Par un jugement n° 1302941 du 2 juillet 2015, le Tribunal administratif de Melun a condamné La Poste à verser à Mme C...la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, et rejeté le surplus des conclusions de sa requête, ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 25 août,
16 novembre 2015, 25 avril 2018 et 17 mai 2018, MmeC..., représentée par MeF..., demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1302941 du 2 juillet 2015 en raison de l'incompétence du Tribunal administratif de Melun pour connaitre de sa requête ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas reconnu l'existence du harcèlement dont elle a été victime de la part de sa hiérarchie en vue de la convaincre de prendre sa retraite par anticipation, qu'il a limité à 5 000 euros le montant de l'indemnisation de son préjudice moral et qu'il a refusé de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de condamner La Poste à lui verser une somme de 220 000 euros en réparation des préjudices de toute nature subis du fait des agissements fautifs de La Poste ;
4°) de mettre à la charge de La Poste le versement d'une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, le Tribunal administratif de Melun étant incompétent pour connaitre de sa requête en application des dispositions de l'article R. 312-12 du code de justice administrative ;
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaitre l'existence d'une discrimination et d'un harcèlement de sa hiérarchie ;
- les premiers juges ont commis une erreur en estimant que les dispositions du code du travail ne lui étaient pas applicables ;
- La Poste lui a infligé une sanction déguisée en refusant de la réaffecter sur son poste alors qu'elle avait été déclarée apte à reprendre le travail et que son poste n'avait pas été supprimé pendant son absence ;
- La Poste lui a interdit de reprendre son poste en raison de son âge et de son état de santé, ce qui constitue une discrimination ;
- les agissements de La Poste caractérisent un harcèlement moral à son égard ;
- La Poste lui a illégalement refusé la formation qu'elle sollicitait ;
- la réorientation professionnelle qui lui a été proposée témoigne de l'échec de La Poste à la faire renoncer à ses prétentions ;
- La Poste a méconnu son obligation de sécurité ;
- toutes les attestations qu'elle produit témoignent de l'impact du comportement de La Poste sur son état de santé ;
- le comportement de La Poste est constitutif d'une faute lourde et inexcusable ;
- l'ensemble des préjudices subis peut être évalué à la somme de 220 000 euros.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 16 mai 2018, La Poste, représentée par MeE..., conclut à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il a retenu sa responsabilité, au rejet des demandes de MmeC..., et à ce que soit mise à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de Mme C...est irrecevable en l'absence de demande préalable et en raison de son enregistrement au-delà d'un délai raisonnable d'un an ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'article 26 de la charte sociale européenne ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ;
- le décret n° 2010-191 du 26 février 2010 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de MmeB...,
- les observations de MeD... pour MmeC...,
- et les observations de Me G...pour La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., fonctionnaire titulaire au sein de La Poste depuis le 21 septembre 1970, recrutée initialement en tant qu'agent d'exploitation, a été promue au grade de directeur régional à la fin de sa carrière, et été nommée responsable de la communication au sein de la direction de la production du courrier basée à Champs-sur-Marne. Elle a bénéficié, du 12 juillet au
14 août 2007, puis du 3 septembre au 8 octobre 2007, de deux arrêts de travail pour maladie ordinaire, qui ont été suivis d'un " congé d'affaires " du 8 octobre au 26 octobre 2007. Elle n'a ensuite été affectée sur aucun poste jusqu'au 23 octobre 2008. A la suite d'une agression survenue le 23 octobre 2008, alors qu'elle se rendait à son nouveau poste situé à Bobigny, Mme C...a été placée en congé de maladie et n'a jamais repris ses fonctions jusqu'à son départ en retraite le 1er juin 2014. Elle a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner La Poste à lui verser une somme de 322 500 euros en réparation des préjudices dont elle affirme avoir été victime. Elle relève appel du jugement du 2 juillet 2015 par lequel ce tribunal a condamné La Poste à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 351-6 du code de justice administrative : " Lorsque le président de la cour administrative d'appel ou du tribunal administratif, auquel un dossier a été transmis en application du premier alinéa de l'article R. 351-3, estime que cette juridiction n'est pas compétente, il transmet le dossier, dans le délai de trois mois suivant la réception de celui-ci, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente ". Aux termes de l'article R. 351-9 du même code : " Lorsqu'une juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application du premier alinéa de l'article R. 351-3 n'a pas eu recours aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 351-6 ou lorsqu'elle a été déclarée compétente par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sa compétence ne peut plus être remise en cause ni par elle-même, ni par les parties, ni d'office par le juge d'appel ou de cassation, sauf à soulever l'incompétence de la juridiction administrative ".
