Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 et 19 novembre 2019 et le 2 septembre 2020, M. D... E... et Mme H... I..., représentés par Me G..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au profit de Me G... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il a été rendu par un tribunal irrégulièrement composé ;
- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été prise en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'identité de Mme H... I... ;
- la commission de recours a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... E... et Mme H... I... ne sont pas fondés.
Par une décision du 9 septembre 2019, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a accordé à M. D... E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F...,
- et les observations de Me A... substituant Me G..., représentant M. D... E... et Mme H... I....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... E..., ressortissant soudanais né le 1er janvier 1988, est entré irrégulièrement en France le 29 juillet 2015 et a obtenu le statut de réfugié statutaire le 14 juin 2016 par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Le 21 août 2017, sa conjointe, Mme H... I..., ressortissante soudanaise née le 25 septembre 1995, a sollicité, auprès des autorités consulaires françaises à Khartoum, un visa de long séjour dans le cadre de la réunification familiale. Cette demande a été rejetée par une décision du 21 février 2018. Le recours formé le 8 mars 2018 devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été implicitement rejeté. M. D... E... et Mme H... I... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette dernière décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...), si le mariage (...) est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile. / II. - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311- 1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort du courrier du 1er juin 2018, adressé aux requérants en réponse à leur demande de communication des motifs de la décision implicite contestée que, pour rejeter la demande de visa de long séjour présentée par Mme H... I..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés de ce que, d'une part, " l'acte de naissance de la demanderesse a été établi tardivement, 22 ans après l'évènement, 2 ans après son mariage et 4 mois et demi après l'établissement du certificat de mariage par l'OFPRA, ce qui lui ôte toute valeur probante et ne permet pas d'établir son identité et partant son lien familial allégué avec le réunifiant " et, d'autre part, que ce lien familial n'était pas davantage justifié par la voie de la possession d'état en l'absence de pièces suffisamment probantes.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... I... a produit, à l'appui de sa demande de visa, un acte de naissance délivré le 26 avril 2017 par " l'officier compétent " du ministère de l'intérieur soudanais, qui indique qu'elle est née le 25 septembre 1995 de M. H... I... C... et de Mme K... H... I.... La requérante a également produit, devant le tribunal administratif de Nantes, un autre acte de naissance établi le [illisible] 1995 par le directeur de l'hôpital de Port Soudan, du ministère fédéral de la santé, qui indique qu'elle est née le 25 septembre 1995 de M. H... I... C... B... et de Mme K... H... I.... S'il est vrai que la production de deux actes de naissance différents pour une même personne est de nature à remettre en cause leur valeur probante, les requérants soutiennent qu'ils croyaient nécessaire de fournir, à l'appui de la demande de visa, un acte de naissance datant de moins de trois mois. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que les deux actes font référence au même numéro d'inscription au registre d'état civil, à savoir le no 1492, et que la compétence en matière d'état civil a été transférée, en 2011, du ministère de la santé au ministère de l'intérieur, de sorte que l'acte établi en 2017 peut être regardé comme une copie de l'acte établi en 1995 à la naissance de l'intéressée. En outre, les deux documents comportent des mentions identiques quant à la date de naissance et au sexe de l'enfant, ainsi qu'aux noms et prénoms de la mère, et indiquent que les parents de la requérante résidaient alors à Port-Soudan. S'il est vrai qu'il existe, entre les deux actes, une discordance quant au nom du père de la requérante, et donc quant au nom de cette dernière compte-tenu de l'usage au Soudan de prendre pour patronyme le nom du père, les requérants versent au dossier une attestation du 27 octobre 2019 d'un officier de la section de Bahr Al Ahmar - Port Soudan de la direction générale de l'état civil, ainsi qu'une attestation non datée du directeur du comité populaire de Hay El Matar à Port-Soudan, dont il résulte que Fatma H... I... C... B... et Fatma H... I... C... sont une seule et même personne. L'attestation du 27 octobre 2019 d'un officier de la section de Bahr Al Ahmar - Port Soudan de la direction générale de l'état civil mentionne également que Mme H... I... est née à l'hôpital de Port-Soudan le 25 septembre 1995 sous le no 283547, qui correspond au numéro figurant sur l'acte de naissance établi en 1995 par le directeur de l'hôpital de Port Soudan. Enfin, la requérante verse au dossier une copie de son passeport et de sa carte d'identité, qui comportent des mentions identiques quant à son nom et à sa date de naissance. Ainsi, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'identité de Mme H... I... doit être regardée comme établie.
6. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. D... E..., placé sous la protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, a produit un certificat de mariage établi le 9 décembre 2016 par le directeur de l'Office, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage avec Mme H... I..., le 24 mars 2015 à Port Soudan. Dès lors, en l'absence de fraude, le certificat de mariage du 9 décembre 2016 fait foi en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant M. D... E... et Mme H... I....
7. Par conséquent, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité et le lien matrimonial de Mme H... I... avec le réunifiant n'était pas établi.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... E... et Mme H... I... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de visa de Mme H... I.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité par Mme H... I... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. D... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me G... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juin 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à la demande de Mme H... I... tendant à se voir délivrer un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me G... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D... E... et Mme H... I... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... D... E... et Mme L... H... I..., à Me G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président-assesseur,
- M. F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
Le rapporteur,
F.-X. F...Le président,
T. Célérier
Le greffier,
C. Goy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 19NT04315