Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 1er février 2019 sous le n° 19PA00594 et des mémoires enregistrés les 27 juillet 2020, 30 juillet 2020 et 14 février 2021, la société Geciter, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 29 novembre 2018 n° 1702685 ;
2°) d'annuler la décision du 19 août 2016 par laquelle le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris a refusé de la désigner comme bénéficiaire de la décision du 2 juillet 2003 ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris de la reconnaître comme bénéficiaire de cette décision et, à titre subsidiaire, de condamner solidairement l'Etat et la ville de Paris à lui verser la somme de 2 350 000 euros en réparation de son préjudice ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant des raisons pour lesquelles les premiers juges ont écarté la société propriétaire des locaux des bénéficiaires de l'autorisation préfectorale du 2 juillet 2003 ;
- elle était propriétaire des locaux sur lesquels portait l'autorisation depuis le 27 décembre 2000 et, la société Axa ayant indiqué par ailleurs qu'ils appartenaient à la société Foncière Vendôme, mais a présenté la demande " au nom et pour le compte des sociétés propriétaires ", il existait ainsi un mandat apparent entre la société Axa et elle-même, qui appartenait en outre au même groupe que la société Foncière Vendôme ;
- l'autorisation a acquis un caractère réel le 10 juin 2005 ;
- le préfet de Paris a commis une double faute en ne recherchant pas le nom de toutes les sociétés propriétaires des immeubles et en ne mentionnant aucun nom de bénéficiaire sur la décision d'autorisation, alors qu'il s'agit d'une décision individuelle créatrice de droits ;
- la négligence fautive de l'administration préfectorale lui a causé un préjudice ;
- les premiers juges ont commis un déni de justice.
Par un mémoire enregistré le 23 juillet 2020, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que la requête n'est pas fondée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 juillet 2020 et 15 février 2021, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussrd-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Geciter sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que la requête n'est pas fondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005 relative au logement et à la construction ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5 ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. La société Geciter est propriétaire de plusieurs locaux dans deux immeubles, respectivement au rez-de-chaussée de l'immeuble sis 151 et au troisième étage de l'immeuble sis 155, boulevard Haussmann à Paris (VIIIème arrondissement). Par une décision du 19 août 2016, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris a rejeté la demande de cette société tendant à se voir reconnaître comme bénéficiaire de la décision du 2 juillet 2003 par laquelle il avait accordé une dérogation pour affecter ces locaux à un usage commercial. Par lettre en date du 9 février 2017, la société Geciter a adressé au même préfet une demande indemnitaire préalable. Par un jugement du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société Geciter tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2016 et, à titre principal, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris de la reconnaître comme bénéficiaire de la décision du 2 juillet 2003 et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 2 350 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi. La société Geciter relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Contrairement à ce que soutient la société Geciter, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments invoqués, ont suffisamment motivé leur jugement en exposant en ses points 3 à 6 les motifs pour lesquels ils ont estimé que la société Geciter ne pouvait pas être regardée comme la bénéficiaire de l'autorisation préfectorale du 2 juillet 2003. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable le 2 juillet 2003 : " Dans les communes définies à l'article 10-7 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 modifiée : / 1° Les locaux à usage d'habitation ne peuvent être, ni affectés à un autre usage, ni transformés en meublés, hôtels, pensions de famille ou autres établissements similaires dont l'exploitant exerce la profession de loueur en meublé (...) / Il ne peut être dérogé à ces interdictions que par autorisation administrative préalable et motivée, après avis du maire et, à Paris, Marseille et Lyon, après avis du maire d'arrondissement. / (...) / Ces dérogations (...) sont accordées à titre personnel. (...) / La dérogation (...) cesse (...) de produire effet lorsqu'il est mis fin, à titre définitif, pour quelque raison que ce soit, à l'exercice professionnel du bénéficiaire (...) ". Aux termes du II de l'article 29 de l'ordonnance du 8 juin 2005 relative au logement et à la construction, dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, applicable à la date des décisions attaquées : " Les autorisations définitives accordées sur le fondement du même article L. 631-7 avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance et qui ont donné lieu à compensation effective, sont attachées, à compter de cette entrée en vigueur, au local et non à la personne ". Il résulte de ces dispositions que si le principe de changement d'usage a un caractère personnel, c'est-à-dire qu'il est temporaire et incessible, il peut avoir un caractère réel, attaché au local et donc définitif lorsque la demande de dérogation est accompagnée d'une offre de compensation, c'est-à-dire de la présentation d'un autre local à usage autre que l'habitation que le propriétaire s'engage à transformer en habitation. Toutefois, il résulte des dispositions même de l'ordonnance du 8 juin 2005 que les autorisations dérogatoires en cours ne produisent cet effet qu'à condition que leur bénéficiaire ait conservé des droits sur les locaux à la date du 10 juin 2005, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée.