3. Le président de la 5ème section du Tribunal administratif de Paris a, par une ordonnance du 11 avril 2013, transmis la demande de Mme C...au Tribunal administratif de Melun en application des dispositions énoncées par l'article R. 351-3 du code de justice administrative. Le Tribunal administratif de Melun n'ayant pas mis en oeuvre la procédure prévue par le deuxième alinéa de l'article R. 351-6 précité du code de justice administrative, l'article R. 351-9 du même code fait obstacle à ce que Mme C...conteste en appel la compétence territoriale du Tribunal administratif de Melun.
Sur la responsabilité de La Poste :
En ce qui concerne les fautes alléguées :
S'agissant du harcèlement moral allégué :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, applicable notamment aux fonctionnaires de la Poste : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".
Mme C...ne peut en revanche invoquer utilement le bénéfice de l'article 26 de la charte sociale européenne, qui est dépourvue d'effet direct.
5. Il ressort de ces dispositions législatives, commentées par la circulaire du
4 mars 2014, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. En l'espèce, le surmenage professionnel dont a été victime Mme C...en 2007 n'est pas révélateur par lui-même d'une situation de harcèlement moral. De même, le fait de ne s'être vu proposer aucune nouvelle affectation, pendant une période dont la durée avoisine un an, ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement. Si l'intéressée affirme avoir été l'objet de propos humiliants et vexatoires tenus à son encontre, par lesquels on lui aurait signifié qu'elle n'avait plus sa place au sein de La Poste et que plus personne ne souhaitait travailler avec elle, aucun des éléments de l'instruction ne permet de confirmer de telles affirmations. Si Mme C...soutient également que ses supérieurs hiérarchiques l'ont harcelée afin de la couper de tous ses contacts et d'utiliser son état de faiblesse pour lui faire signer un départ à la retraite sans son consentement, la seule production d'un formulaire de demande de mise à la retraite vierge et de courriers électroniques rédigés par la requérante, ne permet pas d'établir que La Poste l'aurait incitée à demander sa mise à la retraite anticipée. Enfin, son affectation à Bobigny en octobre 2008, qui est moins éloignée de Paris que Champs-sur-Marne, lieu de sa précédente affectation, n'est pas contraire aux préconisations du médecin de prévention, ni aux aspirations de changement qu'elle avait elle-même exprimées au retour de son premier congé de maladie. Il résulte de tout ce qui précède que la situation de harcèlement alléguée n'est pas établie.
S'agissant de la discrimination alléguée :
7. Si Mme C...soutient avoir subi des discriminations liées à son âge et à son état de santé, aucun élément ne permet de l'établir. La circonstance qu'elle n'a pas reçu d'affectation pendant un an n'est pas de nature, à elle seule, à établir qu'elle a subi une discrimination en raison de son âge. En outre, si elle fait valoir qu'une formation lui a été refusée en raison de son âge, l'existence d'une telle demande de formation et du refus qui lui aurait été opposé ne ressort pas du dossier. Enfin, si Mme C...affirme que le médecin de prévention qui l'a reçue l'aurait poussée, en accord avec sa hiérarchie, à demander un départ anticipé à la retraite, la seule production d'un formulaire vierge supposé en attester ne constitue pas un élément de preuve convaincant sur ce point.
