Par jugement n° 1900350 du 25 juin 2020, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a déchargé, en droits et pénalités, la société Sogecap de l'ensemble des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des exercices clos en 2016 et 2017 pour un montant total de 225 629 457 francs CFP, mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement à la SA Sogecap de la somme de 150 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 septembre et 2 novembre 2020, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Buk Lament-Robillot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1900350 du 25 juin 2020 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de remettre à la charge de la société Sogecap les impositions dont les premiers juges ont prononcé la décharge ;
3°) de mettre à la charge de la société la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience et n'a pas été informé qu'il pouvait se rapprocher du greffe à cette fin ;
- il convient de remettre en cause l'interprétation par le Conseil d'Etat de l'article Lp15 du code des impôts ;
- l'article Lp15 du code des impôts a valeur législative, de même que la convention franco-calédonienne ;
- il déroge à la convention fiscale franco-calédonienne et notamment à ses articles 7 et 22 ;
- l'intention du législateur néocalédonien était de déroger à cette situation ;
- le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- subsidiairement, la société Sogecap disposait d'un établissement stable en Nouvelle-Calédonie au sens de l'article 5 de la convention fiscale franco-calédonienne.
- les premiers juges ont par erreur fait peser la charge de la preuve sur l'administration ;
- il n'est pas établi que les contrats n'étaient pas signés par l'agent local de la société.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 décembre 2020, la société Sogecap, représentée par le cabinet Boissery-Di Luccio-Verkeyn, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de la somme de 921,80 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête introductive d'instance ne comporte pas l'identification des parties, est insuffisamment motivée, et est par suite irrecevable ;
- subsidiairement, les moyens soulevés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 février 2021 la clôture de l'instruction a été fixée au 5 mars 2021.
Un mémoire a été présenté le 2 septembre 2021 pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-676 du 26 juillet 1983 et la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, signée à Nouméa
le 31 mars 1983 et à Paris le 5 mai 1983 ;
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;
- la loi du pays n° 2014-20 du 31 décembre 2014 ;
- le code des impôts de Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Robillot, pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Considérant ce qui suit :
1. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie relève appel du jugement du
25 juin 2020 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a déchargé, en droits et pénalités, la société Sogecap de l'ensemble des impositions supplémentaires qui lui ont été assignées au titre des exercices clos en 2016 et 2017 pour un montant total de 225 629 457 francs CFP et a mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement à la SA Sogecap de la somme de 150 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
2. Si le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie soutient qu'en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative il n'a pas été mis à même de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience du tribunal qui s'est tenue le 28 mai 2020, ce moyen ne peut qu'être écarté comme manifestement infondé, dès lors qu'il ressort du dossier de première instance, d'une part, que l'avis d'audience en date du 5 mai 2020, adressé par le tribunal à l'administration fiscale de la Nouvelle-Calédonie et dont celle-ci a accusé réception le même jour, l'informait de la possibilité de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience, en consultant l'application Sagace au moyen du code d'accès qui lui avait été communiqué, et l'invitait, en cas d'impossibilité de consulter en ligne l'application Sagace, à prendre contact avec son greffe, et d'autre part, que le sens des conclusions a été mis en ligne le 26 mai 2020.
3. Les premiers juges ont répondu au moyen tiré de ce que le législateur de pays avait entendu déroger à la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de Nouvelle-Calédonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée par la loi du 26 juillet 1983, en indiquant qu'il résultait des dispositions de l'article Lp. 15 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, éclairées par les débats devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie lors de l'adoption de la " loi du pays " du 16 janvier 2007, que la définition qu'elles donnaient, s'agissant des sociétés commercialisant des produits d'assurance, de la notion " d'entreprises exploitées " en Nouvelle-Calédonie, n'était susceptible de s'appliquer qu'aux entreprises ayant un établissement stable dans un Etat autre que la France. Ils ont ainsi suffisamment motivé leur jugement, alors même qu'ils n'auraient pas répondu à tous les arguments présentés par la société Sogecap à l'appui de ses moyens.
Sur le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
4. L'article Lp. 15 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, issu de la " loi du pays " du 16 janvier 2007 portant diverses dispositions d'ordre fiscal à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés, dispose que : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés par les entreprises exploitées, ou ayant leur siège social en Nouvelle-Calédonie, ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la Nouvelle-Calédonie par une convention fiscale./ La notion d'entreprise exploitée en Nouvelle-Calédonie s'entend de l'exercice habituel d'une activité qui peut soit s'effectuer dans le cadre d'un établissement autonome, soit être réalisée par l'intermédiaire de représentants dépendants économiquement ou juridiquement, soit résulter de la réalisation d'opérations formant un cycle commercial complet. Toutefois, en matière d'assurance, l'entreprise est considérée comme exploitée en Nouvelle-Calédonie pour les produits d'assurance qui sont commercialisés localement (...) ".
