Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 février 2020 et le 20 juillet 2021, La Poste, représentée par la SELARL HMS avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1711921/5-1 du 12 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. A... ;
3°) de rejeter les conclusions d'appel incident de M. A... ;
4°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la Cour administrative d'appel de Paris est compétente pour connaître du présent litige ;
- l'appel incident formé par M. A... est irrecevable ;
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas démontré que la minute comporte les signatures exigées par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le préjudice de retraite de M. A... ne présente qu'un caractère éventuel ; la réparation d'une perte de chance ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;
- en tout état de cause, le préjudice doit être affecté d'un coefficient relatif à l'ampleur de la chance perdue ;
- ce préjudice devrait être indemnisé par l'octroi d'une rente et non d'une indemnité forfaitaire et en tenant compte des prélèvements sociaux effectués sur toute pension de retraite ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence dont M. A... demande réparation en raison d'une faute commise du fait de l'absence d'avancement ont été indemnisés par le jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 octobre 2013, confirmé par la Cour administrative d'appel de Paris du 5 mars 2015 ; en outre, le manque à gagner sur sa pension de retraite postérieurement au 1er juillet 2015 n'est pas la conséquence directe d'une faute commise par la Poste.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2020 et le 26 août 2021, M.
Jean-Louis A..., représenté par Me Lerat, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de La Poste ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'infirmer le jugement n°1711921/5-1 du
12 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis du fait de la minoration de sa pension de retraite, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de ses demandes préalables des 13 et 14 avril 2017 ;
4°) de mettre solidairement à la charge de La Poste et de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés ;
- au titre de l'appel incident, il a subi à compter du 1er juillet 2015, du fait de la minoration de sa pension de retraite, un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont le montant s'élève à 10 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de l'appel incident de M. A....
Il soutient que :
- s'agissant du préjudice financier de retraite, l'Etat s'est acquitté de son obligation résultant de la condamnation prononcée par le Tribunal administratif par le jugement du
12 décembre 2019 ;
- M. A... n'établit pas de manière certaine l'existence d'un préjudice moral distinct de celui pour lequel il a obtenu réparation par l'arrêt de la Cour administrative d'appel du
5 mars 2015.
Un mémoire a été enregistré le 23 août 2021 pour M. A....
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.
Une réponse au moyen d'ordre public a été enregistrée le 25 août 2021 pour La Poste.
Une réponse au moyen d'ordre public a été enregistrée le 26 août 2021 pour M. A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983,
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;
- le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 ;
- le décret n° 72-500 du 23 juin 1972 ;
- le décret n° 90-1224 du 31 décembre 1990 ;
- le décret n° 90-1235 du 31 décembre 1990 ;
- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me Tastard, représentant La Poste,
- et les observations de Me Lerat, en présence de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., fonctionnaire de La Poste depuis 1973 et titulaire du grade d'agent d'exploitation du service " distribution et acheminement ", a refusé d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " et a opté en faveur de la conservation de son grade dans son corps, dit de " reclassement " lors de l'application de la réforme issue des décrets n° 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993 pris en application de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et France Télécom. Par des courriers en date du 4 mai 2011 adressés à La Poste ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il a sollicité le versement d'une indemnité de 187 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait du blocage de sa carrière depuis 1993 en raison de l'absence d'organisation de concours interne et d'établissement tant de tableaux d'avancement que de listes d'aptitude dans les grades et corps de reclassement. Ces demandes ayant été implicitement rejetées, M. A... a alors saisi le Tribunal administratif de Paris qui, par jugement du
17 octobre 2013, a condamné cette dernière, solidairement avec l'Etat, à lui verser une somme de 13 000 euros en réparation des préjudices causés par le blocage de sa carrière. Par un arrêt du 5 mars 2015, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par La Poste et le ministre des finances et des comptes publics ainsi que l'appel incident formé par M. A... tendant à l'indemnisation de son préjudice de pension de retraite au motif que ce préjudice ne pouvait pas être regardé comme suffisamment certain. Admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er juillet 2015, M. A... a alors, par des courriers du 12 avril 2017 adressés à La Poste et au ministre de l'économie et des finances, sollicité le versement d'une indemnité de 73 988,02 euros en réparation du préjudice de retraite, des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral qu'il estimait avoir subis du fait de la minoration de sa pension de retraite. Par un jugement du 12 décembre 2019, dont La Poste relève appel, le Tribunal administratif de Paris a condamné La Poste et l'Etat au versement d'une indemnité réparatrice du préjudice financier résultant de la minoration de la pension de retraite de M. A... et renvoyé ce dernier devant La Poste et le ministre de l'action et des comptes publics pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette indemnité.
