Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2017, Mme N... A...I...veuve D...et Mmes L...et O...A...-I..., représentées par MeK..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2017 ;
2°) d'annuler la décision implicite du 5 février 2015 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de leur délivrer un visa de long séjour, et ce dans un délai de huit jours suivant la notification l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer sous huit jours leur demande de visa de long séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les actes de naissance de L...etO..., s'ils comportent quelques incohérences ponctuelles et erreurs matérielles imputables à l'état civil haïtien, ne sont entachés d'aucune fraude ; Mme A...-I... a déclaré ses enfants L...et O...à l'OFPRA ; ses autres enfants ont pu obtenir un visa ;
- la possession d'état est établie, tant par la déclaration de Mme A...-I... à l'OFPRA que par des versements d'argent réguliers, des photographies, des attestations de formation et une attestation médicale non prises en compte par le jugement ;
- les refus de visa sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation et d'une violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la fratrie est séparée et que Mme A...-I... est privée de ses enfants alors qu'elle bénéficie de la protection subsidiaire.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 11 décembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mmes A...-I... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Degommier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme N... A...-I... veuveD..., ressortissante haïtienne née le 20 juin 1970, bénéficiaire de la protection subsidiaire, ainsi que Mmes L...et O...A...-I..., nées toutes les deux le 25 août 1996, qu'elle présente comme ses enfants, relèvent appel du jugement du 4 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision implicite du 5 février 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à ses enfants supposés, L...etO..., des visas de long séjour.
2. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa, ainsi que le caractère frauduleux des actes d'état civil produits.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ; et aux termes de l'article 47 du code civil : "Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. Mme A...-I... déclare être la mère de jumelles, O...etL..., nées le 25 août 1996. A l'appui des demandes de visa présentées par celles-ci pour rejoindre Mme A...-I... en France, ont été produits, pourO..., deux actes de naissance, l'acte de naissance N° 53489, dans lequel l'officier d'état civil ayant reçu la déclaration de naissance est "M M...J..."exerçant en qualité d'officier d'état-civil de Dessalines; les témoins de la naissance sont " Elie DIEUDONNE et le Dr G...C..." et la date de la déclaration est le "samedi vingt huit décembre 1996 à dix heures du matin ", et le second acte de naissance, portant le numéro 53475, dans lequel l'officier d'état-civil ayant reçu la déclaration de naissance est " M B...E...", exerçant en qualité d'officier d'état-civil de Port au-Prince; les témoins de la naissance sont "Fritz NAZAIRE et Mme H...F..." et la date de la déclaration est " le lundi quatorze octobre 1996 à dix heures du matin ". Pour l'enfantL..., ont été produits également deux actes de naissance, l'acte N° 53459, dans lequel l'officier d'état-civil ayant reçu la déclaration de naissance est " M M...J..." exerçant en qualité d'officier d'état-civil de Dessalines; les témoins de la naissance sont "Albert A... Elie et LAFRANCE Antoine " et la date de la déclaration est le "vendredi vingt deux novembre 1996 à dix heures du matin", tandis que l'heure de naissance de 1'enfant présenté est " dix heures du matin ", et un second acte de naissance portant le numéro 61284, dans lequel l'officier d'état-civil ayant reçu la déclaration de naissance est "M. M...J..." exerçant en qualité d'officier d'état-civil de Dessalines ; les témoins de la naissance sont "Elie DIEUDONNE et le Dr G...C..." et la date de la déclaration est " samedi vingt huit décembre 1996 à dix heures du matin", tandis que l'heure de naissance de l'enfant présenté est "deux heures quarante du matin". Les requérantes n'ont fourni aucune explication circonstanciée justifiant la présentation pour chaque enfant, de deux actes de naissance établis à des dates différentes, avec des témoins différents et mentionnant, pour des jumelles, une discordance dans l'heure de naissance. Ces incohérences, qui ne se limitent pas à de simples erreurs matérielles, sont de nature à ôter toute valeur probante aux actes de naissance produits.
6. Par ailleurs, les requérantes, pour établir leur possession d'état, se bornent à présenter à ce titre des versements d'argent peu nombreux, dont aucun n'est antérieur à 2014, des photographies, des attestations de formation et une attestation médicale. Ces seuls éléments ne suffisent pas à établir l'existence d'une possession d'état.
7. Enfin, le lien de filiation n'étant pas établi, le moyen tiré de l'atteinte portée au droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté ; pour le même motif, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait, en refusant de leur délivrer les visas de long séjour sollicités, commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ces décisions sur leur situation personnelle.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'intérêt à agir de Mme N...A...I..., que Mmes A... I...ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées, de même que leurs conclusions tendant au remboursement des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mmes A... I...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme N... A...I...veuveD..., à Mme L... A...I..., à Mme O... A...I...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 novembre 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
J-P. DUSSUET Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03607