Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte de cent euros par jour de retard, au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision sur sa demande d'admission au séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sous réserve de la renonciation à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne mentionne pas les considérations de droit et de fait permettant de connaître le critère de détermination de l'Etat responsable dont il a été fait application ;
- l'arrêté de transfert méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'a pas reçu l'ensemble des documents composant les brochures A et B prévues par ces dispositions mais seulement les pages de garde de chaque brochure ; il a été privé d'une garantie procédurale essentielle ;
- l'arrêté de transfert a été adopté au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'a pas eu lieu ; il a été privé d'une garantie procédure essentielle ; s'il était considéré qu'un entretien a eu lieu, celui-ci n'était pas conforme aux exigences de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté de transfert méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il présente une situation de vulnérabilité extrême :
- l'arrêté portant assignation à résidence est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté portant assignation à résidence a été pris sans examen de sa situation personnelle ;
- l'arrêté portant assignation à résidence est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que son comportement ne présente pas de risque de soustraction à l'arrêté de transfert ;
- l'arrêté portant assignation à résidence doit être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de transfert.
Par deux mémoires, enregistrées les 18 août 2020 et 1er septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- M. A... a été transféré en Allemagne le 10 août 2020 ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A..., ressortissant turc né le 1er février 2000, est, selon ses déclarations, entré irrégulièrement en France le 1er décembre 2019 et a sollicité le 31 janvier 2020 le bénéfice du statut de réfugié auprès de la préfecture de Maine-et-Loire. A la suite de la consultation du fichier Visabio, il a été constaté que M. A... était en possession d'un visa expiré depuis moins de six mois délivré par les autorités allemandes. Le préfet de Maine-et-Loire a alors saisi, le 3 février 2020, les autorités allemandes afin que celles-ci prennent en charge l'intéressé, ce qu'elles ont accepté. Par la suite, le même préfet a pris, le 26 mai 2020, un arrêté portant transfert de M. A... auprès des autorités allemandes ainsi qu'un arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département de Maine-et-Loire avec obligation de pointage au commissariat de police tous les mardis à 8 h. M. A... a contesté ces deux arrêtés devant le tribunal administratif de Nantes. Le magistrat désigné par le président de cette juridiction a rejeté cette demande par un jugement du 17 juin 2020, dont M. A... relève appel.
Sur l'arrêté de transfert :
2. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
3. La décision litigieuse de transfert de M. A... auprès des autorités allemandes vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son article L. 742-3. Il y est relevé que M. A... a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Maine-et-Loire le 31 janvier 2020 et que les recherches entreprises sur le fichier Visabio ont fait apparaître que l'intéressé était en possession d'un visa périmé depuis moins de six mois délivré par les autorités allemandes au moment du dépôt de sa demande d'asile. Elle doit alors être regardée comme suffisamment motivée, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement. La décision comporte ainsi un exposé détaillé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé pour considérer l'Allemagne comme responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... et décider son transfert auprès des autorités de ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision ne satisferait pas à l'exigence légale de motivation doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
5. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. A... qu'il a bénéficié le 31 janvier 2020, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue turque, avec le concours par téléphone d'un interprète, dont l'identité est portée sur le compte rendu d'entretien, intervenant pour le compte de la société ISM Interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur. Il n'est pas établi que le requérant n'a pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'a pas été mené, en toute confidentialité, par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 31 janvier 2020, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue française. Aucun élément ne vient étayer les allégations de M. A... selon lesquelles il ne se serait vu remettre que les pages de garde de ces documents d'information. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. ".
10. Si M. A... invoque son état de vulnérabilité extrême, il n'apporte aucune précision sur sa situation personnelle qui permettrait de le regarder comme étant dans cette situation. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le préfet de Maine-et-Loire a entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.
11. En dernier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
12. Célibataire et sans enfant, M. A... ne se prévaut d'aucun lien privé ou familial d'une particulière intensité en France. Ainsi qu'il a été dit au point 10, il n'apporte aucune précision quant à sa situation personnelle. Dans ces conditions, la décision de transfert ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
13. L'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) / Les huit derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois pour les cas relevant des 1° et 2° à 7° du présent I, ou trois fois pour les cas relevant du 1° bis (...) ". L'article L. 561-1 du même code dispose que : " (...) La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée (...) ".
14. En premier lieu, la décision du 26 mai 2020 portant assignation à résidence de M. A... dans le département de Maine-et-Loire vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 561-2 1° bis, ainsi que l'arrêté du même jour décidant le transfert de l'intéressé aux autorités allemandes. Par ailleurs, elle mentionne la nécessité de s'assurer de la disponibilité de M. A... pour répondre aux convocations de l'administration réalisées dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de transfert vers l'Etat membre requis. Elle comporte ainsi l'exposé détaillé des considérations de droit et de fait qui la fondent et est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. En deuxième lieu, il résulte des points 2 à 12 du présent arrêt que M. A... n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert.
16. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision a été prise sans un examen particulier de la situation de M. A....
17. En dernier lieu, dès lors que M. A... se borne à soutenir que son comportement ne présente pas de risque de soustraction à la décision de transfert sans apporter la moindre précision sur sa situation personnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d'assignation à résidence serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
O. Gaspon
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01865 2
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