Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2017, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1702455 du 3 avril 2017 en tant que le Tribunal administratif de Melun a fait droit à la demande de M. C... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- il justifie bien qu'il avait saisi les autorités italiennes compétentes pour prendre en charge la demande d'asile de M. C... ;
- l'arrêté préfectoral litigieux est suffisamment motivé et a été pris après un examen sérieux de la situation particulière de l'intéressé ;
- M. C... s'est vu remettre les documents d'information prévus par le règlement CE n°604/2013 du 26 juin 2013, dans une langue qu'il comprend ;
- il a été procédé à un entretien individuel avec M. C..., durant lequel l'intéressé a compris toutes les questions qui lui étaient posées et qui étaient traduites dans la langue qu'il admet comprendre, à savoir le tamoul, comme en atteste le compte rendu signé par ses soins ; M. C... s'est vu remettre une fiche d'information sur la procédure Eurodac ;
- la demande d'asile de M. C... relève bien des autorités italiennes et l'arrêté litigieux a respecté les dispositions de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté, qui prévoit la remise de M. C... à l'Italie, pays membre de l'Union européenne, ne contrevient pas aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2017, M. C..., représenté par
Me B...A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
- le document produit par l'administration devant le tribunal administratif, qui n'est pas daté, comporte des ratures et émane des services administratifs eux-mêmes, ne saurait constituer une preuve de la saisine, dans les délais requis, des autorités italiennes en vue du transfert de M. C..., saisine seule à même de faire naître une décision d'accord implicite ; les accusés de réception Dublinet produits en appel sont datés des 26 avril et 15 mars 2017 donc très postérieurs à la date butoir prévue pour la saisine des autorités italiennes, M. C... ayant déposé sa demande d'asile le 17 novembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n°1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE)
n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan rapporteur public,
1. Considérant que M. D... C..., de nationalité sri lankaise, entré selon ses dires sur le territoire français le 2 octobre 2016, a fait connaître aux services de la préfecture de Seine-et-Marne, le 24 octobre 2016, son intention de demander l'asile ; que l'introduction dans le fichier Eurodac des empreintes digitales de l'intéressé relevées en France ayant montré que celui-ci avait déjà fait l'objet d'un tel relevé en Italie, le préfet de Seine-et-Marne a, par un arrêté du
23 mars 2017, décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de la prise en charge, par celles-ci du traitement de sa demande d'asile ; que, par un second arrêté du même jour, le préfet de Seine-et-Marne a décidé son assignation à résidence ; que par un jugement n° 1702455 du 3 avril 2017, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a, à la demande de M. C..., d'une part, annulé ces deux arrêtés, d'autre part, enjoint à l'administration de procéder au réexamen de la situation de M. C...et d'admettre l'intéressé provisoirement au séjour au titre de l'asile en lui délivrant, dans l'attente, l'attestation de demandeur d'asile et enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que le préfet de Seine-et-Marne relève régulièrement appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de M. C... ;
2. Considérant que le premier juge a annulé la décision du préfet de Seine-et-Marne de remise de M. C... aux autorités italiennes au motif que cette décision était intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière ; que le premier juge a estimé que si cette décision faisait mention de l'acceptation implicite de l'Italie de prendre en charge l'examen de la demande d'asile de l'intéressé, l'autorité préfectorale ne produisait pas de justificatif probant démontrant qu'elle avait bien requis les autorités compétentes italiennes à cette fin et ne justifiait donc pas d'un tel accord tacite ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. " ; qu'aux termes de l'article L. 742-3 du même code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 23 juin 2013 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la
frontière. " ; qu'aux termes de l'article 21 du même règlement : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. "
5. Considérant que le préfet de Seine-et-Marne produit devant la Cour la copie d'un document, intitulé " constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " établi sur papier à en-tête de ses services, et destiné aux autorités italiennes ; que ce document indique qu'une requête de prise en charge a été adressée le 19 décembre 2016 concernant M. C... dont l'identité, la date de naissance et la nationalité ainsi que la référence FRDUB17703117135770 sont mentionnées sur ledit document ; que toutefois, ce document, interne à l'administration préfectorale et dépourvu de date certaine, ne peut suffire à établir ni que les autorités italiennes ont été effectivement saisies initialement le 19 décembre 2016, ni que ce constat d'accord implicite lui-même leur a été effectivement adressé ; que si le préfet de Seine-et-Marne produit devant la Cour une réponse automatique confirmant la réception sur la messagerie Dublinet du correspondant italien d'un précédent message portant la même référence FRDUB17703117135770 et adressé par le biais de l'application Dublinet par la préfecture, cette réponse provenant des autorités italiennes est datée du 2 mai 2017 et ne comporte aucune information sur la date du message d'origine prétendument adressé le 19 décembre 2016 ; qu'il permet seulement de constater la réception par le correspondant italien Dublinet d'un envoi antérieur de message opéré le 15 mars 2017 par son homologue français concernant M. C... mais ne fournit aucune indication sur l'objet précis de ce message ; que dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne ne peut être regardé comme établissant qu'un accord implicite de l'Italie était intervenu le 19 février 2017, comme l'indique l'arrêté de transfert litigieux, ni en tout état de cause avant la date à laquelle a été pris cet arrêté ; qu'il suit de là que le préfet de Seine-et-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté préfectoral du 23 mars 2016, notifié le 24 suivant, décidant que M. C... serait remis aux autorités italiennes et par voie de conséquence l'arrêté du 23 mars 2016 portant assignation à résidence de ce dernier ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête du préfet de Seine-et-Marne tendant à l'annulation du jugement du 3 avril 2017 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun ne peut qu'être rejetée ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme
de 1 000 euros ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Seine-et-Marne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à
M. D...C....
Copie en sera adressé au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2018, où siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, Premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 mai 2018
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01497