- le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation en jugeant qu'en sa qualité de militaire haut gradé et compte tenu du niveau d'exercice de ses responsabilités, M. D... aurait pu ignorer les divers crimes commis alors qu'il exerçait ses fonctions au sein des forces armées congolaises ;
- sa seule appartenance aux forces armées congolaises, qui se sont rendues coupables de crimes contre l'humanité constitue un motif d'ordre public permettant de lui refuser la délivrance du visa sollicité ;
- il s'en rapporte à ses écritures présentées en première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2019, M. et MmeD..., représentés par MeA..., concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve pour cette dernière de se désister du bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Ils font valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et que les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus.
Mme D...a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me A...représentant M. et MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, a demandé la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de Mme C...E..., naturalisée française en 2015 après avoir obtenu le bénéfice du statut de réfugié en 2009. Les autorités consulaires françaises à Brazzaville ont refusé de délivrer à M. D... le visa sollicité. Saisie d'un recours préalable, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté cette demande de visa. Par une ordonnance du 22 juin 2018, le juge des référés a suspendu l'exécution de la décision implicite de rejet de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa. Par une décision du 27 septembre 2018, prise en exécution de cette ordonnance, le ministre de l'intérieur a pris une seconde décision de rejet. Par un jugement du 12 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M. et MmeD..., annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours et la décision du ministre de l'intérieur du 27 septembre 2018 et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité. Il a été sursis à l'exécution de ce jugement, en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, par un arrêt de la cour du 11 avril 2019. Par la présente requête, le ministre de l'intérieur fait appel de ce jugement du 12 décembre 2018.
Sur la légalité de la décision implicite de rejet de la commission :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la réponse du 30 mai 2018 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France à la demande de communication des motifs de sa décision implicite, que celle-ci est fondée sur la circonstance que M. D...présente un risque sérieux pour l'ordre public eu égard à ses fonctions au sein de l'armée congolaise et à son implication dans des crimes graves commis contre des personnes.
3. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint d'un ressortissant français le visa qu'il demande afin de mener une vie familiale normale et ces autorités ne peuvent, en conséquence, opposer un refus à une telle demande que pour des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs la circonstance que l'étranger demandant la délivrance d'un tel visa ait été impliqué, même comme complice passif, dans la commission de crimes contre l'humanité ou de crimes graves contre les personnes dès lors que sa venue en France, eu égard à l'impact qu'elle aurait sur l'image de la France, au soupçon de complaisance à l'encontre des crimes commis qui pourrait en résulter, aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de sa présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public. Le refus de visa long séjour peut ainsi être opposé au conjoint d'un ressortissant français pour un motif d'ordre public tenant à l'exercice de fonctions de responsabilité au sein d'institutions ou de groupements ayant planifié ou mis en oeuvre des crimes graves contre les personnes.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D...avait le grade d'officier supérieur au sein de l'armée de la république démocratique du Congo et qu'il a été affecté à partir de 2001 à l'unité de " Détection militaire des activités anti-patriotiques " (DEMIAP). A ce titre, il a été affecté comme chef du bureau T3, chargé des opérations à la région militaire de Kinshasa. Il ressort des pièces produites par le ministre de l'intérieur, et notamment des rapports d'organisations internationales, nouveaux en appel, que pendant les années d'affectation de l'intéressé au sein de cette structure à un poste de responsabilité dans la capitale, la DEMIAP était connue pour avoir, notamment dans la région de Kinshasa, mené une répression contre l'opposition par la mise en oeuvre de mauvais traitements et de tortures ainsi que de violences sexuelles sur des femmes soupçonnées de sympathie à l'égard de la rébellion. Il ressort de ces mêmes rapports que la DEMIAP gérait, notamment à Kinshasa, des lieux de détention, officiels ou non, échappant à tout contrôle de l'autorité judiciaire et où la torture et les mauvais traitements étaient pratiqués de manière systématique et que la DEMIAP, comme les autres services de sécurité, pratiquait en toute impunité une politique d'emprisonnement arbitraire, notamment à l'égard des professionnels de l'information. Ainsi, s'il n'est pas établi que M. D...aurait participé personnellement à ces crimes graves contre les personnes ou les aurait planifiés, il est constant que, tout en continuant à exercer ses fonctions et ne pouvant ainsi prétendre ignorer la gravité de la situation, il n'a pris aucune mesure pour les faire cesser ou tout au moins tenter d'y mettre fin. Il n'a pas non plus démissionné de ses fonctions en dépit de la participation avérée de la DEMIAP aux crimes ainsi commis.
5. Par conséquent, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce que M. D...ne présentait pas un risque sérieux pour l'ordre public pour annuler la décision de la commission.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D...devant le tribunal et la cour.
En ce qui concerne les autres moyens :
7. En premier lieu, M. et Mme D...ne peuvent invoquer utilement les dispositions de la déclaration universelle des droits de l'homme, qui ne figure pas au nombre des textes diplomatiques qui ont été ratifiés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.
8. En deuxième lieu, compte tenu du risque sérieux pour l'ordre public lié à la venue en France de M.D..., la commission de recours n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni porté atteinte au principe de protection de l'unité familiale posé l'article 23-1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, par le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, par les recommandations n° R(99) 23 du comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant besoin de la protection internationale du 15 décembre 1999 et par la directive 2003/86/CE du conseil de l'Union européenne du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.
9. En troisième et dernier lieu, l'invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à raison de menaces susceptibles d'être encourues à l'étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d'un visa d'entrée en France. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision en litige méconnaitrait les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la demande de substitution de motif présentée en première instance, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
Sur la légalité de la décision du ministre de l'intérieur du 27 septembre 2018 :
11. Il ressort des pièces du dossier que la décision du ministre de l'intérieur du 27 septembre 2018, prise en exécution d'une ordonnance du 22 juin 2018 du juge des référés du tribunal administratif, est fondée sur l'absence de preuve de l'identité de M. D...et, par voie de conséquence, de son lien matrimonial avec son épouse alléguée.
12. Toutefois, M.D..., qui ne possède plus de document d'identité depuis son évasion de la prison de Makala en 2017, a produit un formulaire de demande de visa, un laissez-passer et une attestation d'enregistrement auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le ministre ne conteste pas sérieusement que ces documents puissent être de nature, dans les circonstances de l'espèce, à établir l'identité de l'intéressé. Il se borne à soutenir que les photographies figurant sur ces documents ne représenteraient pas la même personne et que les signatures de l'intéressé seraient sensiblement différentes, ce qui ne ressort pas des pièces du dossier. L'identité de l'intéressé et son lien matrimonial avec Mayemba Ndandi sont en outre établis par des actes émanant de l'OFPRA. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de l'erreur d'appréciation en ce qui concerne la preuve de l'identité de l'intéressé.
13. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 27 septembre 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
14. L'exécution du présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, n'implique aucune mesure d'exécution, l'annulation de la décision du 27 septembre 2018 prise en exécution d'une ordonnance de référé ordonnant la suspension de la décision de la commission de recours étant à cet égard sans incidence. Le ministre de l'intérieur est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de délivrer à M. D...un visa de long séjour. Les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées en appel par M. D...ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par M. et Mme D...au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes nos 1802461 et 1809584 du 12 décembre 2018 est annulé en tant qu'il a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France refusant à M. D...un visa de long séjour et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D...un visa de long séjour.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme D...à l'encontre de la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'intérieur et les conclusions présentées par M. et Mme D...en appel sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme C... E...épouse D...et à M. B...D....
Délibéré après l'audience du 14 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juillet 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04610