Procédure devant la Cour :
I - Par une requête et des mémoires enregistrés les 7 août 2019, 15 février 2020 et
30 juin 2020 sous le n° 19PA02631, Mme D..., représentée par Me E... B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 juin 2019 en ce qu'il a rejeté sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a méconnu le secret professionnel en demandant des informations complémentaires sur la nature des prestations facturées par le bureau de Genève ;
- le tribunal n'a pas statué sur les moyens relatifs à la prescription de l'année 2010 ;
- l'année 2010 était prescrite, les pénalités appliquées étant des pénalités de recouvrement ne concernant pas l'impôt sur le revenu ;
- le dispositif d'exclusion du délai de reprise réduit revêt le caractère d'une sanction ;
- il est contraire au principe de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en l'absence de modulation et au principe de personnalité des peines issu des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 6§2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il s'applique aux associés de la société de fait ;
- le séjour principal en France n'est pas établi ;
- elle exerce une activité professionnelle en Suisse ;
- le tribunal n'a pas analysé la réponse des autorités fiscales suisses ;
- la résidence fiscale n'a pas d'incidence dès lors que les revenus en cause sont des bénéfices non commerciaux ;
- elle a en Suisse le centre de ses intérêts vitaux, critère qui se distingue de ceux utilisés pour l'application du droit interne ;
- elle y a son séjour habituel ;
- elle a en Suisse une base fixe ;
- les bénéfices non commerciaux doivent être rattachés à la base fixe possédée en Suisse pour l'exercice de son activité d'avocat ;
- les charges du bureau de Genève ont été justifiées, ainsi que leurs liens avec les clients du cabinet ;
- le rejet de la déduction des charges exposées en Suisse est contraire à l'article 93 du code général des impôts et à l'article 7 de la convention franco-suisse et constitue une discrimination prohibée par l'article 26 de cette convention ;
- la clé de répartition de l'article 8 du code général des impôts n'a pas été appliquée aux autres associés ;
- l'année 2011 n'a pas été redressée ;
- les prestations d'origine française ont été taxées en France ;
- le taux de sa participation aux charges de la société de fait retenu par le service est erroné et est sans rapport avec le flux de recettes ;
- le pourcentage de participation aux résultats de Mme D... est de 4 % en application du pacte social ;
- l'abandon en date du 9 juillet 2015 des rectifications initialement notifiées aux autres associés aurait dû faire l'objet d'une information commune à la STEF compte tenu des règles applicables aux procédures d'imposition des sociétés soumises à l'article 8 du code général des impôts ;
- l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 14 de cette convention ont été méconnus ;
- les pénalités ne sauraient être justifiées par les infractions commises en 2009, en raison de l'abandon de ces impositions ;
- les manquements délibérés ne sont pas établis.
Par des mémoires en défense enregistrés les 6 décembre 2019, 29 avril et 21 juillet 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête,
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juillet 2020.
II - Par un recours et des mémoires enregistrés les 24 septembre 2019, 18 mai 2020 et 22 juillet 2020 sous le n° 19PA03034, le ministre de l'action et des comptes publics demande l'annulation du jugement n° 1713570/1-2 du 4 juin 2019 en tant que le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies au titre de l'année 2009 et le rétablissement des impositions en cause.
Il soutient que :
- il n'y a pas eu changement des règles de prescription ;
- les nouvelles règles issues de l'article 6 de la loi n° 2010-658 étaient applicables dès leur entrée en vigueur ;
- le contribuable a fait l'objet de pénalités autres que des intérêts de retard et pouvait donc se voir appliquer le délai de reprise de trois ans ;
- la règle de personnalité des peines n'a pas été méconnue ;
- la résidence fiscale de Mme D... était en France ;
- l'existence d'une base fixe en Suisse n'est pas établie ;
- l'article 8 du code général des impôts n'a pas été méconnu ;
- dans l'hypothèse où la Cour ne maintiendrait pas la pénalité de 40 % pour manquement délibéré, l'administration solliciterait la mise à la charge de Mme D... de la majoration de 10 % prévue par les dispositions du I. de l'article 1758 A du code général des impôts, les deux pénalités étant applicables aux mêmes faits ;
- l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 14 de cette convention n'ont pas été méconnus.
Par des mémoires enregistrés les 14 février et 30 juin 2020, Mme A... D..., représentée par Me E... B..., conclut au rejet du recours du ministre et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens du ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés et reprend, en ce qui concerne l'année 2009, les moyens invoqués à l'appui de sa requête n° 19PA02631.
