct avec les préjudices revendiqués ;
- aucun coefficient de vétusté ne saurait être appliqué.
Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2019, la société Les Charpentiers de l'Atlantique, représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il la condamne au versement des sommes qu'il mentionne ;
2°) de rejeter les conclusions de la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en tant qu'elles sont dirigées contre elle ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner M. C... à la garantir de la condamnation dont elle fait l'objet intégralement ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou, à défaut, de M. C..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale dès lors que la promenade en bois dont il s'agit n'a pas le caractère d'un ouvrage immobilier et qu'elle n'a pas été rendue impropre à sa destination ;
- la commune a, par sa faute, participé à la survenance des désordres ;
- en toute hypothèse, les désordres sont imputables principalement à l'architecte ;
- un abattement pour vétusté supérieur à celui retenu en première instance doit être appliqué au prix des travaux de réfection.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. C..., de Me A..., représentant la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et de Me B..., représentant la société LCA.
Considérant ce qui suit :
1. En 2009, la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a entrepris des travaux d'aménagement de la plage du Boisvinet consistant en la réalisation d'une promenade piétonne en bois. La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée, par un acte d'engagement du 7 octobre 2009, à M. D... C.... Le lot n° 2 " plancher bois - mobilier urbain - maçonnerie " a été confié, par un acte d'engagement du 20 novembre 2009, à un groupement composé de la société Les Charpentiers de l'Atlantique (LCA), mandataire, de la société Girose Travaux Publics BTP et de la société Buton Industries. La société Oleowood a fourni les lames en chêne du platelage à la société LCA, qui en a sous-traité la pose à M. F.... Les travaux ont été réceptionnés le 11 juin 2010 sans réserve. Postérieurement à la réception, la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a remarqué d'importantes déformations sur de nombreuses lames du plancher et en a fait opérer le constat par huissier de justice le 12 juillet 2013. Un rapport de l'expert mandaté par l'assureur de la commune a été déposé le 19 février 2014. En juin 2014, la commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes. Par une ordonnance du 17 juillet suivant, ce dernier a désigné un expert, qui a remis son rapport le 9 mai 2015. Par un jugement du 21 novembre 2018, dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement la société LCA et M. C... à verser à la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie la somme de 120 597,60 euros au titre de la reprise des désordres affectant la promenade, somme portant intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2016, et a retenu que la société LCA et M. C... se garantiraient mutuellement à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée.
Sur la garantie décennale des constructeurs :
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut, en particulier, être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
En ce qui concerne la nature des désordres :
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 9 mai 2015 ainsi que du cahier des clauses techniques particulières, que la promenade, édifiée entre la voirie et la plage du Boisvinet, était constituée d'un platelage en chêne fixé à une ossature en pin traité. Cette fixation était principalement assurée à l'aide de clips en " inox ressort ", en sorte que les points de fixation des lames de chêne n'étaient pas apparents. Seules certaines des lames en bois, notamment à proximité de la plage, étaient fixées à l'ossature par vissage, les têtes de vis étant cachées par des bouchons. L'ossature en pin traité, renforcée par des cornières en acier inoxydable, reposait sur des platines en acier galvanisé, elles-mêmes fixées sur des pieux en bois d'azobé enfoncés dans le sol à un mètre de profondeur. Compte tenu notamment de sa fixité et de son ancrage au sol, cette installation constitue, dans son ensemble, un ouvrage immobilier.
4. Les désordres sont de deux ordres. Il s'agit, d'une part, d'importants défauts de planéité des lames de chêne, dans le sens de leur largeur et de leur longueur, lesquels génèrent des désaffleurements substantiels, aux plans horizontal et vertical, entre les lames, et d'autre part, de fissurations à l'extrémité et sur le côté des lames ainsi que d'éclatements sur le côté de celles-ci.
5. Ces désordres affectent, certes, uniquement le platelage en chêne. Mais, alors qu'au demeurant, il n'est pas établi que ce platelage soit dissociable de l'ouvrage immobilier décrit au point 3, ils rendent cet ouvrage impropre à sa destination et présentent donc, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, un caractère décennal.
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres et l'éventuelle faute exonératoire du maître d'ouvrage :
6. Les désordres sont imputables, d'une part, à la société LCA, chargée, notamment de la conception des lames en bois, de leur usinage ainsi que du choix de l'essence et, d'autre part, à M. C..., maître d'oeuvre de l'opération, chargé d'une mission complète hors études d'exécution.
