Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 décembre 2017, 25 mai et
3 décembre 2018, M. A...C..., représenté par Me B...Brun demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 mars 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 088 340 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocate sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le retard mis par le poste consulaire de Beyrouth à assurer son transfert sanitaire en France alors qu'il était aveugle, et isolé à Alep en proie à la guerre civile, constitue une faute qui engage la responsabilité de l'Etat ;
- alors même qu'il s'agirait d'une mesure gracieuse, l'administration était tenue d'exécuter la décision d'assurer son rapatriement sanitaire ;
- les circonstances retenues par le tribunal tenant à son état de santé, à ses revenus et au blocage des routes ne dispensaient pas l'administration d'assurer son rapatriement ;
- le blocage des routes est postérieur à la décision de rapatriement ;
- il n'était pas voyageur mais Français établi en Syrie ;
- le ministère a produit en défense des télégrammes tronqués ;
- à supposer que l'inertie de l'administration ne serait pas fautive, la responsabilité sans faute de l'Etat, qui lui a causé un dommage anormal et spécial, serait engagée ;
- le retard de son rapatriement est à l'origine d'une perte de chance de recouvrer la vue ;
- il sollicite une expertise pour déterminer son préjudice qu'il évalue à la somme de 3 088 340 euros.
Par un mémoire enregistré le 9 mars 2018, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande de transfert sanitaire a été traitée sans délai et la décision prise rapidement le 28 juin 2013 ;
- l'impossibilité de quitter la Syrie, dont M. C...a informé les autorités consulaires françaises le 9 juillet 2013, est imputable à une mesure d'interdiction prise par les autorités syriennes sur laquelle le poste consulaire n'avait pas prise ;
- le transfert sanitaire depuis Alep n'a jamais été envisagé et, au demeurant, n'était pas possible ;
- une nouvelle demande de prise en charge a été traitée dès son arrivée à Beyrouth en décembre 2013, mais à cette date le SAMU a jugé que la cécité était irréversible ;
- il incombait à M. C...comme à tout Français à l'étranger d'assurer les conditions financières de son rapatriement ;
- la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée pour l'inexécution d'une mesure gracieuse ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat n'est pas engagée ;
- la causalité n'est pas établie entre le retard reproché aux autorités consulaires et le préjudice.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2017.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de M.C....
1. M. C...relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices qu'il impute à la mise en oeuvre tardive d'un rapatriement sanitaire que le consulat général de France à Beyrouth avait été chargé d'organiser.
Sur la responsabilité pour faute :
2. M.C..., ressortissant français résidant à Alep en Syrie, qui était demeuré dans cet Etat après le début de la guerre civile, a été hospitalisé dans cette ville le 17 mai 2013, pour un état grippal avec sinusite chronique. Le 18 mai 2013, la cécité est survenue brutalement. Les médecins syriens ont diagnostiqué un oedème avec inflammation du nerf optique. Les traitements assurés à Alep n'ont pas permis d'améliorer son état.
3. Le 12 juin 2013, M. C...a sollicité du ministère des affaires étrangères son rapatriement en France pour bénéficier d'examens complémentaires dans un établissement médical spécialisé. Dépourvu de ressources, il a également demandé la prise en charge de ses frais de transport et l'aide médicale d'Etat. La France ne disposant plus à cette date de postes diplomatique et consulaire en Syrie, cette demande a été traitée par le consul de France à Beyrouth qui a émis le 17 juin 2013 un avis favorable à ces demandes. Le dossier médical de
M.C..., complété entretemps par l'intéressé, a été transmis le 20 juin 2013, dès réception, par le ministère des affaires étrangères à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Le service d'aide médical d'urgence a préconisé le 26 juin 2013 le rapatriement urgent de
M. C...par avion de ligne, avec accompagnement médical. Par un télégramme du 28 juin 2013, le ministère des affaires étrangères a autorisé le consul général de France à Beyrouth à organiser le rapatriement de l'intéressé selon les modalités prescrites par le SAMU. Il résulte de l'instruction que M. C...a été informé sans délai de l'issue favorable réservée à sa demande. S'agissant d'une situation où le pronostic vital n'était pas en jeu, le dossier de
