Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2020, Mme D..., représentée par Me F... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 mars 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides pour examen et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté portant transfert est contraire aux dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du même règlement ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17 de ce règlement ; il n'est pas établi que l'Espagne ait été informée de la situation de sa fille, née prématurément, et qui nécessite un suivi spécifique ;
- l'illégalité de la décision portant transfert entache d'illégalité la décision portant assignation à résidence.
Par des mémoires, enregistrés les 26 août 2020 et 21 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire indique que Mme D... ne peut plus être transférée vers l'Espagne compte tenu de l'expiration du délai de six mois prévu à l'article 29 du règlement du 26 juin 2019. Il demande à la cour de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de l'intéressée se rapportant à la décision de transfert.
Il soutient, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du 16 mars 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles :
2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n'est plus susceptible de faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de remise. Quel que soit le sens de la décision rendue par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l'appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d'exécution.
4. Il ressort des pièces du dossier que le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de sa décision de transférer Mme D... aux autorités espagnoles a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 16 mars 2020 rendu par ce dernier et n'a fait l'objet d'aucune prolongation ainsi qu'il ressort du mémoire adressé à la cour le 21 septembre 2020 par le préfet. Par suite, la décision de transfert du 10 décembre 2019, qui n'a reçu aucun commencement d'exécution, est devenue caduque et les conclusions de Mme D... aux fins d'annulation de cette décision sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " .
6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
7. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme D... s'est vue remettre, le 11 octobre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture de Maine-et-Loire, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressée le même jour, sont rédigés en français, langue que l'intéressée a déclaré comprendre ainsi que cela ressort des termes du compte-rendu de l'entretien individuel sur lequel elle a également apposé sa signature. Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 n'est pas fondé.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
9. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par Mme D... qu'elle a bénéficié le 11 octobre 2019, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en français, langue que l'intéressée a déclaré comprendre. Il n'est pas établi que Mme D... n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, laquelle au demeurant a signé ce document en y apposant son nom et sa qualité, et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
11. Si Mme D... soutient que les autorités espagnoles n'ont pas été informées de la présence avec elle lors de son transfert de son enfant née le 3 novembre 2019, il ressort des pièces produites en première instance par le préfet de Maine-et-Loire, et notamment des messages échangés via la plateforme Dublinet, que les autorités espagnoles ont été informées le 14 novembre 2019 de la naissance de son enfant B..., et ont donné leur accord pour la prise en charge de cette dernière le 15 novembre 2019. De plus, si l'intéressée soutient que l'état de santé de sa fille, née prématurément, serait incompatible avec l'exécution de la mesure de transfert, le certificat médical du 24 janvier 2020 dont elle se prévaut, se borne à indiquer que sa présence aux côtés de son enfant est nécessaire pour une durée de quatre jours, alors d'ailleurs que les dispositions des articles 31 et 32 prévoient, après consentement explicite du demandeur et/ou de son représentant, que soit réalisé dans un délai raisonnable avant l'exécution du transfert, un échange de données concernant notamment la santé entre l'Etat procédant au transfert et l'Etat membre responsable. Par suite, la requérante n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités espagnoles, le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 11, que la décision de transfert aux autorités espagnoles n'est affectée d'aucune des illégalités invoquées par Mme D.... Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence prise à son encontre le même jour.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par Mme D... le présent arrêt n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par la requérante doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme D... au profit de son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme D... aux fins d'annulation de la décision de transfert prise à son encontre le 10 décembre 2019 par le préfet de Maine-et-Loire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2021
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02094