7. M. C... et la société LCA persistent à soutenir que, par sa faute, la commune a participé à la réalisation des désordres. Ils soulignent à cet égard que le maire n'avait pas fait usage de ses pouvoirs de police pour interdire l'accès de la promenade aux véhicules à deux roues, notamment motorisés. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel usage de la promenade, dont la réalité n'est d'ailleurs pas établie, soit la cause des désordres.
8. Il suit de là qu'ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, les désordres engagent la responsabilité solidaire de M. C... et de la société LCA.
Sur la réparation :
En ce qui concerne le préjudice :
9. La commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie conteste l'évaluation du prix des travaux de reprise retenue par les premiers juges, l'estimant inférieure de 18 575,56 euros hors taxes au coût réel des travaux. Toutefois, il y a lieu d'écarter son moyen par adoption des motifs figurant aux points 9 et 10 du jugement attaqué.
10. Les parties contestent par ailleurs le coefficient de vétusté de 10 % appliqué par les premiers juges. Toutefois, il résulte des énonciations du rapport d'expertise du 9 mai 2015, confortées par les constats réalisés le 12 juillet 2013 par huissier de justice à la demande de la commune, que les désordres sont apparus en 2011, soit après une année d'utilisation de la promenade. Or, compte tenu de la durée normale d'utilisation d'un platelage en bois en bord de mer, qui doit être évaluée à 10 ans, du fait de l'exposition particulière aux intempéries qu'implique une telle localisation, leurs moyens doivent être écartés.
En ce qui concerne les appels en garantie :
11. Les normes techniques applicables exigeaient le respect, pour les platelages en bois, d'un certain rapport entre l'épaisseur des lames et leur largeur. Les lames posées pour le compte de la société LCA, conformément à ses préconisations, ne respectaient pas ces normes. Il résulte du rapport de l'expert que ce défaut d'application des normes techniques propres aux platelages en bois est à l'origine des déformations des lames de bois. Celles-ci ont par ailleurs été accentuées par le mode de fixation des lames, lequel autorisait ces dernières à se déformer plus aisément qu'en cas de fixation par vissage. Enfin, la manière dont certaines lames de bois ont été usinées, à la demande de la société LCA, a également contribué aux fissurations et aux brisures de ces lames.
12. Ces manquements aux règles de l'art et ces choix techniques sont, d'abord, le fait de la société LCA, laquelle, d'une part, a proposé une variante prévoyant la pose de lames en bois pour lesquelles le rapport entre l'épaisseur et la largeur était trop faible, d'autre part, a prévu la fixation de ces lames à l'aide de clips et, enfin, a déterminé la manière suivant laquelle les lames de bois devaient être usinées. Ils sont, ensuite, également le fait de M. C.... En effet, ce dernier était, certes, titulaire d'une mission de maîtrise d'oeuvre qui n'incluait pas la réalisation d'études d'exécution. Mais il avait en charge l'examen de la conformité de ces études au projet ainsi que la direction des travaux. Or il ne s'est pas opposé à la pose de lames en bois qui ne respectaient ni les normes techniques applicables, ni, d'ailleurs, le cahier des clauses techniques particulières qu'il avait lui-même réalisé. Compte tenu du rôle décisif ainsi joué par la société LCA dans la survenue des désordres, il sera fait une exacte appréciation de la responsabilité de cette société et de celle de M. C... en fixant leur part de responsabilité, respectivement, à 70 % et 30 %. Il s'ensuit que M. C... doit être garanti par la société LCA à hauteur de 70% des condamnations prononcées à son encontre et que la société LCA doit l'être par M. C... à concurrence de 30 %.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a estimé que la société LCA et M. C... devaient se garantir mutuellement des condamnations prononcées à leur encontre à hauteur de 50 %. Le surplus de sa requête d'appel doit être rejeté. Il en va de même du surplus des conclusions des autres parties au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La société Les Charpentiers de l'Atlantique garantira M. D... C... à hauteur de 70 % de la condamnation prononcée à l'article 1er du jugement n° 1607441 du 21 novembre 2018 du tribunal administratif de Nantes tandis que M. D... C... garantira cette société à concurrence de 30 % de cette condamnation.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 1607441 du 21 novembre 2018 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à la société Les Charpentiers de l'Atlantique et à la commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2019.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet de la Vendée en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00290
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