Par une requête, enregistrée le 15 novembre 2016, M. F... A...et Mme D...A..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2016 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen du dossier, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de Me Pollono une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. F...A...soutient que :
- les documents établis par l'ambassade de Somalie en Ethiopie qu'il a produit s'apparentent à des documents d'état-civil et ont valeur probante ;
- l'administration n'a fourni aucun élément permettant d'établir la matérialité des griefs qu'elle oppose aux certificats de naissance qu'il présente, aucun modèle de certificat de naissance somalien n'étant en particulier produit ;
- il produit une attestation du consulat de Somalie en Ethiopie indiquant que celui-ci est habilité à exercer des fonctions d'état-civil ;
- l'administration n'apporte aucun élément probant pour étayer le défaut de caractère probant des documents produits et la charge de la preuve a été renversée ;
- le certificat OFPRA qui lui a été remis et qui fait état de son mariage établit la réalité du lien matrimonial ;
- il a toujours été constant dans ses déclarations relatives à la composition de sa famille et doit ainsi être regardé comme établissant l'existence d'une situation de possession d'état ;
- il produit les résultats d'un test génétique qui établit qu'il est effectivement le père des neuf enfants qui se sont vus refuser la délivrance de visas.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par les requérants n'est fondé.
M. F...A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- et les observations de Me Pollono, représentant M. F...A...et Mme D...A....
1. Considérant que M. F...A..., ressortissant somalien, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 23 décembre 2011 ; que son épouse et ses neuf enfants allégués ont formé en avril 2013 auprès des autorités consulaires locales françaises d'Addis-Abeba une demande de visa de long séjour au titre de la réunification de la famille d'un réfugié ; que, suite au refus opposé à cette demande, M. F...A...a alors saisi la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, qui a implicitement rejeté le recours formé devant elle ; que M. F...A...a alors demandé la communication des motifs de cette décision, qui lui ont été fournis le 6 février 2014 ; que M. F...A...et Mme D...A...relèvent appel du jugement en date du 31 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision portant refus de délivrer les visas sollicités ;
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le lien matrimonial
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date où la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visas ;: " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et apatrides les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état-civil. L'office est habilité à délivrer dans les mêmes conditions les mêmes pièces aux bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité de les obtenir des autorités de leur pays. Le directeur général de l'office authentifie les actes et les documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) " ; qu'aux termes du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 : " La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. " ;
3. Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, au lendemain de leur publication au Journal officiel ; qu'il en résulte que, à compter de cette date, les documents établis par le directeur de l'OFPRA en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font foi, en ce qui concerne la procédure de réunification familiale, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue par les articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance par l'article R. 633-1 du code de justice administrative, qu'elle qu'ait été la date de leur délivrance et sont applicables à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas opposés au conjoint et enfants du demandeur ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces que M. F...A..., qui a été admis au statut de réfugié, a produit un certificat établi le 8 mars 2012 par le directeur de l'OFPRA, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage avec Mme C...D...A...en mai 2009 à Mogadiscio ; qu'en l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant M. F...A...et Mme D...A... ; que c'est ainsi à tort que le tribunal administratif a rejeté les conclusions en annulation dirigées contre le refus de visa opposé à Mme D...A... ;
En ce qui concerne le lien familial
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ;qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état-civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ;
