Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 15 mars, 19 avril et 2 octobre 2018, M. B..., représenté par la SCP Delamarre et Jéhannin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1621752/5-1 du 18 janvier 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler le rapport circonstancié du 12 mai 2017 et de constater l'impossibilité de procéder à son évaluation au titre de l'année 2015.
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier car entaché d'insuffisance de motivation au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;
- les premiers juges se sont mépris sur la nature de sa demande et n'ont pas statué sur ses conclusions ; il ne demandait pas l'annulation de la décision du ministre de la défense rendue sur recours administratif, mais la confirmation de cette décision en tant qu'elle retire la fiche individuelle de notation établie au titre de l'année 2015 ; il demandait en outre l'annulation du rapport circonstancié établi le 12 mai 2017 suite à l'intervention de la décision ministérielle susmentionnée ;
- en estimant que son attitude " vindicative, voire méprisante " envers ses collègues et sa hiérarchie, son manque d'autonomie et son absence de motivation pour exercer ses fonctions justifiaient l'évaluation contestée, les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;
- compte tenu des instructions mentionnées dans la circulaire du ministre du 8 janvier 2016, il y a lieu de constater l'impossibilité de procéder à son évaluation au titre de l'année 2015.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 septembre 2018, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 26 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée
au 12 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- la circulaire n° 4140/DEF/DGNDRH/SDGS/OAC du 8 janvier 2016 relative à la notation 2016 des officiers des corps de l'armement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations de Me Guerrero, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1621752/5-1 du 18 janvier 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande présentée devant lui par M. B...et qu'il a analysée comme tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 24 janvier 2017 rendue par le ministre de la défense sur le recours administratif préalable obligatoire en date du 24 juin 2016 formé par M. B...contre son évaluation professionnelle au titre de l'année 2015 établie le 23 juin 2016. Par la requête susvisée, ce dernier relève appel dudit jugement.
2. Aux termes de 1'article L. 4135-1 du code de la défense : " Les militaires sont notés au moins une fois par an. 1 La notation est traduite par des notes et des appréciations qui sont obligatoirement communiquées chaque année aux militaires. 1 A l'occasion de la notation, le chef fait connaître à chacun de ses subordonnés directs son appréciation sur sa manière de servir. (...) ". L'article R. 4135-1 du même code précise que : " La notation est une évaluation par l'autorité hiérarchique des qualités morales, intellectuelles et professionnelles du militaire, de son aptitude physique, de sa manière de servir pendant une période déterminée et de son aptitude à tenir dans l'immédiat et ultérieurement des emplois de niveau plus élevé. ". L'article R. 4135-2 dudit code dispose que : " La notation est traduite : /1° Par des appréciations générales, qui doivent notamment comporter les appréciations littérales données par l'une au moins des autorités chargées de la notation; / 2° Par des niveaux de valeur ou par des notes chiffrées respectivement déterminés selon une échelle ou selon une cotation définie, dans chaque force armée ou formation rattachée, en fonction des corps qui la composent. / La notation est distincte des propositions pour l'avancement. ". Enfin, l'article R. 4135-3 du même code énonce que : " Le militaire est noté à un ou plusieurs degrés par les autorités militaires ou civiles dont il relève. Le nombre de degrés de notation et la désignation des autorités correspondantes sont déterminés par arrêté du ministre de la défense et, pour les militaires de la gendarmerie nationale, du ministre de l'intérieur, en considération du corps, du grade, de la fonction du militaire et de l'organisation propre à chaque force armée ou formation rattachée. / Pour établir la notation du militaire, ces autorités doivent prendre en considération l'ensemble des activités liées au service exécutées par l'intéressé au cours de la période de notation, à l'exception de celles exercées en tant que représentant de militaires auprès de la hiérarchie ou au sein d'un organisme consultatif ou de concertation. ".
3. Une circulaire du ministre de la défense relative à la notation 2016 des officiers des corps de l'armement (ODA) prévoit en son point 6.4 que : " Un rapport circonstancié devra impérativement être établi dans les cas suivants : (...) pour une proposition de baisse de deux niveaux " A+ " ou " A " à niveau " C " ainsi que niveau " B " à niveau " D " ".
4. M.B..., ingénieur principal de l'armement, a saisi, le 24 juin 2016, la commission des recours des militaires d'un recours administratif préalable obligatoire contre sa fiche individuelle d'évaluation établie et notifiée le 23 juin 2016, au titre de l'année 2015, année durant laquelle il a exercé ses fonctions au centre d'analyse technico-opérationnelle de défense de la direction de la stratégie de la direction générale de l'armement du ministère de la défense. En l'absence de décision de l'administration rendue sur ce recours, M. B... a saisi le Tribunal administratif de Paris 12 décembre 2016 d'une demande tendant à l'annulation du rejet implicite de son recours. En cours d'instance devant ledit tribunal, une décision expresse du ministre de la défense, prise le 24 janvier 2017 et notifiée le 6 février suivant à M. B...par le président de la commission des recours, est intervenue, par laquelle le ministre, d'une part, retire la fiche d'évaluation susmentionnée du 23 juin 2016 au motif que celle-ci, procédant à un abaissement de B à D du niveau de l'appréciation de valeur portée sur M.B..., était, selon lui, intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédée d'un rapport circonstancié, et d'autre part, indique qu' " une nouvelle notation sera établie dans le respect de la procédure prévue par les textes relatifs à la notation des officiers des corps de l'armement. ". L'évaluation de M. B... au titre de l'année 2015 a donné lieu, suite à la décision ministérielle susmentionnée, à la rédaction d'un rapport circonstancié signé le 12 mai 2017, par un ingénieur de l'armement et à l'établissement d'une nouvelle fiche individuelle d'évaluation datée du même jour signée par la même personne en qualité de notateur en dernier ressort.