5. Il est constant que les locaux d'habitation situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis 151, boulevard Hausmann et les divers locaux situés du rez-de-chaussée au troisième étage de l'immeuble sis 155, boulevard Hausmann, pour lesquels le préfet de Paris a accordé un changement d'usage le 2 juillet 2003, qui étaient à l'origine la propriété de la société Foncière Vendôme, filiale du groupe UAP, sont entrés le 26 décembre 2000 par apport partiel d'actif dans le patrimoine de la société 43 avenue Marceau qui a pris ultérieurement le nom de société Geciter. La société requérante était donc propriétaire des locaux en cause à la date de l'arrêté du préfet du 2 juillet 2003. Il est également constant que la société Geciter est gestionnaire de ses immeubles.
6. Si la décision préfectorale du 2 juillet 2003, qui ne fait état que des immeubles pour lesquels l'autorisation est accordée, ne mentionne pas l'identité de son bénéficiaire, il ressort des pièces du dossier que la dérogation a été accordée au vu d'une demande présentée " pour les sociétés propriétaires " par la société AXA Real Estate Investment Managers, qui dépend du groupe AXA-UAP, et que cette demande précisait que les locaux du boulevard Haussmann appartiennent à la société Foncière Vendôme. Quoique la société Geciter fait valoir qu'il s'agit d'une simple erreur de plume, une telle erreur ne serait dépourvue d'incidence sur l'identité du bénéficiaire de l'autorisation que pour autant qu'il ressortirait des pièces du dossier que la société AXA Real Estate Investment Managers a agi pour le compte et à la demande de la société Geciter, propriétaire des immeubles. Or, il n'est en l'espèce ni établi ni d'ailleurs même soutenu que la société AXA Real Estate Investment Managers aurait effectivement été le gestionnaire des immeubles de Geciter, ni qu'elle aurait agi sur mandat du propriétaire, et rien dans le dossier ne met en outre en lumière l'existence de quelconques liens entre la société Geciter et l'auteur de la demande de dérogation. Dès lors, la société Geciter ne saurait être regardée comme la bénéficiaire d'une dérogation, accordée à titre personnel et incessible, qu'elle n'a pas sollicitée, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers habilité à agir en son nom. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 19 août 2016, sans qu'elle puisse invoquer en l'espèce un prétendu déni de justice.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
7. En premier lieu, aucune disposition ni aucun principe n'imposait au préfet de Paris de mentionner expressément, dans la décision du 2 juillet 2003, le nom de la société bénéficiaire, quand bien même il s'agissait d'une décision individuelle créatrice de droits.
8. En deuxième lieu, en ne vérifiant pas l'identité des propriétaires des immeubles visés par la décision du 2 juillet 2003 et en n'y faisant pas figurer expressément le nom des bénéficiaires de la dérogation accordée, le préfet de Paris, qui n'avait aucune raison de mettre en doute les informations figurant dans la demande de dérogation présentée par la société AXA Real Estate Investment Managers, n'a pas fait preuve d'une négligence fautive.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions indemnitaires dirigées contre la Ville de Paris, que la société Geciter n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu de faire application de ces dernières dispositions en mettant à la charge de la société requérante la somme de 750 euros au titre des frais exposés par la Ville de Paris et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Geciter est rejetée.
Article 2 : La société Geciter versera à la Ville de Paris une somme de 750 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Geciter SAS, au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 mai 2021.
Le président,
S. DIÉMERT
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 19PA00594