M. C...a donc été traité sans retard ni négligence par les services de l'Etat.
4. Le 9 juillet 2013, M. C...a, par l'intermédiaire d'un ami, adressé au consulat général de France à Beyrouth un courriel dans lequel il indiquait notamment que le blocage des routes entre Alep et la frontière persistait et qu'il faisait l'objet d'une interdiction de quitter le territoire syrien en raison de dettes qu'il aurait laissées dans ce pays. Ce courriel par lequel
M. C...informait les autorités consulaires qu'il était " dans l'impossibilité de voyager, dans l'attente de la grâce du bon Dieu " ne comportait pas de demande particulière et ne faisait pas état de perspectives immédiates d'un changement de sa situation. A la suite de quoi, les dispositions prises par le consulat général pour organiser son rapatriement sanitaire ont été suspendues le 12 juillet 2013.
5. Contrairement à ce que soutient M. C...en appel, l'instruction donnée le
28 juin 2013 par le ministère des affaires étrangères au consul général de France à Beyrouth d'organiser le rapatriement en France de l'intéressé selon les modalités prescrites par le SAMU, c'est-à-dire par avion de ligne avec accompagnement médical, ne portaient pas sur un transport direct entre Alep et Paris, et n'impliquaient pas un transport dans les mêmes conditions entre Alep et Beyrouth. A cet égard, le télégramme diplomatique produit en défense par le ministère n'est pas tronqué et se comprend de lui-même. Au demeurant, l'aéroport d'Alep était fermé depuis janvier 2013 en raison des combats et un transport par avion depuis cette ville n'était pas envisageable. Si la décision du ministère impliquait sans doute que le consulat général de France prenne toute disposition utile pour assurer le transport de M. C...entre la frontière syro-libanaise et Beyrouth dans l'hypothèse où celui-ci aurait été en mesure de quitter la Syrie et où il aurait formulé une demande expresse de prise en charge dès le passage de cette frontière, il n'entrait ni dans la compétence, ni dans la possibilité, des autorités consulaires françaises au Liban, dont la juridiction est limitée au territoire de cet Etat, de faire lever l'interdiction de quitter le territoire, qu'elle ait été ou non illégale, édictée par les autorités syriennes à l'encontre de l'intéressé, ni de rétablir la circulation sur les routes syriennes, interrompue par les combats, et moins encore, ainsi que le soutient le requérant, " d'exfiltrer " M. C...du territoire syrien. Dans ces circonstances, le report des dispositions prises pour le rapatriement sanitaire dans l'attente du moment où M. C...aurait été en mesure de quitter le territoire syrien n'a pas présenté le caractère d'une faute engageant la responsabilité de l'Etat.
6. M.C..., qui est parvenu à quitter la Syrie par ses propres moyens, a rejoint Beyrouth le 9 décembre 2013. Il ne saurait sérieusement soutenir qu'il aurait été délaissé par les services consulaires dès lors que le ministère des affaires étrangères, aussitôt informé de son arrivée à Beyrouth, a ce même jour relancé la procédure de rapatriement sanitaire auprès du SAMU. Le médecin de ce service a estimé le 17 décembre 2013, au vu des constats des ophtalmologues beyrouthins, qu'un rapatriement sanitaire en urgence était devenu injustifié, la cécité étant à cette date irréversible. La circonstance que le rapatriement, motivé par l'extrême modestie des ressources de M. C...et non par son état de santé, ne serait intervenu que le 3 mars 2014 n'a pas présenté le caractère d'un retard fautif et ne saurait en tout état de cause avoir privé l'intéressé d'une chance de recouvrer la vue.
7. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée sur le terrain de la faute.
Sur la responsabilité sans faute :
8. Le retard à mettre en oeuvre la décision du 28 juin 2013 autorisant le consul général de France à Beyrouth à organiser le rapatriement de M. C...selon les modalités prescrites par le SAMU résulte d'une part de la décision des autorités syriennes de lui interdire de quitter le territoire tant qu'il ne se serait pas libéré de ses dettes, d'autre part de la guerre civile syrienne qui a conduit à la fermeture de l'aéroport d'Alep et à l'interruption de la circulation routière entre cette ville et la frontière libanaise. Le préjudice de M. C...trouvant son origine dans le fait d'un Etat étranger, la responsabilité de l'Etat français sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques ne saurait dès lors être recherchée.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
10. Les conclusions de son avocate présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Me Brun, avocat de M.C..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Me B...Brun.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 avril 2019.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 17PA03825