S'agissant de l'existence d'une sanction déguisée :
8. Une décision administrative constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner un agent et que la décision a porté atteinte à sa situation statutaire ou à ses prérogatives. En l'espèce, il n'est pas établi que la Poste aurait volontairement privé Mme C...d'affectation entre le 26 octobre 2007 et le 23 octobre 2008 dans le but de la sanctionner, cette dernière ayant elle même exprimé le souhait de changer d'affectation, ni porté atteinte au cours de cette période à sa situation professionnelle, sa rémunération n'ayant pas été réduite.
S'agissant de la méconnaissance par La Poste de ses obligations de sécurité :
9. Mme C...ne saurait se prévaloir des dispositions du code du travail qui ne sont pas applicables aux fonctionnaires de La Poste. Si l'article 24 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, impose aux médecins de prévention d'exercer une surveillance médicale particulière à l'égard des agents réintégrés après un congé de longue maladie ou de longue durée, telle n'était pas la situation de l'intéressée lorsqu'elle a repris le service à l'automne 2007. Elle ne conteste pas en tout état de cause avoir rencontré le médecin de prévention à son retour de congés de maladie. Mme C...ne peut en outre reprocher à La Poste d'être responsable de l'agression à main armée dont elle a été victime le jour même où elle se rendait sur sa nouvelle affectation professionnelle à Bobigny et d'avoir ainsi méconnu ses obligations de sécurité à son égard en la mettant sciemment en danger en l'affectant sur ce poste. Enfin, il n'est pas établi que La Poste aurait méconnu ses obligations de sécurité en dégradant sciemment sa situation de santé de façon à la pousser au départ contre sa volonté.
S'agissant de la faute invoquée liée à un défaut d'affectation pendant plus d'un an :
10. Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un fonctionnaire qui a été irrégulièrement maintenu sans affectation a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de son maintien illégal sans affectation. Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de la personne publique, il est tenu compte des démarches qu'il appartient à l'intéressé d'entreprendre auprès de son administration, eu égard tant à son niveau dans la hiérarchie administrative, que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction.
11. Il n'est pas contesté qu'à son retour de " congé d'affaires ", Mme C...n'a été affectée sur aucun poste du 26 octobre 2007 au 23 octobre 2008, ce malgré plusieurs sollicitations de sa part. Nonobstant le niveau élevé du poste auquel elle pouvait prétendre, et les souhaits qu'elle avait exprimés quant à la poursuite de sa carrière, La Poste, en s'abstenant de donner une affectation à Mme C...pendant une durée proche d'un an, a dépassé le délai raisonnable qui lui était imparti pour proposer une affectation à cet agent, et a donc commis sur ce point une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
12. Mme C...sollicite une indemnité forfaitaire de 220 000 en réparation de toutes les fautes alléguées commises par La Poste. Elle est fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice moral qui résulte de l'unique faute commise par La Poste de l'avoir privée d'affectation durant un an, chiffré à bon droit par les premiers juges à la somme de 5 000 euros. En revanche, si l'agression dont elle a été victime le 23 octobre 2008 l'a privée de toute évolution de carrière en raison de son placement en arrêt de travail à cette date, jusqu'à son départ en retraite, cette situation ne résulte d'aucune faute imputable à La Poste. Et l'intéressée n'a jamais été privée de sa rémunération et a continué à bénéficier de l'avancement à l'ancienneté.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de
non-recevoir opposée par La Poste, que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun n'a fait que partiellement fait droit à sa demande en condamnant La Poste à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et en rejetant le surplus de ses conclusions.
Sur les frais de justice :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme C...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et à la société La Poste.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juin 2018.
Le président rapporteur,
B. EVENLe président assesseur,
P. HAMON
Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA03446