Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juin et 1er décembre 2017, M. B..., représenté par Me Richard, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 avril 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 22 janvier 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de M. B...dirigé contre la décision de l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de la Loire-Atlantique du 22 mai 2015 refusant d'autoriser son licenciement et, d'autre part, après avoir annulé le refus de l'inspectrice du travail du 22 mai 2015, autorisé l'association ESEAN (Etablissement de santé pour enfants et adolescents de la région nantaise) à procéder à cette mesure pour motif économique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de retrait de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique est entachée d'illégalité car le ministre chargé du travail ne pouvait, au-delà du délai de quatre mois à l'issue duquel est intervenue la décision implicite de rejet, retirer cette décision implicite ;
- le ministre chargé du travail a méconnu les délais qui lui étaient impartis pour répondre au recours hiérarchique ;
- la décision du ministre chargé du travail est insuffisamment motivée en ce qu'elle n'a pris en compte, pour annuler la décision de l'inspectrice du travail du 22 mai 2015, que la notion de reclassement et s'est abstenue de répondre aux autres motifs retenus dans la décision ;
- la réalité du motif économique n'est pas avérée dès lors qu'il est constant, d'une part, que son poste n'a pas été réellement supprimé et que, d'autre part, la réalité des difficultés économiques alléguées n'est pas démontrée ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation, son employeur n'ayant pas respecté son obligation de reclassement telle qu'imposée par les dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail ;
- il existe un lien entre la mesure de licenciement sollicitée et l'exercice de ses mandats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2017, la Fédération d'associations du secteur sanitaire et social prise en son établissement unique, l'ESEAN, conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. B...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les observations de Me Richard, avocat de M. B...et celles de Me C...représentant la Fédération d'associations du secteur sanitaire et social et l'association ESEAN.
Considérant ce qui suit :
1. L'association ESEAN, gérée par la fédération d'associations du secteur sanitaire et social, a demandé le 24 mars 2015 à l'inspection du travail, l'autorisation de licencier pour motif économique M.B..., recruté sous contrat à durée indéterminée en qualité d'architecte projet le 1er juillet 2004 et exerçant les fonctions de responsable entretien maintenance, sécurité et environnement depuis le mois de janvier 2008. M.B..., en tant que membre titulaire de la délégation unique du personnel, délégué syndical et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, avait la qualité de salarié protégé. Par une décision du 22 mai 2015, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de la Loire-Atlantique a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. Saisi sur recours hiérarchique de l'employeur, le ministre chargé du travail a, par une décision du 22 janvier 2016, d'une part retiré sa décision implicite de rejet de ce recours, et d'autre part annulé le refus de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de procéder au licenciement. M. B...relève appel du jugement du 18 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Ce recours est introduit dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet. " ;
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision de l'inspectrice du travail en date du 22 mai 2015 a été notifiée à l'association ESEAN le 26 mai suivant. Cette dernière a formé son recours hiérarchique le 21 juillet 2015, dans le délai de deux mois qui lui était imparti. Par suite le moyen tiré de la tardiveté du recours hiérarchique de l'association doit être écarté comme manquant en fait.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 22 janvier 2016 portant annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 22 mai 2015 et autorisant le licenciement de M. B...:
4. En premier lieu, les éléments relevés par l'inspectrice du travail dans sa décision du 22 mai 2015, selon lesquels l'embauche d'un agent de maintenance avant le départ de M. B... était en cours à la date du licenciement, qu'un contrat avec une entreprise extérieure avait été conclu parallèlement pour la mise à disposition d'un agent d'accueil et de sécurité et qu'une réorganisation du service dans lequel le requérant exerçait ses fonctions avait été lancée avant que la décision d'autorisation de licenciement ne soit accordée, procèdent de l'examen du motif économique du licenciement pour lequel l'autorisation était sollicitée. Le ministre du travail s'étant expressément prononcé sur ce motif économique dans sa décision du 22 janvier 2016, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision visée serait insuffisamment motivée ou aurait omis de répondre au motif pour lequel la demande d'autorisation de licenciement était demandée.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ".
6. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'association ESEAN connaissait, à la date de la décision attaquée, des difficultés économiques sérieuses. Notamment, les rapports du commissaire aux comptes concernant les exercices 2012, 2013 et 2014 font état d'un déficit constaté de 353 000 euros en 2012, 170 000 euros en 2013, 68 000 euros en 2014 et 295 000 euros en 2015. Le taux d'occupation des lits de l'association était de moins de 60 % en 2013 avec une trésorerie nulle en 2014. Le requérant ne saurait remettre en cause les décisions de gestion de l'établissement, notamment l'augmentation de la dotation aux provisions pour risque au cours de l'exercice 2015, pour contester le déficit constaté au titre de ce même exercice. Le service de maintenance, dans lequel M. B... exerçait ses fonctions, a été identifié par l'agence régionale de santé, dans le cadre d'un contrat de retour à l'équilibre, comme pouvant faire l'objet d'une externalisation afin de réduire les coûts financiers. Suite à ces préconisations, l'association a mis en place un plan de restructuration prévoyant notamment une démarche d'externalisation des prestations de la logistique, un plan social avec neuf licenciements économiques et la suppression d'un poste d'encadrement du service maintenance et sécurité, en l'occurrence le poste de M. B.... La circonstance que l'association ESEAN ait procédé au recrutement d'un salarié au poste d'agent de maintenance à temps partiel dans le cadre d'un contrat aidé d'un an après la procédure de licenciement du requérant n'est pas de nature à révéler l'absence de suppression du poste précédemment occupé par le requérant. Dès lors, la réalité du motif économique invoqué est avérée.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'association ESEAN appartiendrait à un groupe au sens des dispositions citées. Si le requérant soutient que l'association ferait partie d'un groupe comprenant les associations " Thetis ", " Les uvres de Pen Bron ", " Les amis de Pen Bron " et " La Villa Notre-Dame ", il ne produit aucun élément justifiant de l'existence de liens économiques ou sociaux entre ces associations tels qu'ils permettraient d'effectuer la permutation de tout ou partie de leurs salariés respectifs. L'association produit un extrait du registre des entrées et des sorties du personnel pour les années 2015 et 2016 attestant qu'elle a été dans l'impossibilité de proposer un poste de reclassement en interne à M. B.... Le requérant ne pouvait prétendre au poste de " contrat aidé " créé le 13 avril 2015 car il ne remplissait pas les critères légaux pour prétendre à ce type de poste qui, en tout état de cause, ne correspondait pas aux anciennes fonctions détenues par le requérant. Il n'est pas contesté que l'association a également mis en oeuvre sans succès une démarche de reclassement externe auprès des cliniques privées de son secteur afin de procéder au reclassement de l'intéressé. M. B... n'établit ni même n'allègue que l'association aurait procédé, pendant qu'elle était soumise à son obligation de reclassement, à l'embauche d'un salarié sur des fonctions non soignantes qu'il aurait pu lui-même exercer. Par suite, eu égard à ces éléments, aux difficultés de l'association tenant notamment à un problème de sureffectifs ainsi qu'au faible nombre de salariés employés, le ministre a pu estimer, sans faire une inexacte application des dispositions citées, que l'employeur de M. B... avait satisfait à son obligation de reclassement.
10. En quatrième et dernier lieu, l'existence d'un lien entre le mandat syndical de M. B... et son licenciement pour motif économique n'est pas établie. En effet, la circonstance que le requérant ait fait l'objet d'une procédure de licenciement pour motif disciplinaire postérieurement à la décision attaquée ou qu'une procédure soit en cours devant le conseil de Prud'hommes pour harcèlement et discrimination n'est pas de nature à démontrer en l'espèce l'existence d'un tel lien. En outre, les pièces versées par l'intéressé à l'appui de ses allégations, lesquelles, soit ne font pas état de sa situation personnelle, soit relatent des faits relativement anciens, ne sont pas davantage de nature à établir l'existence d'un tel lien. M. B...n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'il a été licencié du fait de ses mandats syndicaux.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 22 janvier 2016 portant retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique de M. B...:
11. Le ministre chargé du travail peut légalement, dans le délai de recours contentieux, rapporter sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail refusant le licenciement d'un salarié protégé qui était créatrice de droit, dès lors que ces deux décisions sont illégales.
12. L'association ESEAN a formé le 21 juillet 2015 un recours hiérarchique dirigé contre la décision du 2 mars 2015. Ce recours a fait l'objet d'un rejet implicite le 24 novembre 2015 après l'expiration du délai de quatre mois fixé par les dispositions citées du code du travail. Cette décision implicite de rejet du recours hiérarchique étant entachée d'une erreur d'appréciation quant au respect de l'obligation de reclassement, ainsi qu'il a été dit au point 6, le ministre pouvait donc légalement la retirer par la décision déjà mentionnée du 22 janvier 2016, intervenue dans le délai de recours contentieux.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2016 par laquelle le ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de l'associations ESEAN et, d'autre part, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 22 mai 2015 et autorisé le licenciement deB....
Sur les conclusions incidentes de l'association ESEAN dirigées contre l'article 2 du jugement rejetant sa demande tendant à l'attribution d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige de première instance :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions incidentes de l'association ESEAN tendant à la réformation de l'article 2 du jugement attaqué rejetant sa demande tendant à l'attribution d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige de première instance.
Sur les frais liés au litige devant la cour :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B...demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. B...à verser à l'association ESEAN la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : M. B...versera à l'association ESEAN la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions incidentes de l'association ESEAN sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à l'association " Etablissement de santé pour enfants et adolescents de la région nantaise " et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2018, où siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juin 2018.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
J. FRANCFORT
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT01829