6. Considérant que l'administration est en droit de refuser la délivrance de visas de long séjour à des personnes se disant membres de la famille d'une personne à laquelle a été reconnu en France le bénéfice de la protection subsidiaire, lorsque le lien familial, matrimonial ou de filiation, n'est pas établi, notamment en raison de l'absence de caractère probants des documents d'état civil présentés pour établir ce lien ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. F...A...a produit à l'appui du recours formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, pour chacun de ses enfants allégués, un document daté du 10 avril 2013, intitulé " birth certificate " établi par l'ambassade de Somalie en Ethiopie ; que, toutefois, aucune des mentions figurant sur ces documents n'indique qu'ils émaneraient effectivement de la section consulaire de cette ambassade, alors même que leur auteur, tel qu'il y est identifié, M.E..., a la qualité d'attaché commercial auprès de cette ambassade ; qu'il ne ressort également pas des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir le ministre sans être sérieusement contredit sur ce point, que les autorités diplomatiques somaliennes en poste en Ethiopie, faute de disposer d'autres registres d'état-civil que ceux établis par leurs soins dans leur ressort territorial, soient à même de produire des documents tenant lieu d'actes de naissance pour des enfants dont la municipalité de naissance, telle qu'elle y est indiquée, serait Mogadiscio ; que si M. F...A...produit également deux documents datés des 17 février et 11 mars 2014 établis par l'ambassade de Somalie en Ethiopie, là encore sans aucune mention qui atteste qu'ils émaneraient de la section consulaire de l'ambassade, indiquant que cette dernière est habilitée à délivrer des documents d'état-civil et que les documents produits sont authentiques, ces documents ne se réfèrent à aucun texte précis de droit somalien, d'une part, et leur auteur, alors que son identité reste identique, se prévaut tantôt de la qualité de " First Counselor " et tantôt de celle de " Charge de Affair " ; que le second de ces documents est par ailleurs rédigé de manière incorrecte, la rédaction de son premier paragraphe étant inachevée ; que de tels documents ne peuvent ainsi être regardés comme faisant foi au sens des dispositions de l'article 47 du code civil précité ; que, dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a pu estimer que lien de filiation entre M. F...A...et ses enfants allégués ne pouvait être regardé comme établi au regard des documents d'état-civil produits ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que M. F...A...peut toutefois se référer, en l'absence d'actes d'état-civil, aux dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la possibilité de se prévaloir, selon les règles définies par l'article L.311-1 du code civil, de l'existence d'éléments de possession d'état ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a toujours été constant, dès son entrée en France, dans ses déclarations relatives à la composition de sa famille ; qu'il a de même accompli plusieurs voyages en Ethiopie, pays où se sont installés Mme D...A...et ses enfants ; qu'il établit avoir procédé à des transferts d'argent en leur faveur, dont il n'a pu assurer la régularité qu'à partir du moment où sa propre situation matérielle était stabilisée ; qu'il produit des relevés de conversation à destination de l'Ethiopie via par le biais de logiciels de communication internet ; qu'il a fait procéder, lors de son dernier séjour en Ethiopie en 2014 à une série de tests génétiques établissant la quasi-certitude de sa paternité envers ses enfants allégués ; qu'il a introduit à son retour en France, face à l'absence de reconnaissance par le droit français de toute reconnaissance du résultat de ces tests, une procédure devant le TGI de Pontoise afin qu'il soit de nouveau procédé à de tels tests ; que M. F...A..., compte tenu de la constance dont il a ainsi fait preuve dans sa volonté d'établir l'existence de son lien de paternité vis-à-vis de ses enfants allégués et de maintenir avec eux des contacts réguliers à défaut d'être fréquents, doit ainsi être regardé, compte tenu également des circonstances particulières s'attachant à la situation de ses proches, comme établissant l'existence d'une situation de possession d'état révélant son lien de paternité envers les enfants Ayanle, Ayoub, Ismael, Abdourahman, Samira, Zamzam, A..., Safi et Sumaya ; que c'est ainsi à tort que le tribunal administratif a rejeté les conclusions en annulation dirigées contre le refus de visa opposé à ces derniers ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. F...A...et Mme D...A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation des refus de visas opposé à Mme D...A...et à ses enfants ;
Sur les conclusions en injonction :
10. Considérant que le présent arrêt implique pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme D...A..., à Ayanle AhmedF..., à Ayoub AhmedF..., à Ismael AhmedF..., à Abdourahman AhmedF..., à Samira AhmedF..., à Zamzam AhmedF..., à A...AhmedF..., à Safi Ahmed F...et à Sumaya Ahmed F...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant que M. F...A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, avocat de M. F...A..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 6 février 2014 et le jugement du tribunal administratif du 31 mai 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer un visa de long séjour à Mme C...D...A...et aux enfants Ayanle, Ayoub, Ismael, Abdourahman, Samira, Zamzam, A..., Safi et Sumaya Ahmed F...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B... F...A..., à Mme C...D...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. Sacher, premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 mai 2018.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
H. LENOIRLe greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT03708