Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 décembre 2020, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1900326 du 28 mai 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de fixer les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 90 039,85 euros.
Elle soutient que :
- son recours contre l'ordonnance de taxe n'était pas tardif ; sa demande du 14 juin 2019, a été expédiée le 18 juin, moins d'un mois à compter de la notification du jugement du
17 mai 2019 ; si elle n'a été enregistrée par le greffe du tribunal administratif de La Réunion que le 9 juillet 2019, un éventuel dysfonctionnement du greffe du tribunal ou des services de la Poste ne lui saurait être opposé sans qu'il soit porté atteinte à son droit au recours effectif ;
- à titre subsidiaire, il convient d'appliquer le délai de distance prévu par l'article
R 421-7 du code de justice administrative en l'absence de dispositions spéciales de nature à exclure les recours à l'encontre d'une ordonnance de taxe du champ d'application de ce texte ;
- ses demandes au titre des frais et honoraires sont fondées au regard de l'importance et des difficultés de l'expertise qui lui a été confiée ; elles sont justifiées par l'ensemble des pièces visées dans son recours du 14 juin 2019.
Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2020, le tribunal administratif de La Réunion, représenté par son président, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le recours de Mme F..., parvenu au greffe du tribunal administratif de La Réunion le 9 juillet 2019 ainsi qu'en atteste le tampon, soit après l'expiration du délai d'un mois franc prévu par l'article R. 761-5 du code de justice administrative, est tardif ; il incombe à la requérante de justifier de la date de l'envoi de son courrier en temps utile et d'un délai anormal d'acheminement depuis le territoire métropolitain vers le département de La Réunion ;
- les dispositions de l'article R. 421-7 du code de justice administrative sont uniquement applicables au délai de recours de droit commun prévu par l'article R. 421-1 ;
- à titre subsidiaire, au fond, les éléments apportés par la requérante ne sont pas de nature à justifier les montants demandés au titre de ses frais et débours, à l'exception des frais de transport pour lesquels le tribunal administratif avait donné son accord.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 1400391 en date du 17 mai 2019 taxant et liquidant les frais et honoraires de Mme F..., experte désignée,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une ordonnance du 13 octobre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a désigné Mme F..., ingénieur, pour mener une expertise portant, d'une part, sur la détermination de l'origine et de la nature des désordres affectant la station d'épuration de la commune de Saint-Benoît et, d'autre part, sur le coût des travaux nécessaires pour y mettre un terme. Mme F... a remis son rapport le 29 juin 2017 et ses frais et honoraires, mis à la charge de la commune de Saint-Benoît, ont été liquidés et taxés par une ordonnance du 17 mai 2019 du président du tribunal administratif de La Réunion à la somme de 62 958,95 euros, toutes taxes comprises, alors que l'expert avait fixé le montant de ses débours à 90 039, 85 euros. Mme F... relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté comme tardif le recours formé contre cette ordonnance.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 761-5 du code de justice administrative : " Les parties, l'Etat lorsque les frais d'expertise sont avancés au titre de l'aide juridictionnelle ainsi que, le cas échéant, l'expert, peuvent contester l'ordonnance mentionnée à l'article R. 761-4 devant la juridiction à laquelle appartient l'auteur de l'ordonnance. (...) Le recours mentionné au précédent alinéa est exercé dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance sans attendre l'intervention de la décision par laquelle la charge des frais est attribuée. ".
3. Pour rejeter comme tardive la demande présentée par Mme F... tendant à la réformation de l'ordonnance de taxation de l'expertise qui lui avait été notifiée le 24 mai 2019, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a retenu qu'elle était parvenue au greffe du tribunal administratif de La Réunion le 9 juillet 2019, alors que le délai d'un mois fixé par l'article R 761-5 du code de justice administrative, seul applicable, était écoulé. Toutefois, en cause d'appel, Mme F... établit avoir adressé sa contestation datée du 14 juin 2019 de l'ordonnance de taxation par un courrier avec accusé de réception remis à la poste le 18 juin 2019. Il ressort donc de ces justificatifs que la requérante a posté sa lettre en temps utile pour que la requête soit enregistrée avant l'expiration du délai de recours, le 25 juin 2019. Eu égard au retard anormal dans la transmission postale entre la métropole et le département de La Réunion, elle doit en conséquence être relevée de la forclusion qui lui a été opposée et elle est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Le jugement du 28 mai 2020 doit, dès lors, être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie.
