Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 février 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 5 février 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté portant transfert, qui indique seulement qu'il n'est pas établi qu'il souffre d'une pathologie l'empêchant d'exécuter son transfert vers le Portugal, est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations des articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 dans la mesure où le guide du demandeur d'asile ne lui a pas été remis et qu'il s'est vu remettre les brochures A et B en langue portugaise de manière concomitante au déroulement de l'entretien individuel, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il a bien compris ses droits ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 17 du même règlement dès lors que c'est son transfert au Portugal lui-même qui est susceptible d'entraîner des conséquences particulièrement graves pour sa santé ;
- l'illégalité de la décision portant transfert vers le Portugal entache d'illégalité l'arrêté l'assignant à résidence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que la requête de M. C... est devenue sans objet dès lors que sa demande d'asile va être instruite en France.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant angolais, relève appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 février 2020 par lequel la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait la préfète d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution du transfert de M. C... vers le Portugal a été interrompu par la saisine du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 13 février 2020 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation du jugement du 13 février 2020 en tant qu'il rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 5 février 2020 portant transfert vers le Portugal.
5. En revanche, l'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation.
Sur les conclusions tendant, par la voie de l'exception d'illégalité de l'arrêté portant transfert vers le Portugal, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence :
6. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter du mois d'octobre 2019, M. C... a consulté, à raison de plusieurs séances par mois, un médecin spécialisé dans le cadre d'un suivi thérapeutique. Il produit à l'appui de ses écritures de très nombreuses ordonnances de ce psychiatre qui le suit attestant de ce suivi médical particulièrement rapproché. Il se prévaut également d'une attestation du 5 février 2020 de ce médecin qui confirme que M. C... souffre de troubles importants du sommeil avec des cauchemars récurrents et qu'il présente " une anxiété importante, difficile à contrôler " en dépit d'un suivi très rapproché et d'une adaptation régulière du traitement psychotrope qui lui est prescrit. En conclusion, ce médecin indique que l'intéressé présente " un état anxio-dépressif sévère et invalidant " et un risque de décompensation aiguë en cas d'interruption, même de courte durée, de son accompagnement psychiatrique. Par suite, et alors même que le Portugal dispose d'un système de santé comparable à celui de la France, l'extrême vulnérabilité de l'intéressé rend son transfert vers ce pays particulièrement risqué. Il s'ensuit, qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités portugaises, la préfète d'Ille-et-Vilaine a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. L'illégalité de la décision portant transfert de M. C... vers le Portugal est de nature à entacher d'illégalité l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
9. Il résulte de ce qui précède, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Dans son mémoire enregistré le 10 août 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine indique que M. C... a été convoqué en préfecture afin d'enregistrer sa demande d'asile. Par suite, une attestation de demandeur d'asile lui a nécessairement été délivrée. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées devant la cour par le requérant sont dépourvues d'objet et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B..., avocate de M. C..., de la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. C... à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'arrêté du 5 février 2020 portant transfert auprès des autorités portugaises.
Article 2 : L'arrêté du 5 février 2020 de la préfète d'Ille-et-Vilaine assignant à résidence M. C... est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à Me B..., conseil de M. C..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera adressée pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2021
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02138