Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 décembre 2018, M. A...B..., représenté par Me C... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 novembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 20 juillet 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour salarié et, à défaut, sous la même astreinte, de lui délivrer un titre de séjour mention vie privée et familiale ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que :
- l'arrêté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- en retenant que seul l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 lui était applicable, le préfet de police a entaché son arrêté d'une erreur de droit ;
- le préfet de police aurait dû saisir la direction régionale des entreprises, de la concurrence de la consommation, du travail et de l'emploi pour un second avis car sa situation avait évolué ;
- le préfet de police aurait dû prendre une décision immédiatement après sa présentation à la préfecture le 20 octobre 2017 ;
- le préfet de police a méconnu les termes de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;
- il a été discriminé en raison de son âge ;
- compte tenu de l'ancienneté de son séjour et des conditions d'emploi, la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car il justifie d'une bonne intégration sociale et d'une vie privée en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 mars 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La cour a pris connaissance du mémoire, enregistré le 1er avril 2019, présenté pour M. B... qui répond au mémoire en défense du préfet de police.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier,
- et les observations de MeC..., représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité tunisienne, entré en France le 24 février 2012 selon ses déclarations, a présenté, le 20 octobre 2017, une demande d'admission au séjour en qualité de salarié sur le fondement de l'article 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 juillet 2018, le préfet de police lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays à destination. M. B...relève appel du jugement du 7 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. L'arrêté vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 511-1, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, et l'article 3 de la convention franco-tunisienne du 17 mars 1988. Pour refuser d'accorder ce titre de séjour, le préfet de police a estimé que M. B...ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui n'est pas applicable aux ressortissants tunisiens, et que l'intéressé qui ne disposait ni d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes ni d'un visa long séjour, ne remplissait pas les conditions posées par l'article 3 de la convention franco-tunisienne. Il a relevé, pour le surplus, que la production d'un contrat de travail, alors que sa situation professionnelle avait déjà donné lieu à un avis défavorable des services de la main d'oeuvre étrangère de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi le 17 décembre 2015 et qu'elle n'avait pas évolué, ne constituait pas en tout état de cause une circonstance exceptionnelle. Il a enfin considéré que sa décision ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. B... à une vie privée et familiale et qu'un renvoi dans son pays d'origine ne l'exposait pas à des traitements inhumains et dégradants. Par suite, l'arrêté contesté, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé. Si le requérant soutient que certains des motifs de l'arrêté seraient erronés en droit ou en fait, les éventuelles inexactitudes, qui ne sauraient affecter que la légalité interne de l'arrêté, sont sans incidence sur le caractère suffisant de la motivation.
3. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté ni des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle de M.B.... Aucun texte n'impose à l'administration de statuer immédiatement sur la demande dont elle est saisie. Le délai de neuf mois entre le dépôt de la demande et la notification de la décision du préfet est sans incidence sur sa légalité.
4. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers et aux conditions de délivrance de ces titres s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 111-2 du même code, " sous réserve des conventions internationales ". En ce qui concerne les ressortissants tunisiens, l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail stipule que : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord./ Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". L'article 3 du même accord stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) ".
5. Par ailleurs, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée (...) à l'étranger (...) dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
6. L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui porte sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Le moyen soulevé par M. B...tiré de ce que le refus de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salariée " méconnaîtrait ces dispositions est dès lors inopérant.
7. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Paris, en énonçant que l'article 3 de l'accord franco-tunisien " régit de manière exclusive la situation des ressortissants tunisiens souhaitant bénéficier d'une carte de salarié " et que " ces derniers ne peuvent donc pas invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code susmentionné relatives à la délivrance, à titre exceptionnel, d'un titre de séjour dans ce cadre ", le préfet de police a uniquement entendu écarter l'application de ces dernières dispositions, et non celle des dispositions de l'article R. 5221-20 du code du travail relatives aux conditions de délivrance des autorisations de travail. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que le préfet de police aurait à tort considéré que l'article R. 5221-20 du code du travail serait inapplicable aux demandes de titre de séjour portant la mention " salarié " formulées par les ressortissants tunisiens.
8. Il est constant que M. B...ne disposait pas du visa de long séjour exigé par l'article L. 311-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment des Tunisiens qui sollicitent une carte de séjour temporaire en qualité de salarié, et que le contrat de travail qu'il produisait n'avait pas été visé le service de la main d'oeuvre étrangère de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ainsi que le prévoit les stipulations citées au point 4 des accords franco-tunisiens. Un titre de séjour salarié ne pouvait dès lors lui être délivré sur le fondement de ces accords.
9. Si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas des modalités d'admission exceptionnelle au séjour semblables à celles prévues par l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
10. M.B..., entré en France en 2012, produit des bulletins de paie émanant de la même entreprise depuis octobre 2013 et fait valoir que le métier de chef de chantier est sous tension. Pour rejeter sa demande, le préfet de police a estimé que ces circonstances de pouvaient être regardées comme un motif exceptionnel susceptible de justifier une mesure de régularisation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, ce faisant, le préfet de police, qui n'était pas tenu de consulter le service de la main d'oeuvre étrangère de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi déjà saisi d'une précédente demande en 2015, aurait entaché son appréciation d'une erreur manifeste. Les allégations de l'intéressé concernant la discrimination dont il serait victime en raison de son âge ne sont pas établies. Enfin M. B... ne saurait se prévaloir utilement de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 qui est dépourvue de valeur réglementaire
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance... ".
12. M. B...se prévaut d'une durée de résidence de six ans, d'une activité professionnelle et de son intégration en France. Toutefois, l'intéressé qui s'est maintenu sur le territoire en dépit d'une décision d'éloignement prise à son encontre le 1er juillet 2016, a vécu au moins jusqu'à l'âge de 50 ans en Tunisie où résident encore sa compagne ainsi que ses quatre enfants, dont certains étaient mineurs à la date de l'arrêté. En dépit de la durée de son séjour et des attaches alléguées en France mais dont la réalité n'est pas établie, la décision contestée n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B...à une vie privée et familiale. Le préfet de police n'a pas davantage, dans les circonstances particulières de l'espèce, commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cet arrêté sur la situation personnelle de l'intéressé.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté contesté. Ses conclusions aux fins d'annulation doivent par suite être rejetées. Les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 avril 2019.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 10PA03855
2
N°18PA03766