Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 janvier 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1704270 du 8 décembre 2017 ;
2°) et de rejeter les conclusions présentées par M. A. devant le Tribunal administratif de Melun tendant à l'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence du 7 mars 2017.
Il soutient que :
- il produit l'original de l'arrêté d'assignation à résidence contesté, par un mémoire séparé, afin qu'il ne soit pas versé au débat contradictoire conformément aux dispositions des articles L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et L. 773-9 du code de justice administrative.
- le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque en fait.
Une mise en demeure de produire une défense a été adressée à M. A. le 7 mars 2018, à la suite de laquelle aucun mémoire n'a été produit.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385
du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B., président- rapporteur,
- et les conclusions de Mme C., rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 8 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 7 mars 2017 portant assignation à résidence de M. A. sur le territoire de la commune de Chelles, et obligation, notamment, de se présenter au commissariat de police de Villeparisis, trois fois par jour.
2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dans sa rédaction applicable issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, entrée en vigueur
le 2 mars 2017 : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration. ". Aux termes de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable issue de cette même loi : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. / Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision. "
3. L'arrêté attaqué ayant été pris dans le cadre de l'état d'urgence pour des motifs liés à la prévention des actes de terrorisme, cette décision est au nombre de celles qui, en application des dispositions précitées ne peuvent faire l'objet d'une notification que sous la forme d'une ampliation anonyme.
4. Il ressort des pièces du dossier d'appel que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a, en annexe à son mémoire complémentaire enregistré par le greffe de la Cour le 25 janvier 2018, non soumis au contradictoire conformément aux dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, produit l'original de l'arrêté attaqué dont il ressort qu'il revêt l'ensemble des mentions requises par l'article L. 212-1 alinéa 1er du code des relations entre le public et l'administration, ainsi que la signature de son auteur, dont il n'est pas allégué qu'il ne disposait pas d'une délégation régulière attribuée par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen soulevé par M. A. tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté attaqué pour incompétence.
6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A. devant le Tribunal administratif de Melun.
7. En application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret
n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain, puis prorogé à plusieurs reprises, en dernier lieu jusqu'au 1er novembre 2017 par la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017. Aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction applicable issue de la loi du 19 décembre 2016 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) ".
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier d'appel que l'original de l'arrêté attaqué revêt l'ensemble des mentions requises par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration précité. Par suite, le moyen soulevé par M. A. tiré de la méconnaissance de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 codifié à l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.
9. En deuxième lieu, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre l'arrêté portant assignation à résidence contesté, sur des éléments figurant dans des " notes blanches " des services de renseignement, versées au débat contradictoire. Il ressort des éléments précis et circonstanciés recueillis par l'administration figurant dans ces notes, non sérieusement contestés par l'intéressé, qu'à la suite d'un voyage à destination de la Thaïlande via le Sultanat d'Oman, le 25 septembre 2015, il a publié sur son compte Facebook une photographie représentant une capture d'écran prise au niveau d'un comptoir de l'aéroport de Roissy - Charles de Gaulle sur laquelle apparaît la fiche S le concernant. Sur un autre cliché, il est armé d'un fusil d'assaut, le doigt levé en signe d'allégeance au jihadisme, avec le commentaire suivant " je baise votre fiche à 2 sous ". Il ressort des pièces du dossier qu'il a été condamné à une peine de 4 mois de prison ferme, avec mandat de dépôt, pour : " Transmission frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en oeuvre par l'Etat " et " Acquisition illicite et importation de substance, plante, préparation ou médicament inscrit sur les listes I et II ou classée comme psychotrope ". Il a vu cette peine d'emprisonnement rallongée par révocation d'un sursis prononcée par le TGI de Melun en mai 2015 pour des faits de menaces de mort réitérées. Pendant son incarcération, il s'est fait remarquer pour sa radicalisation. Il a sollicité son placement en cellule avec un individu radicalisé et s'est rapproché en prison de trois autres individus connus pour leur radicalisme. Il se proclamait " terroriste " selon un signalement interne à l'administration pénitentiaire. Il a exprimé à plusieurs reprises sa volonté, une fois libéré, de se rendre en zone de combat " jihadiste " afin d'y mourir. Il justifiait ses dires en expliquant vouloir qu'on se souvienne de lui " comme d'un combattant, un vrai qui va jusqu'au bout ", prenant en exemple les terroristes morts lors de l'assaut de Saint-Denis en novembre 2015. Il apprenait l'arabe en prison et disait vouloir se rendre au Yémen afin d'y étudier la religion musulmane. Il a également fait état de sa volonté de reprendre, dès sa sortie de prison, le trafic de stupéfiants à Chelles, avec un objectif double : accumuler rapidement de l'argent destiné à financer son voyage en Syrie, et pouvoir acheter des armes destinées aux jihadistes de retour de Syrie.
10. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. A. a pu être regardé comme représentant une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, qui justifie qu'il fasse l'objet d'une surveillance renforcée impliquant que soit prise à son endroit une mesure préventive de police administrative sous la forme d'une assignation à résidence. Cette mesure n'est pas entachée d'une erreur de droit, d'une inexactitude matérielle des faits, ni d'une erreur d'appréciation.
11. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A. a fait l'objet d'une procédure judiciaire pour des menaces proférées à l'encontre des policiers du commissariat de Chelles. Dans un souci d'apaisement, et afin d'éviter toute nouvelle provocation du requérant à l'égard des forces de l'ordre, il a été décidé de dépayser le lieu du pointage de l'intéressé à Villeparisis. L'intéressé ne fait état d'aucune circonstance particulière de nature à faire regarder cette obligation de pointage comme manifestement disproportionnée. L'arrêté contesté qui est adapté au but en vue duquel il est intervenu et est proportionné, dans ses modalités, à la situation personnelle de l'intéressé, n'est donc pas entaché d'une erreur d'appréciation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est fondé à obtenir le rejet de la demande présentée par M. A. tendant à l'annulation de l'arrêté contesté du 7 mars 2017.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 17004270 du 8 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande d'annulation présentée par M. A. devant le Tribunal administratif de Melun à l'encontre de l'arrêté portant assignation à résidence dont il a été l'objet le 7 mars 2017 est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. A.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. B., président de chambre,
- Mme D., président assesseur,
- Mme E., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juin 2018.
Le président rapporteur,
B. Le président assesseur,
D.
Le greffier,
F.La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18PA00279