Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 janvier et 2 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Dubourg, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Fougères le versement, chacun, de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance de l'article L. 2243-4 du code général des collectivités territoriales en ce qu'il prévoit un délai de prise de possession de l'immeuble inférieur à deux mois ;
- la délibération du 28 septembre 2017 de déclaration de l'immeuble en état d'abandon manifeste, prise par le conseil municipal, est entachée d'illégalité ; l'arrêté contesté est donc entaché d'illégalité par voie d'exception ; pour les mêmes raisons, il a été pris sur une procédure irrégulière ; il n'a pas été mis à même d'effectuer les travaux dans les délais impartis par la commune ;
- l'opération ne présente pas d'utilité publique ; la commune projette d'utiliser le bâtiment pour l'accueil de logements et de cellules commerciales ; elle ne démontre pas qu'elle ne disposerait pas de bien équivalent permettant la réalisation de son projet ; il poursuit lui-même un projet équivalant ;
- la procédure dérogatoire d'expropriation adoptée par la commune l'a privé des garanties liées à la procédure d'expropriation.
Par des mémoires enregistrés les 30 avril et 8 octobre 2021, la commune de Fougères, représentée par la Selarl Thomé Heitzmann, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2021 le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Dubourg, pour M. A... et de Me Taillet, pour la commune de Fougères.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 16 novembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a déclaré d'utilité publique, au profit de la commune de Fougères, le projet d'acquisition de la parcelle AT 168, en état d'abandon manifeste, située 5, rue de la Fourchette à Fougères en vue d'une opération de restauration de plusieurs immeubles dans cette rue, et a déclaré cessible cette parcelle nécessaire à la réalisation de cette opération. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales : " Lorsque, dans une commune, des immeubles, parties d'immeubles (...) ne sont manifestement plus entretenus, le maire engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d'abandon manifeste. / La procédure de déclaration en état d'abandon manifeste ne peut être mise en œuvre qu'à l'intérieur du périmètre d'agglomération de la commune ". L'article L. 2243-2 du même code dispose que : " Le maire constate, par procès-verbal provisoire, l'abandon manifeste d'une parcelle (...). Ce procès-verbal indique la nature des désordres affectant le bien auxquels il convient de remédier pour faire cesser l'état d'abandon manifeste. (...) ". Aux termes de l'article L. 2243-3 du même code : " A l'issue d'un délai de trois mois à compter de l'exécution des mesures de publicité et des notifications prévues à l'article L. 2243-2, le maire constate par un procès-verbal définitif l'état d'abandon manifeste de la parcelle ;(...) Le maire saisit le conseil municipal qui décide s'il y a lieu de déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et d'en poursuivre l'expropriation au profit de la commune (...), en vue soit de la construction ou de la réhabilitation aux fins d'habitat, soit de tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement. / La procédure tendant à la déclaration d'état d'abandon manifeste ne peut être poursuivie si, pendant le délai mentionné à l'alinéa précédent, les propriétaires ont mis fin à l'état d'abandon ou se sont engagés à effectuer les travaux propres à y mettre fin définis par convention avec le maire, dans un délai fixé par cette dernière. (...) ". Aux termes de l'article L. 2243-4 du code général des collectivités territoriales : " L'expropriation des immeubles, parties d'immeubles (...), installations et terrains ayant fait l'objet d'une déclaration d'état d'abandon manifeste peut être poursuivie dans les conditions prévues au présent article. / Par dérogation aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le représentant de l'Etat dans le département, au vu du dossier et des observations du public, par arrêté : (...) / 5° Fixe la date à laquelle il pourra être pris possession après paiement ou, en cas d'obstacle au paiement, après consignation de l'indemnité provisionnelle. Cette date doit être postérieure d'au moins deux mois à la publication de l'arrêté déclaratif d'utilité publique. (...) ".
3. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que l'arrêté préfectoral du 1er octobre 2018 méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 2243-4 du code général des collectivités territoriales, moyen que M. A... se borne à réitérer en appel sans précision ou argumentation supplémentaires.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a acquis, le 21 janvier 2006, un immeuble ancien situé 5, rue de la Fourchette à Fougères, qu'il a mis en location à compter du 1er janvier 2012. Le 10 mars 2014, à la suite d'un rapport d'expert établi le 10 février précédent à la demande de la commune, constatant notamment une importante voie d'eau au rez-de-chaussée du bâtiment, le développement de champignons lignivores et la fissuration de la souche d'évacuation des cheminées ainsi que la nécessité urgente d'engager un diagnostic complet de l'immeuble, la commune de Fougères a mis en demeure M. A... d'intervenir sur sa propriété. Le 5 mars 2015, après avoir sollicité une nouvelle expertise, la commune de Fougères a demandé à M. A... de remédier aux désordres constatés. Par une ordonnance du 5 mars 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes a résilié le bail et a prononcé l'expulsion du locataire. Un nouveau rapport d'expert, établi le 21 mars 2015, ayant estimé le péril de l'immeuble avéré et imminent, le maire de Fougères, par un arrêté du 24 avril 2015 portant péril imminent, a mis en demeure M. A... de procéder, dans un délai de quatre semaines, à l'abattage de la souche d'évacuation des fumées et à un diagnostic complet de l'immeuble au regard de la présence de lignivores, après mise à nu des maçonneries. A défaut pour M. A... d'avoir effectué les travaux, la commune les a entrepris d'office avant de faire constater l'état du bâtiment et l'ampleur des dégradations par un rapport d'expert du 25 mars 2016. Se fondant sur ce rapport, le maire de Fougères a, par un procès-verbal provisoire du 7 juillet 2016, constaté l'état d'abandon manifeste du bien et a demandé à M. A... de réaliser, dans un délai de trois mois, les travaux propres à mettre fin à cet état.
