Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juillet 2019 et 9 juin 2020, M. E... D... et M. B... D..., représentés par Me G..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de condamner l'Etat et la commune de l'Île-Tudy solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, ou encore chacun pour la part qui lui incombe, à leur verser une indemnité d'un montant de 2 250 204,76 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison des fautes commises par l'Etat et la commune ainsi que pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy le versement chacun de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'Etat et la commune de l'Île-Tudy ont commis des fautes en prescrivant des mesures disproportionnées par rapport à l'objectif de sécurité publique poursuivi et en interdisant la réalisation de locaux de sommeil en rez-de-chaussée dans l'arrêté du 23 janvier 2014 portant non-opposition à déclaration préalable de changement de destination ;
- l'Etat et la commune de l'Île-Tudy ont eu des agissements fautifs en demandant à la société Adim Ouest de suspendre la réalisation de son projet et en l'informant qu'ils s'opposeraient systématiquement aux demandes d'autorisations d'urbanisme, en attendant que les nouvelles règles et prescriptions soient fixées dans les zones soumises à un risque de submersion marine ;
- les procédures contentieuses engagées par le préfet du Finistère contre l'arrêté du 24 novembre 2012 sont fautives ;
- le retard pris dans l'élaboration et l'adoption du plan de prévention des risques littoraux est fautif ;
- la prescription leur interdisant de réaliser des locaux de sommeil en rez-de-chaussée a fait peser sur eux une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif de sécurité poursuivi, susceptible d'engager la responsabilité sans faute de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy ;
- le préjudice financier constitué de la perte de valeur vénale de leur bien immobilier s'élève à la somme de 2 175 000 euros ;
- les frais d'avocats s'élèvent à la somme de 5 204,76 euros ;
- ils ont subi des troubles dans leurs conditions d'existence qui peuvent être évalués à la somme de 40 000 euros ;
- leur préjudice moral peut être évalué à la somme de 30 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2020, la commune de l'Île-Tudy, représentée par la société d'avocats Le Roy-F...-Prieur, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable ; la société Euromer a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Quimper du 27 septembre 2013, de sorte qu'en application de l'article L. 614-9 du code de commerce, seul le liquidateur est recevable à exercer les droits de la société ;
- les moyens invoqués par les consorts D... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 10 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 20 juillet 2020 à 12h.
Un mémoire en défense présenté par le ministre de la transition écologique a été enregistré le 20 juillet 2020 à 19h10, après la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- les observations de Me C..., substituant G..., pour les consorts D... et celles de Me F..., pour la commune de l'Île-Tudy.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D... et M. B... D... étaient propriétaires d'un ensemble immobilier situé 6 avenue Teven sur le territoire de la commune de l'Île-Tudy et comprenant un hôtel de tourisme d'une soixantaine de chambres réparties en trois bâtiments et d'un camping de soixante emplacements. En mai 2010 puis en septembre 2012, les consorts D... ont signé des promesses de vente pour un prix respectivement de 2 875 000 euros et de 1 200 000 euros. Les éventuels acquéreurs auraient toutefois renoncé à l'acquisition du bien immobilier, compte tenu des prescriptions nouvelles imposées par les services préfectoraux et la commune de l'Île-Tudy, pour prévenir le risque de submersion marine, à la suite de la tempête Xynthia. En avril 2014, les consorts D... ont finalement cédé leur bien immobilier au prix de 700 000 euros. Les consorts D... ont adressé au préfet du Finistère et à la commune de l'Île-Tudy deux réclamations préalables indemnitaires, réceptionnées le 28 décembre 2015 et implicitement rejetées. Par un jugement du 3 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. E... D... et M. B... D... tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy à leur verser une indemnité d'un montant de 2 250 204,76 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison des fautes commises par l'Etat et la commune ainsi que pour rupture d'égalité devant les charges publiques. Les consorts D... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy :
S'agissant de l'illégalité de l'interdiction des locaux de sommeil au rez-de-chaussée prescrite par l'arrêté du 23 janvier 2014 :
2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
3. Pour apprécier si les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, il appartient à l'autorité compétente en matière d'urbanisme, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent, et pour l'application de cet article en matière de risque de submersion marine, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, en l'état des données scientifiques disponibles, ce risque de submersion en prenant en compte notamment le niveau marin de la zone du projet, le cas échéant, sa situation à l'arrière d'un ouvrage de défense contre la mer ainsi qu'en pareil cas, la probabilité de rupture ou de submersion de cet ouvrage au regard de son état, de sa solidité et des précédents connus de rupture ou de submersion.
