Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mai et le 6 juin 2016, Mme C..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er mars 2016 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler, à titre principal, l'arrêté du préfet du Calvados du 14 octobre 2015, ou, à titre subsidiaire, la décision portant obligation de quitter le territoire ;
3°) d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard , ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour, dans le même délai et sous la même astreinte, ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa situation, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à Me A...en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette dernière s'engage à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Mme C...soutient que :
- le refus de l'autoriser au séjour pour raisons de santé méconnaît les dispositions du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- ses ressources financières ne lui permettent pas d'accéder aux soins que son état requiert en Algérie ;
- son état de santé nécessite un suivi de long terme ;
- une absence de soins adaptés risque de la rendre totalement aveugle ;
- sa famille encore présente en Algérie ne peut pas aider à sa prise en charge ;
- sa famille présente en France ne dispose pas des ressources financières pour l'aider ;
- les médicaments nécessaires à son traitement sont difficilement disponibles sur le lieu de résidence de ses parents ;
- le refus de l'autoriser au séjour méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le refus de l'autoriser au séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle dispose en France d'un réseau familial qui peut l'aider, ce qui ne serait pas le cas en Algérie ;
- elle conteste la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire en reprenant l'ensemble des moyens précédemment soulevés à l'encontre du refus de titre de séjour.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 juin et 25 octobre 2016 et le 12 janvier 2017, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par la requérante n'est fondé.
Par ordonnance du 2 janvier 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 2 février 2017 à 12 heures.
Un mémoire présenté par le préfet du Calvados a été enregistré le 30 janvier 2017.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91- 1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeC..., ressortissante algérienne, relève appel du jugement du 1er mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté en date du 14 octobre 2015 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français ;
Sur les conclusions en annulation :
2. Considérant qu'aux termes du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte des dispositions précédemment citées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire ; que lorsque le défaut de prise en charge médicale risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine ; que si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est pas sérieusement contesté que MmeC..., déjà aveugle de son oeil gauche, est exposée au risque de perdre totalement l'usage de son oeil droit, dont la vision est déjà extrêmement faible ; que si le préfet du Calvados a établi, par les pièces qu'il a produites dans le cadre du débat contentieux, l'existence d'un établissement hospitalier comprenant un service d'ophtalmologie à Bejaïa, à environ 90 kilomètres du village où résidait habituellement la requérante avant de quitter l'Algérie, et un autre à Sétif, légèrement plus éloigné, il ne ressort pas des pièces du dossier que MmeC..., qui ne peut se déplacer qu'accompagnée, et alors même que son seul parent encore vivant est sa mère désormais âgée de 62 ans, disposerait effectivement des moyens lui permettant de se rendre régulièrement dans cet hôpital, lequel n'est accessible que par la route, au terme d'un trajet durant au minimum 1h30, et ce alors que son état réclame une surveillance régulière et que l'intéressée justifie ne pas bénéficier d'une prise en charge intégrale de ses frais médicaux par le système d'assurance sociale de son pays ; que, eu égard à ce qui précède, Mme C...doit être ainsi regardée comme établissant que des circonstances exceptionnelles, tirées des particularités de sa situation personnelle, font obstacle, au sens des dispositions précitées de l'accord franco-algérien, à ce qu'elle puisse effectivement bénéficier en Algérie des soins que son état requiert ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 octobre 2015 ;
Sur les conclusions en injonction :
6. Considérant que le présent arrêt implique que soit délivré à Mme C...un certificat de résidence d'un an sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérienne du 28 décembre 1968 modifié ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Calvados de procéder à cette délivrance dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : " L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de mettre à la charge de, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge " ;
8. Considérant, que Mme C...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son conseil peut se prévaloir des dispositions sus-rappelées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me A...sous réserve que cet avocat renonce expressément à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal de Caen et l'arrêté du préfet du Calvados du 14 octobre 2015 sont annulés.
Article 2: Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à Mme C...un certificat de résidence mention " vie privée et familiale " d'un an dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me A...une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Massiou, premier conseiller.
Lu en audience publique le 3 avril 2017.
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT01606