Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 août 2018, Mme B... E..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 14 juin 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 16 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'obtention du statut d'apatride ;
3°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de réexaminer son dossier dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui reconnaître le statut d'apatride ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- même si elle pourrait théoriquement bénéficier de la nationalité érythréenne sur le fondement de la loi du 6 avril 1992 du fait de l'origine de ses parents, toute tentative est vouée à l'échec dès lors qu'elle n'est pas en mesure de produire le moindre document pour justifier de sa naissance et ne parle aucune des langues officielles de ce pays ;
- l'ambassade de l'Erythrée, qu'elle a contactée, a refusé de constater sa nationalité ; elle a réitéré sa demande à deux reprises depuis la décision contestée ;
- en raison des tensions persistantes entre l'Erythrée et l'Ethiopie et de l'application arbitraire de la loi dans ce dernier pays, elle ne peut prétendre à la nationalité éthiopienne sur le fondement de l'article 5 de la loi du 23 décembre 2003. Ainsi que le souligne l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés - OSAR -, les personnes qui pourraient être considérées comme éthiopiennes tout en étant de souche Erythréenne n'ont pas la possibilité de demander la nationalité éthiopienne du fait qu'elles vivent en dehors du pays. Le fait qu'elle parle l'amharique est un indice supplémentaire du caractère probant des indications fournies et atteste qu'elle a passé l'essentiel de sa vie en Ethiopie ;
- ne pouvant donc prétendre à aucune des nationalités, elle doit être reconnue comme apatride.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 septembre 2018, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de New York du 28 septembre 1954 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... est née le 6 avril 1981 à Khartoum au Soudan. Elle a déclaré que ses parents étaient érythréens et qu'elle a vécu, depuis leur décès survenu en 1985 pour sa mère et en 1987 pour son père, et jusqu'en 2006, en Ethiopie à Gondar auprès de sa tante. Selon ses déclarations, elle est retournée, en 2006, au Soudan et vécu six mois à Khartoum, où elle a épousé M. A... D..., et a vécu trois ans en Libye avant d'entrer irrégulièrement en France en juillet 2009. La demande d'admission à l'asile qu'elle a présentée en tant que ressortissante érythréenne a été rejetée par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides les 30 juin 2010 et 4 juillet 2013 et par la Cour nationale du droit d'asile les 30 mars 2012 et 1er avril 2014. Sa fille ayant obtenu le statut de réfugié le 1er avril 2014, elle bénéficie depuis d'une carte de résidente. Le 12 décembre 2016, elle a sollicité auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la reconnaissance de sa qualité d'apatride.
2. Elle relève appel du jugement du 14 juin 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'obtention du statut d'apatride.
3. Aux termes de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides : " 1) aux fins de la présente convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation (...) ". Il incombe à toute personne se prévalant de cette qualité d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches.
4. En premier lieu, Mme E... soutient de nouveau en appel qu'elle n'est pas en mesure de produire le moindre document pour justifier de sa naissance en Erythrée et ne parle aucune des langues officielles de ce pays. Toutefois, il ressort des pièces versées au dossier que Mme E... a, lors de son audition à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, indiqué maîtriser les langues arabe et anglaise, lesquelles sont, outre le tigrigna, les langues officielles de l'Erythrée. De plus, il est constant que la langue amharique qu'elle parle et dans laquelle a eu lieu l'entretien dans le cadre de l'examen de sa demande de la qualité d'apatride a le statut de langue nationale en Erythrée. Par ailleurs, la requérante a également soutenu devant l'Office que sa soeur jumelle, ayant eu un parcours identique au sien, a obtenu des documents érythréens à son retour en Erythrée. Alors que l'entretien mené à l'office le 7 juin 2017 a révélé qu'elle avait ainsi une soeur mais également deux frères vivant encore en Erythrée, elle n'a engagé aucune démarche pour qu'ils puissent le cas échéant témoigner et apporter des éléments pouvant attester de ce que sa mère ou son père était érythréen. La situation invoquée par Mme E..., à savoir sa naissance au Soudan de deux parents érythréens, entre bien ainsi dans le champ d'application de la proclamation de la nationalité érythréenne du 6 avril 1992. Or, à la date à laquelle le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'obtention du statut d'apatride, la requérante n'établit pas avoir entrepris de démarches sérieuses et réitérées pour se voir reconnaître la nationalité érythréenne, n'ayant pas notamment donné suite aux échanges avec l'ambassade de ce pays. Le courrier du 31 mars 2018, postérieur, ne suffit pas à remettre en cause cette appréciation.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E... qui est née le 6 avril 1981 peut également prétendre se voir attribuer la nationalité éthiopienne sur le fondement de l'article 5 de la proclamation sur la nationalité éthiopienne du 23 décembre 2003 dès lors qu'elle déclare avoir vécu en Ethiopie depuis ses six ans jusqu'en 2006. Si la requérante persiste à soutenir en appel que cette loi serait appliquée " de façon arbitraire " en raison des tensions persistantes entre l'Ethiopie et l'Erythrée, le document de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) produit, qui se borne à indiquer qu'en Ethiopie, " il existe une différence considérable entre la loi telle qu'elle est formulée et la façon dont elle est mise en pratique ", n'est pas suffisant pour établir la réalité de cette affirmation. Il est constant, par ailleurs, que la requérante ne s'est d'ailleurs jamais vu opposer de refus de la part des autorités éthiopiennes qu'elle ne justifie pas avoir contactées. Mme E... ne démontre pas ainsi que l'Ethiopie, pays dans lequel elle a résidé près de vingt ans, aurait refusé de la considérer comme une de ses ressortissantes.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme E..., qui n'établit pas entrer dans le champ d'application des stipulations précitées de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 juin 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'obtention du statut d'apatride du 16 juin 2017. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que celles présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. C..., président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.
Le rapporteur
O. C...Le président
H. Lenoir
La greffière
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT03189 5