1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 30 décembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités à ses trois enfants, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à tout le moins au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de ses trois enfants, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocate renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le lien de filiation entre ses enfants et elle est établi ;
- la décision a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 mai 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'en l'absence d'élément nouveau probant permettant d'établir tant l'identité des demandeurs que la réalité des liens familiaux allégués, il entend se référer à l'ensemble de ses écritures en défense ainsi qu'aux pièces jointes fournies lors de la première instance.
Par une décision du 2 juillet 2018, Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les observations de Me C...représentant MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., de nationalité guinéenne, née le 5 janvier 1982 à Télimélé (Guinée), a obtenu ainsi que son époux le statut de réfugié le 30 juillet 2014. Elle soutient avoir donné naissance, le 5 décembre 2002 à l'enfant Diaraye A...et le 2 mai 2005 aux enfants Yaya et BintaA..., tous nés à Télimélé (Guinée) et orphelins de père. Le 30 décembre 2015, les autorités consulaires françaises à Conakry ont refusé la délivrance aux trois enfants de visas de long séjour pour établissement familial. Mme A...a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours préalable qui a été rejeté par une décision du 8 avril 2016. Elle a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision ainsi que celle opposée par les autorités consulaires. Par un jugement du 7 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande. Mme A...fait appel de ce jugement.
2. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la demande de visas de long séjour, la commission de recours s'est fondée, d'une part, sur le fait que les actes de naissance produits par la requérante ne sont pas conformes à la loi locale, ont été établis sur la base de jugements supplétifs rendus le même jour, après le décès des pères respectifs des enfants et un mois avant la demande de visas de sorte qu'ils ne permettent pas d'établir le lien de filiation entre les demandeurs de visas et la requérante et, d'autre part, sur le fait que celle-ci n'apporte pas d'éléments suffisamment probants permettant d'établir qu'elle a contribué ou contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants allégués.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. D'une part, pour établir l'identité et le lien de filiation de l'enfant DiarayeA..., un premier acte de naissance est produit, daté du 12 mai 2002, alors que la naissance a eu lieu le 5 décembre 2002. Toutefois, un 2ème acte de naissance est produit, dressé le 17 décembre 2002 et portant les mêmes numéros d'acte, de feuillet et de registre et exempt de toute anomalie. Si le ministre fait valoir que la personne ayant reçu la déclaration n'est pas la même que dans le 1er acte, cela n'est pas établi. La seule circonstance qu'un 3ème acte de naissance a été communiqué, établi sur la base d'un jugement supplétif lui-même produit, du 12 mai 2005 et qui est donc superfétatoire, ne saurait ôter au 2ème acte son caractère probant, ni le jugement supplétif ni le 3ème acte ne comportant de discordances par rapport à ce 2ème acte. Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur d'appréciation en rejetant la demande de visa litigieuse au motif que l'identité et le lien de filiation de Diaraye A...avec la requérante n'étaient pas établis.
6. D'autre part, s'agissant des enfants Yaya A...et BintaA..., les seules circonstances que des jugements supplétifs superfétatoires aient été obtenus alors que les enfants précités étaient déjà titulaires d'actes de naissance, que ces jugements et actes ont été établis le même jour et que ces derniers comportent des dates qui ne sont pas mentionnées en toutes lettres mais en chiffres, contrairement à l'article 179 du code civil guinéen, ne suffisent pas à ôter tout caractère probant aux actes d'état-civil produits. Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur d'appréciation en rejetant la demande de visa litigieuse au motif que l'identité et le lien de filiation de Yaya A...et Binta A...avec la requérante n'étaient pas établis.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Eu égard aux motifs qui le fondent, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit fait droit à la demande de visas présentée pour les enfants Diaraye, Yaya et Binta A...les visas sollicités. Il y a lieu par suite d'enjoindre au ministre de procéder à cette délivrance dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, Me C..., son avocate, peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me C...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 7 février 2018 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 30 décembre 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants Diaraye, Yaya et Binta A...des visas de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C...une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 juillet 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N°18NT03198