Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2019, M. B... E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 17 mars 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 17 novembre 2015 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à sa fille mineure C... E... un visa de long séjour demandé en qualité d'enfant d'un ressortissant français ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., son avocat, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation de son lien de filiation avec la demanderesse du visa, lien établi par les actes d'état civil produits et plus particulièrement par un jugement en reconnaissance de paternité rendu par le tribunal pour enfants F... le 2 août 2019 ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que la requête est irrecevable et qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte.
M. E... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 7 janvier 2020 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 21 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. E... tendant à l'annulation de la décision du 17 mars 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 17 novembre 2015 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à sa fille mineure, C... E..., un visa de long séjour demandé en qualité d'enfant d'un ressortissant français. M. E... relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a formé, le 12 avril 2019, une demande d'aide juridictionnelle qui a interrompu le délai de recours contentieux contre le jugement du tribunal administratif du 21 février 2019 et qui a été rejetée par une décision du 7 janvier 2020 du bureau d'aide juridictionnelle. Par suite, la requête de M. E..., enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 6 novembre 2019, n'était pas tardive.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 17 mars 2016 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
3. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur le motif tiré de ce que " l'acte de naissance de C... E... n'est pas conforme au code civil congolais dans la mesure où il a été établi le 21 août 2015, (...) soit 12 ans après sa naissance, opportunément 2 mois avant la date de visa et après l'acquisition de la nationalité française de M. B... E... qui n'a pas mentionné l'existence de cette enfant lors de sa demande de nationalité française en 2006 ", l'identité de la demanderesse et son lien familial allégué avec M. E... n'étant par conséquent pas établis et la production de tels documents relevant d'une intention frauduleuse. La commission de recours a également relevé que le requérant, arrivé en France en 2003, n'apporte aucun élément suffisamment probant de possession d'état.
4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. A l'appui de la demande de visa présentée pour l'enfant C... E..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance du 20 août 2015 ainsi que l'acte de naissance établi sur le fondement de ce jugement supplétif. La circonstance retenue par la commission de recours que le jugement supplétif a été rendu postérieurement à l'obtention par M. E... de la nationalité française et douze ans après la naissance de l'enfant ne suffit pas à remettre en cause l'authenticité des actes ainsi produits. En outre, en cours d'instance, a été produit un jugement en reconnaissance de paternité au bénéfice de M. B... E..., rendu par le tribunal pour enfants F... le 2 août 2019 ainsi que l'acte de naissance rectifié établi le 23 septembre 2019 sur la base de ce jugement, confirmant ainsi le lien de filiation. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Or, ce jugement du 2 août 2019 du tribunal pour enfants F..., ayant décidé que l'enfant C... a pour père M. E..., a été vérifié et déclaré exécutoire sur le territoire de la République française par jugement du tribunal judiciaire de Reims du 29 septembre 2020. Par suite, en retenant l'absence de preuve du lien de filiation entre M. E... et l'enfant mineur pour lequel un visa de long séjour a été demandé, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur l'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant C... E.... Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa à l'intéressée dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. M. E... n'a pas obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat ne peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ses conclusions présentées sur le fondement de ces articles doivent dès lors être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 21 février 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 17 mars 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'enfant C... E... un visa de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04274