Par une requête, enregistrée le 15 mars 2016, le préfet du Calvados demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2016 ;
2°) de rejeter la requête de MmeC....
Le préfet soutient que :
- le tribunal s'est mépris en estimant que les dispositions de l'article L. 313-11-11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avaient été méconnues au cas d'espèce ;
- les documents produits par Mme C...étaient insuffisants pour permettre d'établir en ce qui la concernait l'existence d'une situation humanitaire exceptionnelle ;
- le certificat médical produit par Mme C...est insuffisamment précis et apparaît de surcroît en totale contradiction avec les conclusions que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont tirées de leur examen du dossier de l'intéressée ;
- ce certificat médical ne pouvait pas suffire à établir la véracité de la situation de l'intéressée en ce qui concerne l'impossibilité de poursuivre efficacement son traitement en cas de retour en Géorgie ;
- la décision du tribunal administratif apparaît en contradiction avec le précédent jugement qu'il avait rendu au sujet de MmeC... ;
- la condamnation de l'Etat à payer des frais irrépétibles à Mme C...est inéquitable dès lors que le tribunal administratif n'a pris sa décision qu'au vu d'une pièce produite en cours d'instance ;
Par un mémoires en défense, enregistré le 18 mai 2016, Mme A...C..., représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au profit de son avocat en application des dispositions de l'article L. 761-1 et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocat renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Mme C...fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation que fait valoir le préfet n'est fondé.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juillet 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 29 décembre 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions lors de l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeC..., ressortissante géorgienne, s'est vue délivrer par le préfet du Calvados un titre de séjour sur le fondement de son état de santé valable du 14 août 2014 au 18 juin 2015 ; qu'elle en a sollicité le renouvellement le 30 avril 2015 ; que le médecin de l'agence régionale de santé a rendu à son sujet le 29 juin 2015 un avis selon lequel l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existe pas de possibilité de traitement approprié dans le pays d'origine ; que le préfet du Calvados a toutefois choisi de s'écarter de cet avis et de ne pas autoriser, par un arrêté en date du 7 octobre 2015, le renouvellement du titre de séjour de MmeC..., en lui faisant parallèlement obligation de quitter le territoire français ; que, suite au recours contentieux formé par l'intéressée, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté par un jugement en date du 16 février 2016 dont le préfet du Calvados relève appel ;
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale "est délivrée de plein droit : A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire (...) " ;
3. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C... souffre, selon son psychiatre, d'un " authentique stress post-traumatique secondaire aux évènements vécus dans son pays ", et poursuivait toujours, à la date où le préfet a refusé de lui renouveler le titre de séjour qu'elle avait obtenu en raison de cette même pathologie, à raison d'un entretien par mois, une psychothérapie avec un médecin-psychiatre de l'établissement public de santé mentale de Caen, commencée dès le mois de mars 2012 ; que devant les premiers juges, elle s'est prévalue d'une attestation établie le 27 novembre 2015 par ce psychiatre, selon laquelle son traitement, qui inclut une psychothérapie, serait impossible en cas de retour dans son pays du fait du risque de ne plus pouvoir contrôler sur place son angoisse, conduisant à un échec du traitement, ce médecin ajoutant que, d'un point de vue général " l'évolution d'un état de stress post-traumatique mal ou non soigné peut être celle d'un suicide ou de chronicisation de troubles pouvant impacter la vie sociale, professionnelle et familiale de la patiente " ; que dans le cadre du débat contradictoire de première instance, le préfet du Calvados, qui avait lui-même choisi, comme indiqué au point 1, de s'écarter de l'avis émis par le médecin auprès de l'agence régionale de santé au sujet de l'intéressée pour refuser de renouveler le titre de séjour antérieurement délivré à MmeC..., en estimant que des soins étaient possibles en cas de retour en Géorgie, a fait valoir, après avoir produit des pièces établissant l'existence à Tbilissi, endroit où vivait Mme C...avant de rejoindre la France, de plusieurs établissements hospitaliers spécialisés dans les soins psychiatriques, qu'une telle attestation, insuffisamment précise, ne pouvait à elle seule suffire à établir l'impossibilité pour l'intéressée de pouvoir s'y faire soigner de manière adéquate ; que Mme C...n'a produit, que ce soit devant les premiers juges ou en appel, aucun élément de nature à préciser les séquelles psychologiques dont elle serait atteinte et leurs origines ; qu'en ne fournissant en particulier aucune précision sur la nature des évènements traumatisants qu'elle aurait vécus à Tbilissi, elle n'a pas permis au tribunal administratif d'apprécier en quoi il existerait effectivement un obstacle, dans son cas, à ce qu'elle puisse poursuivre un traitement approprié à son état en cas de retour en Géorgie, alors que le préfet a de son côté et comme déjà indiqué produit les éléments démontrant d'une part que les médicaments constituant le traitement de l'intéressée sont effectivement disponibles en Géorgie et qu'il existe d'autre part à Tbilissi plusieurs établissements hospitaliers spécialisés en soins psychiatriques ; qu'il suit de là que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a pu juger que le refus de renouvellement de son titre de séjour opposé à Mme C...méconnaissait les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de la demande par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...tant devant le tribunal administratif que devant la cour ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour.
