Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 septembre 2018, la société Securitas France, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2016 et la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique par le ministre chargé du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé dès lors qu'il ne précise pas que la procédure de licenciement a été respectée ;
- le jugement omet de se prononcer sur le moyen soulevé par M. B... tiré de ce que les instances représentatives du personnel devaient être consultées sur son affectation en application de l'article L. 8241-2 du code du travail ;
- le refus de M. B... d'accepter sa nouvelle affectation sur le site du conseil départemental de Loire-Atlantique, à Nantes, qui constituait un simple changement de ses conditions de travail, constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;
- des informations suffisantes sur son nouveau poste ont été communiquées à l'intéressé.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2018, M. B..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Securitas France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le changement d'affectation qui lui a été proposé par son employeur doit être regardé comme une modification de son contrat de travail qu'il pouvait refuser ;
- le refus d'accepter le poste proposé, compte tenu des imprécisions sur son contenu, ne présentait pas le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les observations de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la société Securitas France.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté le 30 juillet 2017 par la société Securitas Distribution, aux droits de laquelle est venue la société Securitas France, d'abord en qualité d'agent de sécurité, puis en qualité d'agent de sécurité incendie à compter du 1er octobre 2012. Il a été élu, le
19 octobre 2011, délégué du personnel suppléant et bénéficiait de la protection afférant à cette qualité jusqu'au 19 octobre 2016. Par un courrier du 11 décembre 2015, la société requérante a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier. Par une décision du 16 février 2016, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Le ministre chargé du travail a ensuite implicitement rejeté le recours hiérarchique formée par l'employeur. La société Securitas France relève appel du jugement du 20 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes de la décision contestée que, pour rejeter la demande d'autorisation de licencier M. B..., l'inspecteur du travail s'est uniquement fondé sur la circonstance que le refus par ce dernier de sa nouvelle affectation ne pouvait être regardé comme une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Si la société a fait valoir devant les premiers juges que la procédure de licenciement avait été respectée et que l'article L. 8241-2 du code du travail n'était pas applicable en l'espèce, ces circonstances étaient sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Le moyen tiré de l'omission à statuer et de l'insuffisance de motivation doit donc être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement en raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.
4. Par un courrier du 13 mars 2015, la société Securitas France a proposé à M. B..., titulaire d'un contrat de travail d'agent de sécurité incendie et d'assistance à personnes, une affectation sur le site du conseil départemental de Loire-Atlantique, à Nantes, correspondant aux préférences géographiques exprimées par l'intéressé. Toutefois, cette proposition ne précisait que le lieu de travail et mentionnait un poste " au sein de l'activité de surveillance ". En dépit des nombreux courriers de M. B... sollicitant explicitement des précisions relatives à ses horaires et à la nature des missions, la société Securitas France s'est abstenue de lui fournir ces renseignements, se bornant, dans son courrier du 14 avril 2015, à répondre que le poste proposé " [était] en conformité avec [le] contrat de travail et répondait à [sa] qualification professionnelle ". Dans son courrier du 10 juillet 2015, elle a seulement mentionné des plages horaires générales et n'a pas fourni les informations précises et personnalisées demandées par M. B.... Elle n'a donc pas mis en mesure l'intéressé de s'assurer en temps utile que le poste proposé correspondait à son contrat de travail, et notamment que les missions qui lui seraient confiées seraient exclusivement celles d'un agent de sécurité incendie. Dans ces conditions, compte tenu de l'incertitude dans laquelle l'intéressé a été placé par l'employeur sur le contenu exact de sa mission au conseil départemental de Loire-Atlantique, le refus de M. B... d'accepter les nouvelles conditions de travail qui lui étaient proposées ne constituait pas une faute d'une gravité suffisante pour que l'inspecteur du travail accorde l'autorisation de licenciement. Enfin, si le refus de M. B... a eu pour conséquence de maintenir ce dernier dans une situation d'inactivité, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision contestée.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Securitas France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Securitas France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Securitas France le versement de la somme que M. B... demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Securitas France SARL est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Securitas France, à M. A... B..., et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
Le rapporteur,
G. C... Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 18PA02952