4. Il est constant que la commune de l'Île-Tudy était dotée d'un plan de prévention des risques de submersion marine (PPRSM) approuvé le 10 juin 1997, dont il résulte que les parcelles des consorts D... étaient classées dans leur majeure partie en zone " B1 - le Sillon Bas ", zone fortement exposée aux risques de submersion marine. A la suite de la tempête Xynthia survenue en février 2010, la circulaire interministérielle du 7 avril 2010 préconise, d'une part, l'élaboration et la mise à jour des plans de prévention des risques littoraux pour tenir compte des données obtenues lors de la tempête et, d'autre part, que les préfets fassent application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme pour s'opposer à la délivrance d'autorisations d'urbanisme dans les zones à risque fort, sans attendre l'approbation ou la prescription de plans de prévention des risques naturels prévisibles. La circulaire rappelle également que l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permet de refuser ou d'assortir de prescriptions les autorisations d'urbanisme qui comporteraient un risque pour la sécurité publique.
5. Dans le contexte exposé au point 4, un acquéreur intéressé par le bien immobilier des consorts D... a déposé une déclaration préalable pour changement de destination et, par l'arrêté du 24 novembre 2012, le maire de la commune de l'Île-Tudy ne s'est pas opposé à cette déclaration mais l'a assortie de deux prescriptions tenant à l'absence d'augmentation de la population résidente par rapport à l'exploitation de 2010-2011 et à l'obligation de disposer d'un niveau refuge approprié par rapport à la capacité d'accueil. Le préfet du Finistère a déféré cet arrêté à la censure du tribunal administratif de Rennes et, par un arrêté du 23 janvier 2014, le maire de la commune de l'Île-Tudy a pris une nouvelle décision de non-opposition à déclaration préalable, ajoutant aux deux prescriptions initiales une prescription tenant à l'interdiction de locaux de sommeil au rez-de-chaussée et en-dessous d'un niveau de référence des plus hautes eaux.
6. Il résulte de l'instruction que si la commune de l'Île-Tudy était dotée d'un plan de prévention des risques de submersion marine approuvé en 1997, le préfet du Finistère a prescrit, par un arrêté du 16 janvier 2012, l'élaboration du plan de prévention des risques littoraux (PPRL) " Ouest-Odet ", prenant en compte les données recueillies lors de la tempête Xynthia et une nouvelle méthodologie d'évaluation des risques de submersion marine. Par un courrier du 24 janvier 2011, le préfet du Finistère avait porté à la connaissance de la commune de l'Île-Tudy une carte indiquant les zones d'aléa fort correspondant aux zones situées à plus d'un mètre sous le niveau marin centennal. En outre, une circulaire du 2 août 2011 avait identifié la commune de l'Île-Tudy parmi les 303 communes prioritaires pour l'élaboration d'un PPRL. Une nouvelle carte des zones basses littorales a été établie en 2013, remplaçant les précédentes et confirmant que le terrain des consorts D... se situe en zone d'aléa fort de submersion marine (violet), située plus d'un mètre sous le niveau marin centennal. L'arrêté du 23 janvier 2014 précise que le niveau marin de référence au droit de la commune de l'Île-Tudy, réévalué en considération des nouveaux éléments issus de la note méthodologique, est à 3,90 mètres NGF-IGN69 et que le terrain des consorts D..., ayant une cote de niveau variant de 1,40 mètres à 1,95 mètres NGF-IGN69, est susceptible d'être inondé sur une hauteur variant de 1,95 mètres à 2,50 mètres. Par suite et compte du risque identifié de submersion marine, la prescription imposée par l'arrêté du 23 janvier 2014 interdisant les locaux de sommeil au rez-de-chaussée et en-dessous d'un niveau de référence des plus hautes eaux n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif de sécurité publique que défendent les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
S'agissant des agissements fautifs de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy :
7. En premier lieu, il est constant que, dès juillet 2010, la commune de l'Île-Tudy puis les services préfectoraux du Finistère ont informé l'acquéreur intéressé par le bien immobilier des consorts D... de ce qu'à la suite de la tempête Xynthia, de nouvelles études du risque de submersion marine étaient en cours de réalisation et pouvaient donner lieu à un refus d'autorisation d'urbanisme en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ou à de nouvelles prescriptions susceptibles de compromettre le projet d'aménagement de l'intéressé. Contrairement à ce que soutiennent les consorts D..., la commune de l'Île-Tudy et l'Etat n'ont commis aucune faute en agissant de cette manière.
