Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 décembre 2016, le 11 juillet 2017, M. E... F...et Mme D...A..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 juin 2016 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente, à titre principal, de délivrer aux intéressés les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de leur situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat 1 800 euros au profit de leur avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. E...F...et Mme D...A...soutiennent que :
- les documents qui ont été produits à l'appui des demandes de visas ne méconnaissent ni les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni celles de l'article 47 du code civil ;
- la réalité du lien marital doit être regardée comme établie par le certificat de mariage établi par l'OFPRA en application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les certificats de naissance concernant les enfants ont été délivrés par une autorité centrale ayant une compétence nationale en matière d'état-civil ;
- les refus opposés aux demandes de visas méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 février et le 2 novembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par les requérants n'est fondé.
M. E...F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 2015- 925 du 29 juillet 2015 ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- et les observations de MeB..., représentant M. E...F...et Mme D...A....
1. Considérant que M. E...F..., ressortissant somalien, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire le 9 juin 2011 ; qu'après le rejet par les autorités consulaires françaises locales de Djibouti des demandes de visa de long séjour déposées pour son épouse et ses enfants allégués, il a saisi la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France d'un recours contre ces décisions ; que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté ce recours le 1er août 2014 : que M. E...F...et Mme D...A..., son épouse alléguée, relèvent appel du jugement en date du 23 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours contentieux formé contre cette décision ;
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le lien matrimonial avec Mme D...A...
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date où la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visas ;: " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et apatrides les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état-civil. L'office est habilité à délivrer dans les mêmes conditions les mêmes pièces aux bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité de les obtenir des autorités de leur pays. Le directeur général de l'office authentifie les actes et les documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) " ; qu'aux termes du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 : " La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. " ;
3. Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, au lendemain de leur publication au Journal officiel ; qu'il en résulte que, à compter de cette date, les documents établis par le directeur de l'OFPRA en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font foi, en ce qui concerne la procédure de réunification familiale, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue par les articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance par l'article R. 633-1 du code de justice administrative, qu'elle qu'ait été la date de leur délivrance et sont applicables à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas opposés au conjoint et enfants du demandeur ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E...F..., bénéficiaire du régime de la protection subsidiaire, a produit un certificat établi le 22 septembre 2011 par le directeur de l'OFPRA conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage avec Mme D...A...le 9 février 1991 à Balcad ; qu'en l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant M. E...F...et MmeYussuf A...; qu'il suit de là que M. E... F...et Mme D...A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté leur demande en ce qui concerne le refus de délivrance d'un visa long séjour opposé à Mme D...A... ;
En ce qui concerne la situation des enfants :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état-civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ;
6. Considérant que l'administration est en droit de refuser la délivrance de visas de long séjour à des personnes se disant membres de la famille d'une personne à laquelle a été reconnu en France le bénéfice de la protection subsidiaire, lorsque le lien familial, matrimonial ou de filiation, n'est pas établi, notamment en raison de l'absence de caractère probants des documents d'état civil présentés pour établir ce lien ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E...F...a produit en première instance, pour chacun de ses enfants allégués, un document établi le 5 juillet 2012 par le " General Registration office ", dont le siège se trouve à Mogadiscio, intitulé " birth certificate " le faisant apparaître comme père des enfants Ahmed, Abdulkani, Zahra, Aziza, Sakal, Daoud et Fatouma ; que si le ministre fait valoir que de tels documents sont dépourvus de valeur probante, dès lors que Mogadiscio n'est pas leur commune de naissance, il ne fournit, tant en premier instance qu'en appel, aucun élément de nature à établir que le droit somalien ne permettrait pas à cet organisme de délivrer de tels documents ; que M. E...F...a, au contraire, produit en appel un document établissant la réalité de l'existence de cet office, lequel est distinct de l'administration locale de Mogadiscio, et un document émanant de l'administration de Balcad, commune de naissance des enfants, confirmant l'identité des enfants et de leurs dates de naissance avec celle figurant sur les " birth certificates " précités ; que ce dernier document, bien qu'établi le 20 avril 2017, doit être regardé comme confirmant la validité des mentions figurant sur lesdits " birth certificates " ; que dans ces conditions, le lien de filiation entre les sept enfants précités et M. E...F...doit être regardé comme établi ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...F...et Mme D...A...sont également fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 23 juin 2016, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions d'annulation des décisions portant refus de visas de long séjour pour les enfants ;
Sur les conclusions en injonction :
9. Considérant que le présent arrêt implique pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme D...A...épouse E...F...et aux enfants Ahmed, Abdulkani, Zahra, Aziza, Sakal, Daoud et Fatouma E...F..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les frais liés au litige :
10. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à MeB..., conseil de M. et Mme E...F...une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juin 2016 et la décision du 1er août 2014 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer un visa de long séjour à Mme D...A...épouse E...F...et aux enfants Ahmed, Abdulkani, Zahra, Aziza, Sakal, Daoud et Fatouma E...F..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à MeB..., conseil de M. et Mme E...F..., une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. G... E...F..., à Mme C... D...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président,
- M. Mony, premier président,
- M. Giraud, premier conseiller,
Lu en audience publique le 28 mai 2018.
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT03945