Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juin 2020 et 27 juillet 2020, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté du 16 décembre 2019 de transfert aux autorités tchèques ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) à titre subsidiaire, de saisir la cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne l'interprétation des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il devait recevoir, lors de la présentation en pré-accueil ou en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits par écrit et dans une langue qu'il comprend ; le préfet ne démontre pas que le contenu de la brochure lui a été délivré oralement alors qu'il est analphabète ; ces brochures A et B lui ont été remises à la fin de l'entretien en langue patcho et le préfet ne démontre pas que ces guides lui ont été expliqués oralement dès lors qu'il est analphabète ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 et l'article 13 du règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 dès lors que la prise d'empreintes a été réalisée sans respect de son droit à l'information et qu'il ne s'est vu remettre aucune information orale sur la protection des données ; ce moyen est, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, opérant ;
- le préfet doit démontrer que l'entretien individuel dont il a bénéficié s'est déroulé dans des conditions prévues par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 avec une personne qualifiée en droit national et dans des conditions permettant la confidentialité des échanges ;
- le premier juge se fonde à tort sur l'article 7.2 du règlement alors que les autorités tchèques sont responsables de sa demande de protection internationale sur le fondement de l'article 3.2 ;
- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré du risque direct d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers la république tchèque dès lors qu'il sera de nouveau enfermé dans un centre ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il risque de subir de mauvais traitements en cas de transfert en République Tchèque et qu'il craint d'être renvoyé en Afghanistan où règne une situation de violence généralisée ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que les autorités tchèques ont définitivement rejeté sa demande d'asile et qu'il craint d'être renvoyé en Afghanistan ;
- il ne peut être regardé comme en fuite dès lors qu'aucune pièce du dossier ne permet de caractériser la soustraction intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et précise que M. D... a été déclaré en fuite.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me C..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant afghan, né le 10 mars 1995, relève appel du jugement du 14 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 décembre 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités tchèques, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur l'objet du litige :
2. L'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui fixe les conditions de transfert du demandeur d'asile ayant introduit une demande dans un autre Etat membre, dispose, au paragraphe 1, que : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 de cet article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ". La notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. Dans l'hypothèse d'un départ contrôlé dont l'Etat responsable du transfert assure l'organisation matérielle, en prenant en charge le titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant, le préacheminement du lieu de résidence du demandeur jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination, le demandeur d'asile qui se soustrait délibérément à l'exécution de son transfert ainsi organisé doit être regardé comme en fuite, au sens de ces dispositions.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'après le rejet, par jugement du 14 janvier 2020, de sa demande d'annulation de l'arrêté de transfert du 16 décembre 2019, M. D... a été convoqué le 6 mars 2020 au pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire. Lors de ce rendez-vous, un courrier portant convocation pour se présenter le 9 mars 2020 à la police aux frontières de l'aéroport de Nantes afin d'être escorté jusqu'à l'embarquement pour un vol vers Amsterdam puis Prague en vue de l'exécution de cet arrêté lui a été remis et traduit en langue pachto par un interprète. M. D... ne s'est pas présenté aux services de la police aux frontières le 9 mars 2020. Il n'établit ni même n'allègue qu'il n'était dans l'impossibilité de voyager à cette date. Par suite, le caractère intentionnel de la soustraction de l'intéressé à la convocation qui lui avait été adressée aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement est établi. Dès lors, le préfet a pu à bon droit estimer que le requérant était en fuite, que le délai de transfert était par conséquent porté à dix-huit mois au maximum et que les autorités tchèques n'étaient pas libérées de leur obligation de reprise en charge tandis que la France n'était pas devenue responsable de sa demande d'asile.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Il ressort du point 16 du jugement attaqué que le premier juge a répondu de manière suffisante au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard des risques invoqués par M. D... en cas de transfert vers la République Tchèque. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
5. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Aux termes des dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
6. M. D... a été reçu en entretien individuel le 16 octobre 2019 à la préfecture de police de Paris. Si les agents de cette préfecture recevant les étrangers au sein du guichet des demandeurs d'asile mis en place doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article, le compte-rendu de l'entretien du 16 octobre 2019 ne porte ni la signature de la personne ayant mené l'entretien, ni aucune mention sur l'identité de cette personne, ni même de simples initiales désignant un agent de préfecture. Le tampon apposé sur ce compte-rendu ne peut, compte tenu de ses mentions sommaires, suppléer ces carences. Dans ces conditions, l'entretien ne saurait être regardé comme ayant été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, ce qui prive M. D... d'une garantie. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aucun des autres moyens de la requête n'étant de nature à induire une autre injonction que le réexamen de la demande de M. D..., il y a lieu d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la demande de l'intéressé dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat au profit du conseil de M. D..., la somme de 1 000 euros déterminée dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 109 du décret du 28 décembre 2020.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 16 décembre 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. D... aux autorités tchèques est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, la situation de M. D....
Article 4 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me C... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 109 du décret du 28 décembre 2020.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme B..., premier conseiller
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 févier 2021.
Le rapporteur, Le président,
F. B... O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT018232
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