Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 septembre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 11 septembre 2018 de la préfète de la Loire-Atlantique ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités italiennes :
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé et des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile ;
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle n'est pas suffisamment motivée ce qui dénote un défaut d'examen de la situation particulière du requérant ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Italie ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle le prive de son droit à un recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Le préfet déclare s'en remettre à ses écritures de première instance et informe la cour que l'intéressé a exécuté la décision de transfert le 5 novembre 2018.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tchadien né le 10 janvier 1995, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 22 avril 2018 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 28 mai suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait franchi la frontière italienne le 15 avril 2018. La préfète de la Loire-Atlantique a alors adressé aux autorités italiennes une demande de prise en charge de l'intéressé sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont implicitement acceptée le 15 août 2018. Par deux arrêtés du 11 septembre 2018, la préfète de la Loire-Atlantique a ordonné la remise de M. A... aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement du 13 septembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
En ce qui concerne la décision de remise aux autorités italiennes :
2. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. La décision prononçant le transfert de M. A... aux autorités italiennes vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève le caractère irrégulier de l'entrée en France du requérant et rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celui-ci s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique le 28 mai 2018 pour y demander le bénéfice de l'asile. La décision mentionne que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été précédemment relevées en Italie et que les autorités italiennes, saisies le 14 juin 2018 d'une demande de prise en charge de M. A... sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont implicitement donné leur accord à cette prise en charge. Elle précise en outre qu'au regard des documents produits sur son état de santé, l'intéressé n'établit pas qu'il ne pourrait pas bénéficier en Italie des soins que son état requiert ni que le défaut de soins entrainerait pour lui des conséquences d'une extrême gravité. Enfin, la décision mentionne également que la situation de M. A... ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, alors qu'en tout état de cause l'intéressé lors de son entretien n'a pas informé l'administration de la présence en France de son frère, et qu'il n'établit pas être exposé à des risques personnels en cas de retour en Italie. Il en résulte que cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent et fait apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 13 du chapitre III du règlement précité du 26 juin 2013, est suffisamment motivée. En outre, la préfète de la Loire-Atlantique, dont la décision contestée révèle qu'elle a procédé à un examen complet de la situation personnelle du requérant, n'était pas tenue de motiver son refus de faire application des dispositions de l'article 17 du même règlement qui permettent à chaque Etat membre de l'Union de décider d'examiner une demande de protection internationale. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision doit être écarté.
5. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que M. A... reprend en appel, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le magistrat désigné du tribunal administratif.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
7. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Loire-Atlantique n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de M. A... et des conséquences de sa réadmission en Italie au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de son état de santé.
8. D'autre part, M. A... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie et de l'absence de soins au moment de son arrivée en Italie, mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, il ne démontre pas davantage qu'il serait exposé au risque de subir en Italie des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. Enfin, M. A... ne produit pas de documents médicaux qui permettent de démontrer que son état de santé le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France alors même qu'il a notamment été diagnostiqué en France comme porteur du virus de l'hépatite B. Les documents médicaux produits ne font état que d'une consultation spécialisée annuelle à ce titre. Par ailleurs, l'instruction n'établit pas la réalité des retrouvailles en France avec un frère qu'il invoque, alors qu'il a déclaré lors de son entretien n'avoir aucun membre de sa famille présent sur le territoire national. De même, la circonstance selon laquelle ses conditions de vie ont été éprouvantes tout au long de son parcours migratoire, notamment en Lybie puis en Italie, ne suffisent pas à démontrer qu'il se trouve dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la préfète de la Loire-Atlantique aurait entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
10. En premier lieu, il résulte des points 2 à 9 du présent arrêt que M. A... n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
11. En deuxième lieu, l'arrêté portant assignation à résidence de M. A... vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment l'article L. 561-2, ainsi que l'arrêté du même jour décidant la remise de l'intéressé aux autorités italiennes. Par ailleurs, il indique que M. A... est entré irrégulièrement sur le territoire français, ne possède qu'une domiciliation administrative et présente des garanties suffisantes propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à la mesure de transfert dans l'attente de l'exécution de celle-ci qui demeure une perspective raisonnable. Cet arrêté comporte ainsi un exposé suffisant des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé la préfète de Loire-Atlantique pour décider d'assigner M. A... à résidence. Il est ainsi suffisamment motivé.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d'assignation à résidence de M. A... dont le caractère disproportionné n'est pas démontré, procèderait d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressé.
14. En quatrième et dernier lieu, M. A... a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Il a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions il n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence porterait atteinte à son droit au recours effectif.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés de la préfète de la Loire-Atlantique du 11 septembre 2018. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 25 octobre 2019.
Le rapporteur,
C. Rivas Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19NT00025
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