Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 juillet 2017, le préfet du Calvados demande la cour, à titre principal, d'annuler ce jugement et à titre subsidiaire, d'annuler l'article 4 du même jugement tendant à la condamnation de l'Etat à payer la somme de 1 000 euros à Me C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Le préfet soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision de transférer M. B...aux autorités italiennes était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- M. B...n'établit pas que la situation générale en Italie ne permettrait pas d'assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile et que sa réadmission vers l'Italie l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant ;
- il n'existe pas de risque d'interruption du traitement de M. B...pouvant entraîner des conséquences d'une gravité exceptionnelle ;
Vu le jugement attaqué ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2017, M.B..., représenté par Me C..., demande :
1°) l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) le rejet de la requête du préfet du Calvados ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal est parfaitement fondé ;
- en application d'un accord avec le Soudan, il sera renvoyé dans ce pays sans autre forme d'examen de sa situation personnelle ;
- il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017, n° C- 578/16 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité soudanaise, a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français le 12 décembre 2016. Le 3 février 2017, il s'est présenté à la préfecture du Calvados pour y déposer une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Afin de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, il a été procédé au relevé des empreintes digitales de l'intéressé. Après comparaison avec la base de données " Eurodac ", M. B...a été identifié comme ayant pénétré sur le territoire italien où il a déposé une demande de protection internationale. Le 7 février 2017, le préfet du Calvados a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de M.B..., sur le fondement de l'article 20-5° du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le 22 février 2017, les autorités italiennes ont implicitement accepté leur responsabilité de prise en charge. Par deux arrêtés du 11 juillet 2017 notifiés le même jour, le préfet du Calvados a prononcé le transfert de M. B... aux autorités italiennes, ainsi que son assignation à résidence. Saisi par M. B... d'une demande d'annulation de ces décisions, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen y a fait droit par un jugement du 17 juillet 2017 dont le préfet du Calvados relève régulièrement appel.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Il est constant que M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 décembre 2017. Par suite, les conclusions de M. B...tendant à obtenir l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont sans objet. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) " ;
4. En second lieu, dans son arrêt n° C-578/16 PPU du 16 février 2017 visé, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : (...) - dans des circonstances dans lesquelles le transfert d'un demandeur d'asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de l'état de santé de l'intéressé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens dudit article ; - il incombe aux autorités de l'Etat membre devant procéder au transfert et, le cas échéant, à ses juridictions, d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l'état de santé de cette personne. (...) - le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devrait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquerait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'Etat membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013. " ;
5. Il est constant que M. B... souffre de graves problèmes de santé, liés au syndrome de l'immunodéficience humaine dont il est atteint et au suivi médical que son état de santé nécessite. Toutefois, l'Italie bénéficie d'équipements médicaux et d'infrastructures sanitaires similaires à ceux de la France et aucune des pièces produites par le requérant ne permet d'établir qu'il ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés à son état de santé en Italie et d'un suivi médical adapté, eu égard notamment à sa situation de demandeur d'asile. En outre, les affirmations de M. B...selon lesquelles il aurait été privé de soins lors de son passage en Italie ne sont corroborées par aucun élément. Le préfet du Calvados fait également valoir sans être contredit, en s'appuyant sur un avis médical du conseiller santé auprès du directeur général des étrangers en France, que le traitement suivi par l'intéressé est distribué en Italie et que la posologie et l'administration du médicament ne nécessitent pas de précautions ni de manipulations particulières. Il ajoute que le problème de l'interruption du traitement ne se pose pas en cas de transfert dans la mesure où ces médicaments sont conditionnés en flacons de trente comprimés et que leur posologie est d'un comprimé par jour. Selon ce même médecin : " En ce qui concerne une hypothétique interruption du traitement, celle-ci ne pourrait être que délibérée dans la mesure où ces médicaments sont auto-administrés par voie orale et que leur conditionnement est suffisant pour une durée d'un mois ". Dans ces conditions, le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision de transférer M. B...aux autorités italiennes était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, en ce qu'il existait un risque d'interruption du traitement de M. B... pouvant entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
6. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens évoqués par M. B... à l'appui de sa demande.
7. Contrairement à ce qui est allégué, il ressort des pièces du dossier que les autorités italiennes ont implicitement accepté leur responsabilité de prise en charge de l'intéressé le 22 février 2017, suite à une demande en ce sens du préfet du Calvados du 26 juin 2013 sur le fondement de l'article 20-5° du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'aucune demande de prise en charge auprès de autorités italiennes n'a été formulée.
8. M. B... soutient que l'Italie rencontre actuellement des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ainsi que dans la procédure d'asile. Toutefois, il n'établit pas que ces circonstances exposeraient sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La circonstance que l'Italie aurait signé avec le Soudan un traité de coopération lui permettant d'expulser des ressortissants soudanais est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 2° de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.
9. les moyens dirigés contre la décision portant remise aux autorités italiennes étant écartés, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée par M. B... à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence ne peut qu'être écartée par voie de conséquence.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé ses décisions du 11 juillet 2017 portant transfert de M. B... aux autorités italiennes et assignation à résidence.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions combinées des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de M.B....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 17 juillet 2017 est annulé.
Article 3 : la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2018.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT02296