Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2018 et régularisée le 17 juillet 2018, la société Artech, représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1605622-1 du 4 mai 2018 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 22 février 2016 par laquelle l'OFII a mis à sa charge la somme de 35 200 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier de deux travailleurs étrangers démunis d'autorisation de travail et la somme de 5 106 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement ainsi que la décision du 4 mai 2016 rejetant son recours gracieux dirigé contre la décision du 22 février 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'OFII les dépens ainsi que le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Artech soutient que :
- le signataire de la décision du 4 mai 2016 portant rejet de recours gracieux n'avait pas compétence pour ce faire ;
- les dispositions des articles L. 8251-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été méconnues dès lors qu'elle avait satisfait à son obligation de vérifier auprès de l'autorité administrative l'existence des titres de séjour des personnes employées au moment de l'embauche ;
- dans le cas de M. C..., alias G..., elle a été victime de la fraude de ce salarié qui l'a trompée en usurpant l'identité d'un tiers ce qui l'exonère de toute responsabilité ;
- s'agissant de M. B..., ce dernier a été embauché le jour même du contrôle qui a eu lieu avant qu'il ait effectué le moindre travail, et son recrutement a immédiatement été déclaré à l'Urssaf ; la préfecture de Seine-Saint-Denis a été interrogée sur la validité de son titre de séjour avant que l'employeur ait eu connaissance du contrôle et ce n'est que cinq jours plus tard que l'administration l'a informée que l'intéressé était en situation irrégulière ; par ailleurs, depuis lors, M. B... a été mis en possession d'un titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société requérante une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 février 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Artech est une entreprise du bâtiment. Lors d'un contrôle diligenté le
1er juillet 2015 vers 8 heures, sur l'autoroute A5 au péage des Éprunes, en Seine-et-Marne, les services de gendarmerie ont constaté que M. C..., alias G... et M. B..., ressortissants ivoiriens dépourvus d'autorisation de travail et de séjour, circulaient à bord d'un de ses véhicules pour se rendre sur un chantier. Le procès-verbal d'infractions établi le même jour a été transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 20 novembre 2015, a avisé la société Artech de la mise en oeuvre des dispositions des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un délai de quinze jours lui a été accordé à compter de la réception du courrier pour faire valoir des observations. Des observations ont été adressées à l'OFII par la société requérante, par lettre en date du 4 décembre suivant. Par une décision du
22 février 2016, l'OFII a mis à la charge de la société Artech la somme de 35 200 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 5 106 euros au titre de contribution forfaitaire de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le recours gracieux formé le 11 mars 2016 par la société Artech contre cette décision a été rejeté par l'OFII le 4 mai 2016. La société a saisi le tribunal administratif de Melun d'un recours tendant à l'annulation de ces deux décisions. Elle fait appel du jugement du 4 mai 2018 par lequel de ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision du 22 février 2016 :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code, dans sa rédaction alors en
vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine.".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ". Aux termes de l'article R. 5221-41 du même code : " Pour s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail d'un étranger qu'il se propose d'embaucher, en application de l'article L. 5221-8, l'employeur adresse au préfet du département du lieu d'embauche ou, à Paris, au préfet de police une lettre datée, signée et recommandée avec avis de réception ou un courrier électronique, comportant la transmission d'une copie du document produit par l'étranger. A la demande du préfet, il peut être exigé la production par l'étranger du document original. ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-42 du même code : " La demande de l'employeur est adressée au préfet au moins deux jours ouvrables avant la date d'effet de l'embauche. Le préfet notifie sa réponse à l'employeur par courrier, télécopie ou courrier électronique dans un délai de deux jours ouvrables à compter de la réception de la demande. A défaut de réponse dans ce délai, l'obligation de l'employeur de s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail est réputée accomplie. ".
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.
