Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 août 2018, Mme A...B..., épouseC..., représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Calvados du 10 avril 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de ré-examiner sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au profit de Me D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C...soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé qu'elle ne remplissait pas les conditions posées par le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'administration n'apporte aucune preuve de ce que la reconnaissance anticipée de paternité de sa fille effectuée par M. présente un caractère frauduleux ;
-il existe un faisceau d'indices en sa faveur dès lors que M. E...lui verse une pension alimentaire et se conforme au jugement du 8 avril 2014 ayant conclu à un exercice partagé de l'autorité parentale ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire
- elle est protégée contre une mesure d'éloignement par les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle est la mère d'un enfant français ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'autorisation provisoire de séjour qui lui a été délivrée emporte l'abrogation de l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre et il n'y a plus lieu de statuer sue cette dernière décision ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par Mme C...n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 10 septembre 2018, Mme C...a informé la cour de ce qu'elle s'est vue délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler et qu'il n'y a plus lieu de statuer sur l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2018.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er avril 2019.
Un mémoire, enregistré le 16 avril 2019, a été présenté pour Mme C... n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...B..., épouseC..., ressortissante de la République démocratique du Congo, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, en novembre 2011. Sa demande d'asile a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 décembre 2012, puis par la cour nationale du droit d'asile, le 8 juillet 2013. Ayant donné naissance le 16 mars 2013 un enfant français par filiation, elle s'est vue délivrer sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile une carte de séjour temporaire de séjour valable un an, dont elle a obtenu un premier renouvellement. Le préfet du Calvados, saisi d'une seconde demande de renouvellement, a refusé d'y faire droit par une décision du 10 avril 2018, en assortissant celle-ci d'une obligation de quitter le territoire. Mme C...relève appel du jugement du 13 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. Aux termes du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Pour refuser de faire droit à la demande de renouvellement du titre de séjour déposée par MmeC..., le préfet du Calvados s'est fondé sur " un faisceau d'indices suffisant pour établir la fraude " tenant à ce que la reconnaissance anticipée de paternité opérée par un ressortissant français, M. E...au sujet de l'enfant de MmeC..., Jasdie, née le 16 mars 2013, n'était intervenue que dans le seul but de permettre à Mme C...d'obtenir un titre de séjour et de se maintenir sur le territoire français.
5. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, par un jugement du 8 avril 2014, le juge des affaires familiales du TGI de Caen, devant lequel M. E...a comparu, a constaté un exercice commun de l'autorité parentale sur l'enfant Jasdie, a accordé un droit de visite à M. E...et a condamné celui-ci à verser à Mme C...une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. M.E..., selon les déclarations de MmeC..., s'acquitte de ces obligations. La circonstance selon laquelle la réalité du versement de sa contribution ne serait pas établie, celle-ci s'effectuant selon Mme C...en liquide ne peut suffire à établir l'inexistence de toute participation à l'entretien de l'enfant. De même, la circonstance que Mme C...n'a pas produit à l'administration la preuve de ce que, comme elle l'a déclaré lors de l'entretien auquel elle a été convoqué le 17 janvier 2017, elle se rendait régulièrement en région parisienne pour permettre l'exercice du droit de visite ne suffit pas davantage à établir l'absence de tout contact entre Jasdie et son père déclaré. Le fait, qui n'est pas contesté par MmeC..., qu'elle n'ait jamais eu de domicile commun avec M.E..., rencontré selon elle à Paris à l'occasion d'un de ses déplacements pour se rendre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, n'apparaît pas davantage révéler une attitude complaisante de M.E.... La circonstance que Mme C...aurait initialement produit en 2013 des documents d'état-civil et de voyage inauthentiques à l'occasion de sa première demande de titre de séjour, pour regrettable qu'elle soit, ne permet pas non plus d'en déduire le caractère fictif de la reconnaissance de paternité dont a bénéficié son enfant. Enfin, si le préfet a saisi le 6 septembre 2017 le procureur de la République afin de voir diligenter une enquête relative à cette reconnaissance, ce dernier n'y a pas fait suite. Compte-tenu de ce qui précède, et contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, le préfet du Calvados, qui ne produit pas d'éléments suffisamment précis, ne peut être regardé comme établissant que la reconnaissance de paternité souscrite par M. E...avait un caractère frauduleux. Il ne pouvait par suite, refuser pour ce motif, le renouvellement de la carte de séjour temporaire sollicitée par MmeC....
6. MmeC..., par suite, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi :
7. Il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à soutenir que tant l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de son renvoi sont privées de base légale.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme C...est également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions en injonction sous astreinte :
9. Le présent arrêt, qui annule le refus de titre de séjour opposé à MmeC..., implique seulement eu égard au motif qui le fonde que le préfet procède au réexamen de sa situation. Il y a lieu par suite d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me D...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 13 juillet 2018 et l'arrêté du préfet du Calvados du 10 avril 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de procéder au réexamen de la demande de Mme C...et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me D...une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., épouse C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 21 mai 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT03197