Par une ordonnance du 30 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
24 juillet 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... exerçait l'activité d'avocate avec deux autres associés au sein de la société de fait (STEF) D... et associés. La STEF D... et associés a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle les honoraires perçus en Suisse par
Mme D... ont été réintégrés dans son résultat taxable au titre des exercices clos en 2009 et 2010. Mme D... a, pour sa part, fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2009 et 2010 à l'issue duquel elle a été imposée sur sa quote-part des résultats de la STEF D... et associés, taxables selon le régime des sociétés de personnes et résultant du rehaussement en cause. Le ministre de de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 4 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a déchargé, en droits et pénalités, Mme D... des impositions en litige mises à sa charge au titre de l'année 2009. Pour sa part, Mme D... relève appel du même jugement en tant qu'il ne l'a pas déchargée des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2010. Les requêtes de
Mme D... et du ministre sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Aux termes de l'article L.169 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2009 et applicable à compter du 1er janvier 2010 : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration, pour les revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles, s'exerce jusqu'à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable est adhérent d'un centre de gestion agréé ou d'une association agréée, pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du code général des impôts. Cette réduction de délai ne s'applique pas aux adhérents pour lesquels des manquements délibérés auront été établis sur les périodes d'imposition non prescrites. ". Aux termes de l'article 6 de la loi n°2010-658 du 15 juin 2010 : " I - Le deuxième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales est ainsi modifié : (...) 2° A la seconde phrase, les mots : " adhérents pour lesquels des manquements délibérés auront été établis " sont remplacés par les mots : " contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard auront été appliquées ". II - Le deuxième alinéa de l'article L. 176 du même livre est ainsi modifié : (...)
2° A la dernière phrase, les mots : " adhérents pour lesquels des manquements délibérés auront été établis " sont remplacés par les mots : " contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard auront été appliquées ". ". Aux termes de l'article 65 de la loi 2010-1658 du 29 décembre 2010 : " La seconde phrase du deuxième alinéa des articles L. 169 et L. 176 du livre des procédures fiscales est complétée par les mots : " visées au présent alinéa ". ".
3. Les dispositions précitées de l'article 6 de la loi n°2010-658 du 15 juin 2010 et de l'article 65 de la loi 2010-1658 du 29 décembre 2010 ont eu pour effet d'allonger le délai de reprise applicable aux contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard ou des pénalités pour manquements délibérés auront été appliquées. A la date d'entrée en vigueur de ces lois, le délai de reprise applicable aux années 2009 et 2010 n'était pas expiré. Il y a donc lieu d'appliquer aux impositions établies au titre de ces deux années les dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dans leur rédaction issue de ces lois.
4. Pour se prévaloir, en ce qui concerne les impositions litigieuses établies au titre des années 2009 et 2010, du délai de prescription de trois années applicable aux contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard auront été appliquées, le ministre de l'action et des comptes publics se borne à invoquer la majoration de recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée de 5 % prévue par les dispositions de l'article 1731 du code général des impôts, qui a été appliquée au titre de l'année 2011 à la STEF D... et associés, pour un montant de 128 euros, la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée relative au mois de juillet 2011 et déposée le 3 août 2011 n'ayant pas été accompagnée du paiement correspondant. Il résulte toutefois des dispositions précitées de l'article L.169 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, à la lumière des travaux préparatoires à l'adoption de cet article, que si le législateur a entendu étendre à l'ensemble des pénalités d'assiette autres que les intérêts de retard l'exception à la réduction à deux ans du délai de reprise, exception antérieurement opposable aux seuls contribuables ayant fait l'objet de pénalités pour manquements délibérés, une telle exception ne saurait être opposée aux contribuables ayant fait l'objet de simples majorations pour retard de paiement. Par conséquent, la prescription des impositions au titre des années 2009 et 2010 était acquise respectivement les 31 décembre 2011 et 31 décembre 2012, et les propositions de rectifications adressées les
24 décembre 2012 au titre de l'année 2009 et 8 juillet 2013 au titre de l'année 2013 à la STEF D... et associés étaient relatives à des années prescrites.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a déchargé, en droits et pénalités, Mme D... des impositions en litige mises à sa charge au titre de l'année 2009. Pour sa part, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, Mme D... est fondée à obtenir, en droits et pénalités, la décharge des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2010. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : Mme D... est déchargée, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'année 2010.
Article 3 : L'article 3 du jugement n° 1713570/1-2 du 4 juin 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. C..., premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,
Lu en audience publique le 18 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 19PA02631...