Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 17 juillet 2018, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2018 ;
2°) de rejeter la demande de l'association des parents d'enfants sourds 14 et des autres requérants.
Le ministre soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la circulaire ministérielle n° 2017-011 du 3 février 2017 présentait un caractère réglementaire ;
- cette circulaire n'imposait pas la création d'un parcours de formation du jeune sourd dès lors que la mise en place d'un tel pôle ne constitue qu'une modalité parmi d'autres de la scolarisation des élèves sourds ;
- les modalités de la scolarisation des enfants sourds sont exclusivement définies par les dispositions du code de l'action sociale et des familles ainsi que celles des articles R. 351-21 à R. 351-26 et de l'article L. 112-3 du code de l'éducation ;
- la circulaire du 3 février 2017, dans la mesure où elle devrait être regardée comme présentant un caractère règlementaire, serait illégale en tant qu'émanant d'une autorité incompétente et ne trouverait pas à s'appliquer ;
- le jugement attaqué doit a minima être réformé en ce qu'il enjoint au recteur académique de créer un parcours à la rentrée 2018 ;
- il existe déjà dans l'académie de Caen des possibilités d'accueil des élèves sourds ;
- la mise en place d'un dispositif de type PEJS suppose un important travail de préparation en concertation avec les maisons départementales des personnes handicapées et suppose un travail préalable de recensement qui ne peut matériellement aboutir dans le délai fixé par le tribunal administratif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2018, l'association des parents d'enfants sourds 14, M. et MmeE..., M. et MmeG..., représentés par Me Bouthors-Neveu, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'association des parents d'enfants sourds et les autres requérants font valoir que :
- la circulaire du 3 février 2017, qui rappelle plusieurs dispositions législatives et réglementaires, impose la création dans chaque académie d'un PEJS ;
- la réponse ministérielle publiée au JOAN le 24 octobre 2017 confirme le caractère normatif des dispositions relatives au PEJS ;
- une communication bilingue effective constitue un droit pour les enfants sourds ;
- les modalités actuelles de scolarisation des jeunes sourds méconnaissent les dispositions du code de l'éducation issues de la loi du 11 février 2005.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la circulaire n° 2017-011 du 3 février 2017 du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me Giroudsubstituant Me Bouthors-Neveu, représentant l'association des parents d'enfants sourds 14 ainsi que M. et Mme B...et M. et Mme G...assistés de Mme F...interprète en langue des signes.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B...et M. et Mme G...ont par un courrier daté du 16 octobre 2017 demandé au Recteur de l'académie de Caen et à l'Inspecteur d'académie de mettre en place dans cette académie à la rentrée 2018 un pôle d'enseignement pour les jeunes sourds, où pourraient notamment être scolarisés leurs propres enfants. Par un courrier en date du 6 novembre 2017, l'inspecteur d'académie-directeur académique des services de l'éducation nationale, après avoir rappelé les moyens mis en place par l'académie pour la scolarisation des jeunes sourds, a déclaré rester attentif à leur demande pour la mise en oeuvre d'un pôle d'enseignement pour les jeunes sourds " dans cette phase d'étude de la situation " et " pour adapter les modalités d'accompagnement actuelles ". M. et MmeE..., M. et MmeG..., ainsi que l'association des parents d'enfants sourds (APES) 14 ont formé le 6 janvier 2018 un recours contentieux contre ce courrier qui doit être regardé comme un rejet de leur demande. Le ministre de l'éducation relève appel du jugement du 3 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision, en enjoignant au Recteur de créer un pôle d'enseignement pour les jeunes sourds à la rentrée 2018.