5. L'article 5 de la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement du territoire de Nouvelle-Calédonie et dépendances approuvée par la loi du 26 juillet 1983, dispose que : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression "établissement stable" désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité (...) / 5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 6 - agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un territoire de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans ce territoire pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise (...) / 6. Une entreprise n'est pas considérée comme ayant un établissement stable dans un territoire du seul fait qu'elle exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour avoir un établissement stable dans un territoire, une entreprise doit soit y disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante ayant le pouvoir d'y conclure des contrats au nom de l'entreprise. Toutefois, dans ce dernier cas, l'établissement stable n'est constitué que si cette personne utilise effectivement, de façon non occasionnelle, le pouvoir qui lui est ainsi dévolu.
6. L'article 7 de ladite convention, qui a le caractère d'une disposition de droit interne ayant valeur législative, dispose : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un territoire ne sont imposables que dans ce territoire, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre territoire par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre territoire mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ". Son article 22 évite la double imposition en prévoyant, pour les impôts calédoniens, que les revenus autres que ceux qui proviennent de dividendes et de redevances sont exonérés, notamment, de l'impôt sur les sociétés calédoniennes " lorsque ces revenus sont imposables en France, en vertu de la présente Convention. Toutefois, aucune exonération n'est accordée si les revenus en cause ne sont pas imposables en France, en vertu de la législation interne ".
7. Il résulte des dispositions précitées de l'article Lp. 15 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, éclairées par les débats devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie lors de l'adoption de la " loi du pays " du 16 janvier 2007, que la définition qu'elles donnent, s'agissant des sociétés commercialisant des produits d'assurance, de la notion d'" entreprises exploitées " en Nouvelle-Calédonie, n'est susceptible de s'appliquer qu'aux entreprises ayant un établissement stable dans un Etat autre que la France. Il s'ensuit qu'en adoptant ces dispositions, le législateur de pays n'a, en tout état de cause, pas entendu déroger à la convention fiscale citée aux points 5. et 6. Il suit de là qu'une entreprise d'assurance ayant en métropole un établissement stable et ne disposant pas en Nouvelle-Calédonie d'un tel établissement ne saurait être imposée sur le fondement des dispositions de l'article Lp. 15 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie.
8. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie fait valoir, à titre subsidiaire, que la SA Sogecap disposait, au titre des exercices clos les 31 décembre des années en litige, soit 2016 et 2017, d'un établissement stable en Nouvelle-Calédonie au sens de l'article 5 de la convention fiscale franco-calédonienne, et demande à la Cour de maintenir les impositions sur le fondement de ces seules stipulations. Il appartient toutefois à l'administration fiscale de fournir les éléments susceptibles de justifier de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés de la SA Sogecap ainsi que du bien-fondé de la procédure de taxation d'office mise en œuvre. Si elle fait valoir que
M. A..., directeur de la société générale calédonienne de banque (SGCB), a été habilité comme agent spécial pour représenter la SA Sogecap en Nouvelle-Calédonie par une convention de courtage du 10 janvier 2013, il ne résulte pas de l'instruction que cette personne disposait, au cours des années concernées, de pouvoirs lui permettant de conclure effectivement des contrats en son nom et les exerçait habituellement. Au contraire, ladite convention de courtage précise que la SGCB n'a aucun pouvoir pour signer des documents et contrats au nom et pour le compte de la SA Sogecap. Le mandat de plein pouvoir du 31 août 2015 donné à M. A..., salarié de la SGCB, pour l'exercice de la fonction d'agent spécial de la société Sogecap en Nouvelle-Calédonie, et un arrêté de 2015 habilitant M. A..., agent spécial, ne sauraient non plus établir que ce dernier a exercé effectivement le pouvoir de signer les contrats.
9. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a déchargé la société Sogecap de l'ensemble des impositions supplémentaires qui ont été mises à sa charge au titre des exercices clos en 2016 et 2017 pour un montant total de 225 629 457 francs CFP, et a mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement à la SA Sogecap de la somme de 150 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Sogecap, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie la somme de 900 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est rejetée.
Article 2 : Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie versera à la société Sogecap la somme de 900 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et à la société Sogecap.
Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2021.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02813