Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 6 juillet et 18 août 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1703054/1-1 du 31 mai 2017 en tant que le Tribunal administratif de Paris a fait droit aux conclusions présentées devant lui par Mme A... ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il ne démontrait pas que l'acquisition par Mme A... de la qualité de parent d'un enfant français avait été obtenue par fraude ;
- les autres moyens présentés par Mme A... en première instance devront être écartés pour les motifs exposés dans les écritures de l'administration produites en première instance et auxquelles il entend se référer.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2018, Mme E...A..., représentée par Me C...D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme
de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
- l'arrêté contesté a été pris irrégulièrement en méconnaissance des dispositions de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile faute de saisine préalable de la commission du titre de séjour ;
- il est entaché d'erreur de droit, au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code susmentionné ;
- il procède d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il contrevient à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance du 31 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 juin 2018.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu au profit de Mme A... par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris
du 24 novembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;
- la convention internationale signée à New York le 26 janvier 1990, relative aux droits de l'enfant, publiée par décret du 8 octobre 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Appèche a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que le préfet de police relève régulièrement appel du jugement
n° 1703054/1-1 du 31 mai 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande présentée devant lui par Mme A..., en annulant l'arrêté préfectoral du 5 octobre 2016, en enjoignant à l'administration de délivrer à l'intéressée un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et en mettant à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ;
3. Considérant que, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ;
4. Considérant, que pour refuser à Mme A...un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, le préfet de police s'est fondé sur la circonstance que la reconnaissance anticipée par M. F...B..., ressortissant français né en Côte d'Ivoire le 20 août 1984, de l'enfant de l'intéressée, né en France le 5 février 2014, présentait un caractère frauduleux et n'avait eu pour objet que de permettre à Mme A...d'obtenir un titre de séjour ; qu'aucun élément ne vient corroborer l'existence de relations entre la requérante et M. B...avant la reconnaissance par anticipation de l'enfant, dès le 30 septembre 2013, pas plus qu'une quelconque forme de vie commune ou même d'un projet de vie commune avec celui-ci, Mme A...n'ayant jamais, comme le relève le préfet sans être contredit, fait aucun état d'aucun concubinage et étant avec son enfant hébergée par un tiers ; que, comme l'établit le préfet de police, M.B..., s'est marié le
12 septembre 2013, soit à peine 18 jours avant la reconnaissance anticipée de l'enfant de MmeA..., avec Mme I. une autre ressortissante ivoirienne, laquelle est entrée en France en qualité de conjoint de français en décembre 2013 et s'est de ce fait vu délivrer un titre de séjour ; que M.B..., qui avait déjà reconnu trois autres enfants nés en Côte d'Ivoire en 1999 et 2003, avait par ailleurs déjà procédé, le 4 février 2013, à une autre reconnaissance par anticipation de paternité concernant une autre ressortissante ivoirienne, Mme G.G, laquelle, en situation irrégulière, a ainsi pu solliciter, après la naissance de l'enfant en juillet 2013, un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français ; que dans ces conditions, et alors qu'à la date de l'arrêté contesté, M. B...n'avait entretenu aucune relation avec l'enfant de Mme A..., ni participé de manière quelque peu significative à son éducation ou à son entretien, les faits et documents postérieurs à l'intervention dudit arrêté et à l'engagement d'un recours contre cet acte invoqués par Mme A... n'étant pas de nature à remettre en cause ce constat, le préfet de police établit que la reconnaissance de paternité concernant le fils de Mme A... avait pour objet de permettre à cette dernière de prétendre, en qualité de parent d'enfant français, à un titre de séjour ; que par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est pour un motif erroné, tiré de ce qu'il n'établissait pas le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme A... et de l'obtention par celle-ci de la qualité de parent d'enfant français, que le tribunal administratif a estimé qu'il avait illégalement retenu cette fraude pour refuser à l'intéressée le titre de séjour qu'elle sollicitait ;
Sur les autres moyens invoqués par Mme A... devant le tribunal administratif et devant la Cour :
5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir de la qualité de parent d'enfant français acquise par fraude ; que par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions énoncées ci-dessus doit être écarté comme non fondé, de même que celui tiré de ce que Mme A..., pouvant prétendre de plein droit à un titre de séjour, le refus litigieux aurait été opposé à l'issue d'une procédure irrégulière faute de consultation préalable de la commission du titre de séjour ;
6. Considérant qu'eu égard à l'ensemble des circonstances susdécrites et aux conditions et à la durée du séjour en France de Mme A..., cette dernière n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté litigieux procèderait d'une analyse manifestement erronée de sa situation et des conséquences que pourraient avoir sur celle-ci les décisions contenues dans cet arrêté ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
8. Considérant qu'eu égard à l'ensemble de la situation personnelle et familiale de Mme A... décrite ci-dessus, l'arrêté litigieux ne peut être regardé comme portant au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par l'auteur dudit arrêté, chargé de la police des étrangers et donc de l'application et du respect des textes régissant leur entrée et leur maintien sur le territoire français ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est en droit d'obtenir l'annulation des articles 1er à 3 du jugement attaqué du Tribunal administratif de Paris, et le rejet de la demande présentée par Mme A... devant ce tribunal ; que les conclusions présentées en appel par cette dernière doivent être rejetées et notamment celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du
10 juillet 1991, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement n° 1703054/1-1 du Tribunal administratif de Paris du
31 mai 2017 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E...A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2018, où siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique le 23 octobre 2018.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02287