Sur la régularité du jugement :
5. M. B...fait valoir que les premiers juges se sont mépris sur la nature et l'étendue de sa demande, dès lors qu'il n'entendait pas contester la décision du ministre de la défense en date du 24 janvier 2017 et notifiée le 6 février suivant. En effet, il résulte des écritures produites par M. B...devant le tribunal que celui-ci demandait l'annulation de la fiche individuelle d'évaluation en date du 23 juin 2016, la confirmation de la décision ministérielle du 24 janvier 2017, en tant qu'elle portait retrait de la fiche individuelle d'évaluation initialement établie au titre de l'année 2015 et, dans ses mémoires déposés en cours d'instance, l'annulation du rapport circonstancié du 12 mai 2017. Les écritures produites en première instance ne pouvaient être regardées que comme contestant, d'une part, la décision en date du 23 juin 2016 et la décision ministérielle du 24 janvier 2017, en tant seulement qu'elle prévoyait l'établissement d'une nouvelle fiche de notation au titre de l'année 2015, et d'autre part, le rapport circonstancié susmentionné établi le 12 mai 2017 postérieurement à cette décision ministérielle. Par suite, le tribunal administratif, qui s'est mépris sur les conclusions qui lui étaient soumises et a omis de constater qu'il n'y avait plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions de M. B...tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 23 juin 2016, laquelle avait fait l'objet d'un retrait devenu définitif, a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, il y a lieu pour la Cour d'annuler ledit jugement et d'évoquer.
Sur les conclusions présentées par M. B...devant le tribunal administratif et le surplus de sa requête d'appel :
6. En premier lieu, si M. B...a entendu demander l'annulation de la fiche d'évaluation établie initialement le 23 juin 2016, au titre de l'année 2015, les conclusions en ce sens sont devenues sans objet, cette évaluation ayant été retirée par la décision ministérielle susmentionnée intervenue le 24 janvier 2017, et cette décision de retrait étant devenue définitive faute de contestation, il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur ces conclusions.
7. En deuxième lieu, M. B...fait valoir qu'il eût été préférable de renoncer à établir une fiche de notation le concernant au titre de l'année 2015, durant laquelle il a été déclaré inapte au travail à l'issue d'une visite médicale le 26 octobre 2015, et n'a repris le travail que
le 19 janvier 2016. Si ce faisant, M. B...a entendu contester la décision ministérielle
du 24 janvier 2017 en tant qu'elle prévoit l'établissement d'une nouvelle fiche d'évaluation, il n'est pas fondé à le faire, dès lors qu'aucune disposition législative ou règlementaire ne prévoit, nonobstant cette circonstance, que l'agent concerné ne fasse pas l'objet d'une évaluation. Par ailleurs, si M. B...entend demander au juge administratif de dire qu'il y a lieu de considérer l'année 2015 comme " une année blanche " et de renoncer à l'établissement d'une évaluation le concernant au titre l'année 2015, de telles conclusions, ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'il n'appartient au juge administratif ni de se substituer à l'administration ni, en dehors des cas définis aux articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, d'édicter des injonctions à l'encontre de l'administration.
8. En troisième lieu, M. B...demande l'annulation du rapport circonstancié susmentionné établi le 12 mai 2017. Toutefois, ce rapport ne constitue pas, en lui-même, une décision faisant grief dont les dispositions peuvent être contestées devant le juge de l'excès de pouvoir, en dehors d'un recours engagé par l'agent contre la décision d'évaluation. M.B..., qui ne sollicite pas l'annulation de la seconde fiche individuelle d'évaluation établie le
12 mai 2017 au titre de l'année 2015, et ne serait en tout état de cause pas recevable, en vertu des dispositions de l'article R. 4125-1 du code de la défense, à le faire directement devant la juridiction administrative, ne peut utilement critiquer les termes du rapport susmentionné et n'est pas recevable, comme le fait valoir le ministre, à en demander l'annulation.
9. De tout ce qui précède, il résulte qu'il y a lieu d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 18 janvier 2018, de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande présentées par M. B...devant ce tribunal en tant qu'elles tendaient à l'annulation de la fiche individuelle d'évaluation établie au titre de l'année 2015 et de rejeter le surplus, tant de ses conclusions présentées devant le tribunal, que de celles présentées en appel, y compris, le cas échéant, ses conclusions à fin d'injonction. Il en va de même, par voie de conséquences, des conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris du 18 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif en tant qu'elles tendent à l'annulation de la fiche individuelle d'évaluation établie le 23 juin 2016 au titre de l'année 2015.
Article 3 : Le surplus de la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris et de sa requête d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mars 2019.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00874