8. En deuxième lieu, en déférant l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable du 24 novembre 2012, puis en contestant devant le Conseil d'Etat l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande de suspension pour tardiveté, le préfet du Finistère a exercé les prérogatives qu'il tient du contrôle de légalité prévu par l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales. Ce faisant, il n'a dès lors commis aucune faute.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 562-1 du code de l'environnement : " I. L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, (...) les tempêtes (...) ". Aux termes de l'article R. 562-2 du code de l'environnement : " L'arrêté prescrivant l'établissement d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles détermine le périmètre mis à l'étude et la nature des risques pris en compte. Il désigne le service déconcentré de l'Etat qui sera chargé d'instruire le projet. / (...) Le plan de prévention des risques naturels prévisibles est approuvé dans les trois ans qui suivent l'intervention de l'arrêté prescrivant son élaboration. Ce délai est prorogeable une fois, dans la limite de dix-huit mois, par arrêté motivé du préfet si les circonstances l'exigent, notamment pour prendre en compte la complexité du plan ou l'ampleur et la durée des consultations. ".
10. Il résulte de l'instruction que le préfet du Finistère a prescrit l'élaboration du PPRL " Ouest-Odet " par un arrêté du 16 janvier 2012 et, par un arrêté du 13 janvier 2015, le délai d'élaboration fixé à trois années a été prorogé de dix-huit mois, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article R. 562-2 du code de l'environnement. L'arrêté du 16 juillet 2016 portant approbation du PPRL n'est dès lors pas intervenu avec retard alors même que la circulaire du 7 avril 2010 préconisait une approbation des nouveaux plans de prévention dans un délai de trois ans. En outre, il résulte de l'instruction que les services préfectoraux ont réalisé des études prenant en compte la méthodologie revue après la tempête Xynthia et ont élaboré de nouvelles cartographies et des documents de travail, transmis aux collectivités territoriales pour leur permettre d'instruire les demandes d'autorisations d'urbanisme en attendant l'approbation des nouveaux PPRL. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à invoquer le retard et l'inaction de l'Etat dans l'élaboration des nouvelles normes applicables.
11. Dans ces conditions, les consorts D... ne sont pas fondés à soutenir que l'Etat et la commune de l'Île-Tudy ont commis des fautes susceptibles d'engager leur responsabilité.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy :
12. Aux termes de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme, alors en vigueur : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code (...) pour (...) l'utilisation du sol, (...). / Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis (...) déterminant un dommage direct, matériel et certain (...) ". Il résulte de ces dispositions que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude d'urbanisme peut prétendre à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.
13. Les consorts D... soutiennent que leur préjudice, constitué principalement de la perte de valeur vénale de leur bien immobilier qu'ils évaluent à la somme de 2 175 000 euros, a été causé par l'interdiction des locaux de sommeil en rez-de-chaussée et en-dessous d'un niveau de référence des plus hautes eaux, prescrite par l'arrêté du 23 janvier 2014 portant décision de non-opposition à déclaration préalable. Si les consorts D... se prévalent du caractère anormal, spécial et hors de proportion de ce préjudice avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, cette interdiction a été décidée sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et l'application faite par l'administration des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ne constitue pas l'institution d'une servitude au sens de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme alors en vigueur. En tout état de cause, à supposer même que cette charge, résultant du risque de submersion marine des parcelles des consorts D..., puisse être regardée comme étant spéciale et anormale, elle n'est pas hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par la prescription tenant à l'interdiction de locaux de sommeil au-dessous d'une certaine hauteur imposée par l'arrêté du 23 janvier 2014 du maire de la commune de l'Île-Tudy, à la suite de la tempête Xynthia. Il suit de là que les consorts D... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que les consorts D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la commune de l'Île-Tudy, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement aux consorts D... de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En outre, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants la somme que la commune de l'Île-Tudy demande au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des consorts D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de l'Île-Tudy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à M. B... D..., à la commune de l'Île-Tudy et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
T. CELERIER Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02545