Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2020, M. B... D..., représenté par Me F... E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, d'une part, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois, dans un délai de huit jours suivant la notification du jugement à intervenir et, d'autre part, de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour examen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de transfert :
- elle est insuffisamment motivée en l'absence de mention d'un critère de détermination de l'Etat responsable ; la motivation en fait révèle un défaut d'examen de sa situation ;
- il n'est pas justifié de ce que le préfet de Maine-et-Loire aurait délivré l'information prévue par l'article 4 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, dès l'introduction de sa demande d'asile lors de son passage dans la structure de pré-accueil, une demande de protection internationale étant réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement ;
- les conditions de son entretien individuel n'ont pas respecté les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'agent qui a conduit l'entretien individuel n'était pas qualifié à cet effet ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il a déposé une première demande d'asile en Suisse en 2015 et une nouvelle demande d'asile en Allemagne en mai 2018 ;
- elle méconnait les dispositions de l'article 17-1 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, dès lors qu'il est originaire du Darfour et a fui le Soudan le 31 mai 2015, en raison de la guerre qui y sévissait et du génocide dont est victime la tribu à laquelle il appartient.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale par voie d'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... D... ne sont pas fondés.
M. B... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., ressortissant soudanais, entré irrégulièrement sur le territoire français le 16 décembre 2019 a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 20 décembre 2019. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressé avait déposé une demande d'asile auprès des autorités allemandes, ses empreintes ayant été enregistrées le 1er mai 2018 dans le fichier par les autorités de ce pays. Les autorités allemandes ont été saisies le 23 décembre 2019 d'une demande de reprise en charge sur le fondement de l'article 18-1-b) du règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013. Ces dernières ont fait connaitre leur accord le 3 janvier 2020. Le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé de transférer M. B... D... aux autorités allemandes et de l'assigner à résidence par deux arrêtés du 6 janvier 2020. M. B... D... relève appel du jugement du 6 février 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 janvier 2020.
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. En premier lieu, M. B... D... reprend en appel le moyen invoqué en première instance tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté, en l'absence de mention d'un critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Il y a lieu d'écarter ce moyen par les mêmes motifs que ceux retenus à bon droit par le premier juge au point 5 du jugement attaqué. Par ailleurs, il ne ressort pas de la motivation précise et circonstanciée de cet arrêté que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. B... D... s'est vu remettre, le 20 décembre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, ainsi que le guide du demandeur d'asile. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé, sont rédigés en langue arabe, langue officielle de son pays d'origine dans laquelle il a été entendu par l'office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce dernier a en outre bénéficié du soutien d'un interprète en arabe soudanais lors de son entretien individuel. Par suite, M. B... D... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif notamment que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
7. Les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D... a été reçu en entretien par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique le 20 décembre 2019. Le procès-verbal d'entretien mentionne que l'entretien a été mené par un agent habilité de la préfecture, et ce procès-verbal est signé par l'agent en question, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. Le requérant a pu, lors de cet entretien, faire état des éléments relatifs à sa situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du préfet de Maine-et-Loire méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'aucune des mentions du compte-rendu d'entretien individuel réalisé au sein de la préfecture, par un agent de ladite préfecture, ne permettrait de s'assurer que cet entretien aurait été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, doit être écarté[CO1].
8. Contrairement à ce qui est allégué par le requérant, l'arrêté contesté indique, conformément au relevé Eurodac produit par le préfet, que l'intéressé a présenté une première demande d'asile en Suisse en 2015, puis une demande d'asile en Allemagne en 2018. Cet arrêté précise ensuite que les autorités suisses, saisies le 23 décembre 2019 d'une requête de reprise en charge ont refusé le 24 décembre suivant, au motif que la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé avait été transférée aux autorités allemandes le 14 décembre 2018, lesdites autorités n'étant pas parvenues à procéder au transfert du requérant dans les délais impartis. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
10. Si le requérant soutient que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités suisses et qu'il craint pour sa vie en cas de renvoi au Soudan en raison de la situation de violence généralisée qui prévaut dans ce pays, la décision de transfert contestée n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'intéressé vers le Soudan. Par ailleurs, aucun élément ne permet d'affirmer que la demande d'asile de M. B... D... serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, M. B... D... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
11. Il résulte de ce qui précède que l'unique moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté portant assignation à résidence par voie d'exception d'illégalité de la décision portant transfert aux autorités allemandes doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 janvier 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de M. B... D..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... D... demande au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2021, où siégeaient :
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gelard, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2021.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. COIFFET
Le greffier,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[CO1]C'est l'expression à retenir dans les arrêts plutôt que " le moyen n'est pas fondé "
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No 20NT02086