6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux, qui comporte l'énoncé des circonstances de fait et de droit qui en constitue le fondement, se trouve ainsi suffisamment motivé ; qu'il ressort des termes mêmes utilisés par le préfet que celui-ci a entendu s'écarter de l'avis rendu le 25 juin 2015 par le médecin auprès de l'agence régionale de santé au sujet de MmeC..., qu'il vise néanmoins, pour rejeter la demande de l'intéressée ; qu'il n'était ainsi nullement tenu d'en mentionner, ne serait-ce que sommairement, les termes ; qu'il indique que des soins adaptés à l'état de santé de l'intéressée sont accessibles dans son pays d'origine ; que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée ne peut ainsi qu'être écarté ;
7. Considérant, en second lieu, que, comme précédemment indiqué, le préfet du Calvados a produit au cours du débat contentieux des pièces qui établissent que Mme C...pourrait trouver en Géorgie les médicaments anxiolytiques qui constituent actuellement son traitement ; que le préfet établit également qu'il existe à Tbilissi, soit l'endroit où habitait Mme C...avant son départ de son pays, des hôpitaux spécialisés en matière psychiatrique ; que Mme C...ne fournit de son côté, comme indiqué au point 3, aucun élément de nature à établir qu'un retour en Géorgie entraînerait nécessairement et ainsi qu'elle l'allègue une réactivation de son état anxieux de nature à rendre effectivement impossible une reprise de sa psychothérapie en Géorgie ; que la circonstance que Mme C...se soit précédemment vue délivrer une autorisation de séjour sur le fondement de son état de santé est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du refus qui lui a ensuite été opposé à l'occasion de sa demande de renouvellement ; que c'est ainsi sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation que le préfet du Calvados a pu refuser de renouveler le titre de séjour de MmeC... ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire.
8. Considérant, en premier lieu, que Mme C...n'établit pas, comme indiqué au points 3 et 7, qu'il lui serait effectivement impossible de poursuivre en cas de retour en Géorgie le traitement médical que son état requiert, alors même que le préfet a démontré que les médicaments qui constituent son traitement y sont disponibles et qu'une psychothérapie pourrait être poursuivie auprès d'un des établissements spécialisés existant à Tbilissi ; qu'elle ne peut ainsi utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
9. Considérant, en second lieu, que Mme C...ne fait état, hormis la présence à ses côtés de son conjoint et de ses enfants, d'aucun lien privé ou familial stable qu'elle pourrait avoir tissé en France, pays où elle ne séjournait, à la date de la décision attaquée, que depuis un peu plus de quatre ans ; que la scolarisation de ses enfants nés en 2007, 2009 et 2011 est elle-même récente et ne révèle aucune insertion particulière dans la société française ; qu'il en va de même de la circonstance que Mme C...ait elle-même trouvé récemment, à partir de septembre 2014, un emploi à temps non complet ; qu'ainsi, eu égard aux caractéristiques et aux conditions de son séjour en France, la décision litigieuse n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs pour lesquelles elle a été prise ; que le préfet n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les différentes demandes que Mme C...a présentées devant l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile en vue d'obtenir le bénéfice d'une mesure de protection ont à chaque fois été rejetées par ces organismes, au motif que les craintes dont faisait état l'intéressé quant aux conséquences d'un éventuel retour en Géorgie ne leur apparaissaient pas fondées ; que Mme C...qui soutient courir le risque d'être exposée en cas de retour en Géorgie à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne produit pour autant aucun élément nouveau de nature à pouvoir laisser supposer que ces structures nationalement compétentes, et dont l'objet même est de traiter ces questions, se seraient méprises en statuant de la sorte ; que, par suite, le préfet a suffisamment et correctement motivé sa décision fixant le pays de retour de Mme C...en indiquant que cette décision ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté en date du 7 octobre 2015 par lequel il a refusé de renouveler le titre de séjour de MmeC... ;
Sur les conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 101 juillet 1991 :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à Mme C...la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif de Caen et ses conclusions d'appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A...C....
Copie en sera adressée au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président,
- M. Francfort, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 18 avril 2017.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
H. LENOIR Le greffier,
C. GOY
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N° 16NT00889