5. Il ressort, également, des pièces du dossier que, par lettre du 1er septembre 2016 adressée à la commune, en réponse à la constatation par le procès-verbal provisoire du 7 juillet 2016 de l'état d'abandon manifeste, M. A... a fait savoir à la commune qu'il s'employait à faire établir des devis pour réaliser des travaux dans cet immeuble. Il ne s'est toutefois pas engagé à effectuer les travaux propres à mettre fin à l'état d'abandon manifeste par une convention avec le maire, ni même n'a demandé que lui soient accordés des délais supplémentaires pour les effectuer. Par ailleurs, compte tenu des différentes procédures diligentées à son encontre, notamment de péril imminent, depuis le mois de mars 2014, et de ce que le bail avait été résilié depuis le 5 mars 2015, et alors qu'il lui appartenait, dans ces circonstances, de procéder dès l'engagement de ces procédures aux diligences nécessaires, le cas échéant, pour accéder à l'immeuble en cause, il ne peut sérieusement se prévaloir de ce qu'il n'aurait pas été en mesure de procéder aux travaux avant la date du 10 octobre 2016 à laquelle la commune lui a remis les clés déposées à la mairie par son ancien locataire. Si l'intéressé soutient encore qu'une partie des dégradations, notamment l'effondrement pour partie du mur pignon, serait imputable à la commune lorsqu'elle a fait démolir le bâtiment voisin, il ne l'établit pas par les photographies qu'il produit, qui laissent apparaitre une construction existante au travers du mur qui s'est effondré alors, en outre, que tous les rapports d'expertise soulignent un état de très grande dégradation de l'immeuble dans son ensemble, lié à des infiltrations d'eau, à l'infestation de champignons et, d'une manière générale, à l'absence de travaux d'entretien. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas été mis à même d'effectuer les travaux dans les délais impartis par la commune au motif que cette dernière " devait préalablement réparer les dégâts qu'elle avait occasionnés ". Par suite, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la délibération du 28 septembre 2017 par laquelle le conseil municipal de Fougères a déclaré cet immeuble en état d'abandon manifeste et décidé d'en poursuivre l'expropriation au profit de la commune, de même que les moyens tirés de ce que l'arrêté préfectoral a été pris sur une procédure irrégulière et est entaché d'une erreur de droit du fait de l'illégalité de cette délibération, ne peuvent qu'être écartés.
6. En troisième lieu, il appartient au juge, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.
7. L'opération déclarée d'utilité publique litigieuse a pour objet la restauration d'un ensemble constitué, outre de la parcelle bâtie AT 168, des immeubles y attenant édifiés entre les n°s 5 bis et 13 de la rue de la Fourchette, devant accueillir des logements, des commerces et des hébergements hôteliers, cet ensemble se trouvant accolé aux remparts de la ville, inscrits au titre de la législation sur les monuments historiques, à proximité immédiate du château de Fougères, en vue de la mise en valeur du site et du renforcement de l'attractivité de la commune. Contrairement à ce que soutient le requérant, ce projet présente un intérêt public. En égard à ce qui a été dit aux points 4 et 5, M. A..., qui était également le gérant de la société de la Fourchette, anciennement propriétaire des immeubles situés du 5 bis au 13 de la rue, lesquels ont fait l'objet, le 4 août 2008, d'un arrêté de péril imminent, le 13 décembre 2012, d'une procédure de déclaration d'abandon manifeste puis, le 15 janvier 2014, d'une procédure d'expropriation, et s'est abstenu d'entreprendre des travaux sur ces immeubles ne peut sérieusement soutenir, pour contester l'utilité publique de cette opération, qu'il disposait d'un projet similaire à celui de la commune et qu'il aurait ainsi été privé d'une source de revenus.
8. En dernier lieu, et alors qu'ainsi qu'il vient d'être dit l'opération répond à un objectif d'intérêt général, le moyen à le supposer soulevé, tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'un détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la commune de Fougères, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement à M. A... des sommes qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. A... le versement à la commune de Fougères d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera à la commune de Fougères une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à la commune de Fougères.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 21 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00119