Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée à la cour administrative d'appel de Versailles
le 13 octobre 2020, transmise à la cour administrative de Paris le 30 octobre 2020 par une ordonnance du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles
du 16 octobre 2020, et enregistrée le 2 novembre 2020 par le greffe, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2003043 du 15 septembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les demandes d'asile et de réexamen de la situation de M. A... ont été successivement rejetées par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ; c'est donc à tort que le tribunal administratif de Montreuil s'est fondé sur les poursuites dont M. A... ferait l'objet en Turquie pour juger que l'obligation de quitter le territoire français était entachée d'erreur manifeste d'appréciation et que la décision fixant le pays de destination méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant turc né le 1er août 1990, serait entré en France selon ses déclarations, le 24 juillet 2009. Sa demande d'asile a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 30 octobre 2009, et cette décision a été confirmée par la cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 juin 2010. Le rejet de la demande de réexamen par l'OFPRA le 21 août 2019 a été confirmé par la CNDA le 23 octobre suivant. Le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du 15 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du
7 février 2020 faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
S'agissant du motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. (...) ". Aux termes de l'article L. 743-3 du même code: " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une mesure d'éloignement (...) ". Par ailleurs, aux termes du I de l'article L. 511-1: " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Lorsque, dans l'hypothèse mentionnée à l'article L. 311-6, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la mesure peut être prise sur le seul fondement du présent 6° ; (...) ".
3. Ainsi qu'il a été rappelé au point 1 du présent arrêt, les demandes d'asile et de réexamen de demande d'asile formées par M. A... ont été rejetées successivement par l'OFPRA et la CNDA. Par suite, en application des dispositions précitées, l'intéressé ne pouvait se prévaloir d'un droit au séjour en qualité de demandeur d'asile.
4. Pour annuler la décision faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français, le magistrat désigné a retenu qu'une demande d'entraide judicaire avait été adressée le
18 septembre 2017 au ministère français de la justice par le procureur du tribunal correctionnel de Kandira en Turquie à l'encontre de M. A..., prévenu d'actes de propagande en faveur du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation séparatiste illégale. Cependant, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas, par elle-même, pour effet de renvoyer le ressortissant étranger dans son pays d'origine. Le magistrat désigné ne pouvait, dès lors, pour annuler l'obligation de quitter le territoire, retenir le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation fondé sur les risques auxquels serait exposé M. A... en cas de renvoi en Turquie. Le préfet de la Seine-Saint-Denis est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé, pour ce motif, l'obligation de quitter le territoire et, par voie de conséquence, la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
S'agissant du moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté :
6. Par arrêté n° 2020-0069 du 29 avril 2019, publié au bulletin d'informations administratives le même jour, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné délégation à
Mme F... D..., attachée d'administration d'Etat, pour signer, notamment, les décisions portant obligation de quitter le territoire, les décisions fixant le délai de départ volontaire, les décisions fixant le pays de destination et les décisions portant interdiction de retour du territoire français. Par suite, Mme D..., signataire de l'arrêté contesté, avait compétence pour signer les décisions contestées. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit donc être écarté comme manquant en fait.
7. Il résulte de ce qui précède la décision faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
8. Si la Cour nationale du droit d'asile, dans son arrêt n° 19041558 du 23 octobre 2019, s'était montrée prudemment dubitative sur l'authenticité des documents judiciaires émanant des juridictions turques, produits par l'intéressé, relatifs aux poursuites intentées contre M. A... à raison des faits de propagande en faveur d'une organisation politique illégale qui lui sont reprochés, l'existence d'une demande d'entraide judiciaire adressée par les autorités turques aux autorités françaises à raison de ces mêmes faits a été ultérieurement confirmée par une lettre du chef du bureau de l'entraide judiciaire internationale du ministère français de la justice
du 11 mars 2020. Dans ces conditions, M. A..., qui établit être exposé à des poursuites judiciaires à raison des opinions politiques exprimées par lui sur le net sans que lui soient garanties les conditions d'un procès équitable, est fondé à soutenir qu'un renvoi dans son pays d'origine contreviendrait aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision fixant le pays de destination doit dès lors être annulée en tant qu'elle prévoit que M. A... pourra être reconduit d'office à destination du pays dont il a la nationalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé les décisions contenues dans son arrêté du 7 février 2020 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours.
Sur les frais d'instance :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que présente le préfet de la Seine-Saint-Denis sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2003043 du 15 septembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il annule les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours contenues dans l'arrêt du préfet de la Seine-Saint-Denis du 7 février 2020.
Article 2 : Le surplus des conclusions du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A.... Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience publique du 20 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. E..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
Le rapporteur,
M-D. B... Le président de la formation de jugement,
Ch. E... Le président,
M. E...
Le greffier,
E. MOULIN
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N°20PA03168