Sur la taxation des frais d'expertise :
5. Aux termes de l'article R. 621-11 du code de justice administrative : : " Les experts et sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 ont droit à des honoraires, sans préjudice du remboursement des frais et débours. / Chacun d'eux joint au rapport un état de ses vacations, frais et débours. / Dans les honoraires sont comprises toutes sommes allouées pour étude du dossier, frais de mise au net du rapport, dépôt du rapport et, d'une manière générale, tout travail personnellement fourni par l'expert ou le sapiteur et toute démarche faite par lui en vue de l'accomplissement de sa mission. / Le président de la juridiction, après consultation du président de la formation de jugement, (...) fixe par ordonnance, conformément aux dispositions de l'article R. 761-4, les honoraires en tenant compte des difficultés des opérations, de l'importance, de l'utilité et de la nature du travail fourni par l'expert ou le sapiteur et des diligences mises en oeuvre pour respecter le délai mentionné à l'article R. 621-2. Il arrête sur justificatifs le montant des frais et débours qui seront remboursés à l'expert / (...) Lorsque le président de la juridiction envisage de fixer la rémunération de l'expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable l'aviser des éléments qu'il se propose de réduire, et des motifs qu'il retient à cet effet, et l'inviter à formuler ses observations. ".
Sur les frais et débours :
6. Le magistrat taxateur, qui a pris en considération les observations de Mme F..., a accepté d'indemniser les frais exposés par l'expert au titre de quatre déplacements entre la métropole et l'île de La Réunion à hauteur de la somme réclamée, soit 20 636,67 euros HT. Les sommes réclamées au titre des frais d'hôtellerie et de restauration soit 1 206,30 euros HT, celles réclamées au titre des frais de laboratoire, soit 11 200 euros HT, et celles demandées au titre des frais de pharmacie soit 4,90 euros HT ne sont pas contestées en appel.
7. S'agissant des frais de secrétariat et de reprographie pour lesquels l'expert a réclamé la somme totale de 3 020,50 euros HT et des frais de tirages de plans, photos et relevés pour lesquels elle a demandé la somme totale de 1 998,07 euros HT, ils ont été réduits par le magistrat taxateur sans que Mme F... ait été invitée à présenter des observations et à produire des justificatifs en méconnaissance de l'article R. 621-11 du code de justice administrative. Ces frais ont été justifiés dans le cadre de l'instance par Mme F.... Il y a donc lieu de lui accorder les sommes qu'elle réclame à ce titre.
8. Il résulte de ce qui précède que la somme allouée à Mme F... au titre des différents frais doit être fixée à 38 066,44 euros HT.
Sur les honoraires :
9. Il appartient au juge taxateur de fixer les honoraires en tenant compte des difficultés des opérations, de l'importance, de l'utilité et de la nature du travail fourni par l'expert et des diligences mises en oeuvre pour respecter le délai mentionné à l'article R. 621-2 du code de justice administrative.
10. Il résulte de l'instruction que Mme F... a évalué le montant de ses honoraires à la somme de 40 369,75 euros HT pour 246 heures de prestation, soit un taux horaire de 164 euros. Après avoir relevé que le taux demandé n'excédait pas le maximum du barème appliqué, le magistrat taxateur a toutefois estimé que le nombre d'heures réclamées était excessif au regard des investigations relatées dans le rapport et que la mission confiée ne comportait pas l'étude de questions techniques d'une particulière difficulté. Il a en conséquence fixé le nombre d'heures consacrées à l'étude du dossier à 45, celui consacré aux visites et réunions à 24, le temps requis pour les déplacements à 70 heures et le temps affecté à la rédaction du rapport à 40 heures compte-tenu des moyens bureautiques actuels et des répétitions que comportaient certaines parties du rapport. Il a également relevé que les délais impartis n'avaient pas été respectés dès lors que le rapport d'expertise avait été déposé avec un retard de l'ordre de 26 mois, à l'issue de cinq prolongations du délai. Il a en conséquence procédé à une réfaction et accordé la somme de 19 656 euros.