5. Enfin, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.
S'agissant de l'embauche de M. G... alias M. C... :
6. La société requérante soutient que lors de son recrutement, le 20 avril 2015, l'intéressé s'est présenté à elle sous une fausse identité, muni d'un récépissé de demande de titre de séjour valable du 12 février au 11 août 2015 autorisant son titulaire à travailler et qu'elle a toujours cru, de bonne foi, que M. G... s'appelait C.... Elle justifie pour la première fois en appel, avoir saisi le 27 mai 2018, en application des dispositions citées au point 3 du présent arrêt, la préfecture de Seine-Saint-Denis, afin qu'elle vérifie l'existence du titre séjour présenté par l'intéressé, sans obtenir de réponse. L'employeur, qui n'est pas contredit par l'OFII sur l'existence de cette démarche, doit ainsi être regardé comme justifiant de l'accomplissement de son obligation de s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail. Il n'est pas soutenu par l'OFII que la société Artech aurait été en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. Ainsi la société requérante, qui peut se prévaloir de sa bonne foi, est fondée à solliciter la décharge des sommes dont le paiement lui est réclamé au titre de l'embauche de M. G..., alias C....
S'agissant de l'embauche de M. B... :
7. La société requérante soutient que la déclaration préalable à l'embauche de M. B... a été reçue par l'Urssaf, le 1er juillet 2015 à 8h.00, alors que son contrat avait été signé le 30 juin précédent et devait prendre effet le jour du contrôle à l'origine des sanctions, postérieurement à celui-ci. Pour autant, il est constant qu'aux date et heure du contrôle diligenté dans les conditions rappelées au point 1 du présent arrêt, M. B... était d'ores et déjà dans un lien de subordination avec la société appelante et que ce n'est qu'à 11h.08, le même jour, que la société Artech a saisi la préfecture du Val-de-Marne afin qu'elle vérifie l'existence du titre de séjour de M. B.... Il s'ensuit que lorsque le caractère irrégulier de l'embauche de M. B... a été constaté, l'employeur n'avait pas satisfait à l'obligation qui lui incombe en vertu des articles R. 5221-41 et R.5221-42 du code du travail. En tout état de cause, la société Artech ne saurait se prévaloir d'une attestation de dépôt par M. B... d'une demande d'admission au séjour formulée en 2013, qui ne constituait pas un titre de séjour et ne l'autorisait pas à travailler.
8. En dernier lieu, les dispositions de l'article L. 626-1 précitées ne subordonnent pas la mise à la charge de l'employeur de la contribution représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine qu'elles prévoient, et qui présente le caractère d'une sanction, à la justification par l'administration du caractère effectif de ce réacheminement. Par suite, le moyen tiré de ce que M. B..., bénéficiaire d'un titre de séjour délivré postérieurement au contrôle, ne peut être réacheminé dans son pays d'origine, doit être écarté.
En ce qui concerne la décision du 4 mai 2016 :
9. La société Artech soutient que la décision du 4 mai 2016 rejetant son recours gracieux a été prise par une autorité incompétente. Toutefois, les moyens critiquant les vices propres dont serait entachée une décision rejetant un recours gracieux ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions d'une requête également dirigée contre la décision initiale prise par l'administration. En tout état de cause et pour le surplus, il ressort des pièces du dossier que, sur le fondement de l'article R. 5223-21 du code du travail le directeur général de l'OFII, par une décision du 1er janvier 2016, publiée au bulletin officiel du ministère de l'intérieur le
15 février 2016, a donné délégation à Madame E... D..., directrice générale adjointe, à l'effet de signer au nom du directeur général, tous les actes et décisions dans le cadre des textes en vigueur. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 4 mai 2016 ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Artech est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que soient annulées les décisions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration des 22 février 2016 et 4 mai 2016 en tant qu'elles concernent l'embauche de M. G..., alias C.... Le surplus des conclusions de la requête, en tant qu'elles portent sur l'embauche de M. B..., doit en revanche être rejeté. Par suite, la société requérante est fondée à solliciter une décharge partielle correspondant à l'obligation de payer l'ensemble des contributions spéciale et forfaitaire dues au titre de l'emploi de M. G... alias C....
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Artech la somme que réclame l'OFII au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de la société Artech présentées sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration des 22 février 2016 et 4 mai 2016 sont annulées en tant qu'elles mettent à la charge de la SARL Artech des contributions spéciale et forfaitaire au titre de l'emploi de M. G... alias C.... La société Artech est déchargée du montant de ces contributions.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 4 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Artech est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de l'OFII présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Artech et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme A..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
Le rapporteur,
M-H... A... Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 18PA02198