Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2021, Mme E... B..., représentée par Me Guillou, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 novembre 2020 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler la décision du 11 avril 2018 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de délivrer une carte nationale d'identité pour sa fille ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas justifié de la compétence du signataire de la décision contestée ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit ; l'absence de lien de filiation entre l'enfant Shanice B... est M. F... n'est pas démontrée ; les actes d'état civil sont opposables à l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frank,
- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B..., ressortissante camerounaise, a déposé le 28 août 2017 auprès du préfet du Finistère une demande de délivrance d'une carte d'identité pour sa fille, C... B..., née le 13 juillet 2017 à Lorient et reconnue par anticipation le 21 décembre 2016 par M. F..., ressortissant français. Par une décision du 11 avril 2018 le préfet du Finistère a refusé de délivrer à Mme B... la carte sollicitée. Mme B... relève appel du jugement du 16 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du préfet du Finistère.
2. En premier lieu, par un arrêté du 21 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département, le préfet du Finistère a donné délégation de signature à
M. D... A..., en sa qualité de chef du Centre d'expertise et de Ressources Titres " cartes nationales d'identité - passeport ", pour signer tout document relevant de la compétence du Centre d'Expertise et de Ressources Titres, à l'exception de certains actes dont ne relève pas la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée du préfet du Finistère du 11 avril 2018 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Aux termes de l'article 30 du même code : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants. ". Aux termes de l'article 31-2 du même code : " Le certificat de nationalité indique en se référant aux chapitres II, III, IV et VII du présent titre, la disposition légale en vertu de laquelle l'intéressé a la qualité de français, ainsi que les documents qui ont permis de l'établir. Il fait foi jusqu'à preuve du contraire (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 visé ci-dessus : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge par les préfets et sous-préfets à tout Français qui en fait la demande dans l'arrondissement dans lequel il est domicilié ou a sa résidence (...). ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 4 du même décret : " (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ". Aux termes de l'article 4-4 du même décret : " (...) La demande de carte nationale d'identité faite au nom d'un mineur est présentée par une personne exerçant l'autorité parentale. (...) ".
5. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives, qui ne sont pas en état de compétence liée, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que pour refuser de délivrer à l'enfant Shanice B... une carte nationale d'identité, le préfet du Finistère s'est fondé sur ce que M. F... a frauduleusement reconnu la paternité de la fille de Mme B..., notamment dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française de l'enfant ainsi que le séjour en France de Mme B....
7. Il ressort des pièces du dossier que M. G... ne s'est présenté à aucun des entretiens auxquels il a été convoqué par les services préfectoraux lors de l'instruction de la demande afin de s'expliquer sur la sincérité de la reconnaissance de paternité. Mme B..., qui séjourne irrégulièrement sur le territoire français, n'apporte aucune explication précise sur les circonstances de sa rencontre avec le père allégué de Shanice ou sur la déclaration anticipée de paternité, antérieure de 7 mois à la naissance. Par ailleurs la requérante ne conteste pas sérieusement l'allégation du ministre selon laquelle elle n'a jamais entretenu de liens avec M. G..., qui ne contribue pas à l'éducation ou à l'entretien de l'enfant, et n'exerce pas effectivement sur lui l'autorité parentale. Il ressort en outre des pièces du dossier que, postérieurement à la décision contestée, dans le cadre d'une nouvelle demande de carte d'identité pour l'enfant, M. G... a déclaré que sa relation avec Mme B... " était une relation d'un soir, il n'y a rien eu de plus ensuite ", alors que la requérante a déclaré qu'elle " voyait l'intéressé tout le temps (...) chaque semaine on se voyait à Strasbourg ". Dans ces circonstances, le préfet du Finistère, qui a justifié d'un faisceau d'indices suffisant, doit être regardé comme établissant que la reconnaissance de paternité souscrite par M. G... à l'égard de l'enfant Shanice B... avait un caractère frauduleux. Par suite, le préfet du Finistère, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude, était fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance de la carte nationale d'identité sollicitée par Mme B... au profit de sa fille.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 21 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2022.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
No 21NT00144