11. Pour contester cette ordonnance, Mme F... invoque, notamment, la complexité technique de l'expertise, le temps consacré aux débats et à la rédaction du rapport, l'importance des désordres affectant la station d'épuration qui a rendu nécessaire le recours à plusieurs intervenants, avec pour conséquence une augmentation du temps d'étude. Elle évalue son temps de travail à 30 jours soit six semaines. Elle soutient que la durée d'étude du dossier et de rédaction des notes doit être, in fine, évaluée à 87 heures, celle des constats à 72 heures, que 32 heures ont été consacrés à des réunions, que la rédaction finale du rapport a pris 41,5 heures, que s'y ajoutent 70 heures pour les déplacements et 13,5 heures d'entretien avec le tribunal administratif, soit un total de 316 heures.
12. En l'espèce, la difficulté de la mission confiée à Mme F... ne présente pas de caractère exceptionnel, elle n'excède pas sa compétence reconnue et l'intéressée a bénéficié de l'assistance d'un sapiteur. Par ailleurs, la demande d'honoraires au titre des heures d'entretien avec le greffe du tribunal administratif n'est pas justifiée. Cependant l'ampleur des investigations qui lui ont été confiées a rendu nécessaires quatre déplacements sur place et de fréquentes réunions en présence d'un nombre important de parties. Il y a lieu en conséquence de fixer à 45 heures le temps consacré à l'étude du dossier, à 35 heures le temps consacré aux visites et réunions, à 70 heures le temps, en l'occurrence non contesté, consacré aux déplacements et à 40 heures le temps consacré à la rédaction finale du rapport. Les honoraires doivent donc être calculés sur la base de 190 heures.
13. Si la compétence de Mme F... qui applique un taux horaire n'excédant pas le barème habituellement pratiqué par ses confrères est reconnue, et si la qualité de son expertise n'est pas en cause, le retard de l'ordre de 26 mois avec lequel le rapport a été déposé ne peut être regardé comme exclusivement imputable aux particularités du dossier, à des tiers ou à la force majeure. Il y a donc lieu de lui appliquer une réfaction au titre de ses retards et de fixer le taux horaire de sa rémunération à 135 euros. Il lui sera donc allouée la somme totale de 25 650 euros HT.
Sur le taux de TVA applicable :
14. Aux termes des dispositions de l'article 296 du code général des impôts : " Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue : 1° a) Au taux réduit de 2,10 % pour les opérations visées aux articles
278-0 bis à 279-0 bis A et à l'article 298 octies ; b) Au taux normal de 8,50 % dans les autres cas ".
15. L'expertise a été diligentée par le tribunal administratif de La Réunion et a eu lieu sur cette île. Il y a donc lieu d'appliquer la TVA au taux en vigueur à la Réunion, soit 8,5%, ce que ne conteste pas au demeurant Mme F... qui a modifié ses demandes initiales en conséquence.
16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, en l'espèce, de porter à
63 716,44 euros HT soit 69 132,34 euros TTC, la somme allouée à Mme F.... Compte tenu du montant des allocations provisionnelles accordées à l'expert, qui s'élèvent à
68 352 euros, la commune de Saint Benoit, à qui ces frais et honoraires ont été mis à la charge, versera à Mme F... la somme de 777, 34 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1900326 du 28 mai 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.
Article 2 : Les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme F... par l'ordonnance du tribunal administratif de La Réunion du 13 octobre 2014 sont liquidés à la somme de 69 132,34 euros TTC au titre de ses frais et honoraires. Compte tenu des allocations provisionnelles versées par la commune de Saint Benoît, qui s'élèvent à la somme de
68 352 euros, la commune de Saint Benoit versera à Mme F... la somme de
777, 34 euros.
Article 3 : L'ordonnance n°1400391 du 17 mai 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion est réformée en ce qu'elle est contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F..., à la commune de Saint-Benoît et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au président du tribunal administratif de La Réunion, à la société Sogea Réunion, à la société Egis Eau, à la société bourbonnaise de travaux publics et de construction, à la société Vinci construction France, à la société Cise Réunion, à la société Robuschi France et à M. C... A....
Délibéré après l'audience publique du 20 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
Le rapporteur,
M-D. B...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
1
N° 08PA04258
2
N° 20PA02640