Sur les conclusions en annulation :
2. Il ressort des termes mêmes de la circulaire ministérielle du 3 février 2017 intitulée " Mise en oeuvre du parcours de formation du jeune sourd " que celle-ci tend à mettre en oeuvre les différentes mesures visant à l'amélioration de la scolarisation des élèves sourds décidées lors de la conférence nationale du handicap du 11 décembre 2014. Le ministre, après avoir indiqué que l'offre de scolarisation à destination des jeunes sourds devait évoluer, et rappelé le principe posé par l'article L. 112-3 du code de l'éducation en vertu duquel les jeunes sourds disposent d'une liberté de choix entre une communication bilingue (langue des signes et langue française) et une communication en langue française, y définit les modalités particulières de scolarisation des jeunes sourds, Après avoir rappelé, au point 3 de la circulaire, que les élèves sourds ont un droit fondamental à l'éducation et que ce droit impose au système éducatif de s'adapter aux besoins particuliers de ces jeunes, il détaille ensuite les différents parcours de formation qui leur sont ouverts, dont la scolarisation dans un " pôle d'enseignement pour les jeunes sourds " (PEJS) , dont le contenu est détaillé au point 3.4. Ce point 3.4 définit ce nouveau dispositif " qui permet de regrouper dans un secteur géographique donné des ressources nécessaires à l'accompagnement des élèves ", qui " assure un regroupement d'élèves afin que l'enfant sourd ne se sente pas isolé ", et qui est " constitué d'un ensemble articulé d'établissemets scolaires des premier et second degrés, incluant nécessairement un lycée d'enseignement général et un lycée professionnel, au sein desquels des dispositions sont prises afin que le parcours scolaire de l'élève soit assuré dans une langue qu'il a choisie ". La circulaire, qui prévoit que " Chaque académie propose un PEJS depuis la maternelle jusqu'au lycée, avec les deux parcours définis infra ", précise ensuite les objectifs pédagogiques des PEJS, dont il détaille les différents parcours (parcours bilingue ou parcours en langue française) qui sont offerts aux jeunes sourds.
3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, la circulaire du 3 février 2017 revêt, eu égard à ses termes mêmes qui viennent d'être rappelés, un caractère impératif alors même qu'elle ne précise pas dans quel délai devait intervenir la mise en place du pôle d'enseignement pour les jeunes sourds dans chaque académie. Cette circulaire constitue une mesure d'organisation des moyens de l'administration de l'éducation nationale nécessaires, dans le cadre législatif et réglementaire existant, à une scolarisation des jeunes sourds que le ministre, agissant dans le cadre de son pouvoir d'organisation de ses services, était compétent à édicter. Par suite, le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que M. et MmeB..., M. et Mme G...ne pouvaient pas utilement se prévaloir de la circulaire du 3 février 2017 et que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a fait droit à leur demande d'annulation du refus de création d'un pôle d'enseignement pour les jeunes sourds qui leur avait été opposé par l'inspecteur d'académie - directeur académique des services de l'éducation nationale.
4. En second lieu, l'annulation du refus opposé à la demande de création d'un PEJS dans l'académie de Caen impliquait nécessairement que l'Etat procède à cette création dans un délai raisonnable. Malgré les difficultés matérielles d'organisation que cela impliquait, le tribunal administratif de Caen, en enjoignant le 3 mai 2018, au recteur de l'académie de Caen de créer un pôle d'enseignement pour les jeunes sourds pour la rentrée scolaire de septembre 2018 n'a pas imposé à l'administration un délai inadapté à la mise en oeuvre de cette mesure. Les défendeurs soutiennent d'ailleurs sans être contestés que ce délai a été respecté par l'administration.
5. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête du ministre de l'éducation nationale doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à l'APES 14, une somme de 500 à verser à M. et Mme B...et une somme de 500 à verser à M. et Mme G...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à l'APES 14, une somme de 500 à M. et Mme B...et une somme de 500 à à M. et Mme G...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à l'association des parents d'enfants sourds 14, à M. et Mme C... et Pauline B...et à M. et Mme D...et Christine de Groulard.
Copie en sera adressée, pour information, à la rectrice de l'académie de Caen.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 21 mai 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02703