Sur la compétence de la Cour administrative d'appel de Paris :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 7° Sur les litiges en matière de pensions de retraite des agents publics (...) ".
3. Si les litiges relatifs aux droits à pension de retraite des agents publics relèvent de la compétence en premier et dernier ressort des tribunaux administratifs en application des dispositions précitées du 7° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, l'action indemnitaire engagée par M. A... en raison du blocage de sa promotion dans le corps de conducteur de travaux de la distribution et d'acheminement ne fait pas partie des litiges entrant dans le champ d'application de ces dispositions. Par suite, la Cour est compétente pour statuer sur la requête de La Poste.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Il ressort de la minute du jugement, communiquée aux parties, que cette décision a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Elle comporte ainsi l'ensemble des signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative.
Sur les préjudices subis par M. A... :
5. Par un arrêt n°13PA04755 du 5 mars 2015 devenu définitif, la Cour administrative d'appel a jugé que La Poste et l'Etat avaient commis des fautes de nature à engager solidairement leur responsabilité en méconnaissant le droit à la promotion interne des fonctionnaires " reclassés " et que ces fautes ont privé M. A... d'une chance sérieuse d'accéder en 2005 au corps de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement, corps dans lequel il a été promu en 2010. La Poste ne conteste d'ailleurs ni sa responsabilité ni l'existence d'une chance sérieuse de promotion pour M. A.... Dans ces conditions, le préjudice de retraite, qui découle directement des fautes relevées, présente un caractère certain et ouvre droit à une réparation intégrale du préjudice et non, ainsi que le soutient La Poste, à l'indemnisation d'une fraction de ce préjudice.
6. Il y a donc lieu, ainsi que l'ont fait les premiers juges, de la condamner à verser une indemnité correspondant à la différence entre les sommes effectivement perçues par l'intéressé et celles qu'il aurait dû percevoir si sa pension de retraite avait été calculée sur la base d'un indice majoré 464, et compte tenu de l'espérance de vie de l'intéressé telle qu'estimée par l'INSEE, soit 24,4 ans au 1er juillet 2015, date du départ à la retraite de M. A.... Le calcul de cette indemnité n'étant pas réalisé de manière forfaitaire mais, comme il vient d'être dit, en tenant compte notamment des indices de rémunération détenus ou susceptibles d'être détenus par l'intéressé, le moyen tiré de ce que le versement de cette indemnité s'opère sous forme de capital et non de rente n'est pas de nature à procurer un avantage à M. A.... Le calcul de l'indemnité comprend par ailleurs nécessairement l'application des prélèvements sociaux.
7. Si M. A... demande l'indemnisation de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, il n'apporte aucun élément de nature à établir que ces préjudices seraient distincts de ceux dont il a obtenu réparation par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris en date du 5 mars 2015 en invoquant notamment l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé, en raison d'une pension de retraite inférieure à celle à laquelle il avait droit, de s'offrir certains loisirs ou une meilleure alimentation. Par ailleurs, sa demande, au demeurant nouvelle en appel et soulevant un litige distinct de l'appel principal, tendant à ce que La Poste soit condamnée à l'indemniser des frais qu'il a été contraint d'exposer à raison de l'appel qu'elle a introduit ne peut, en tout état de cause, qu'être rejetée dès lors notamment que ces frais seront pris en compte pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
8. Il résulte de tout ce qui précède d'une part que La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée solidairement avec l'Etat à verser à M. A... une indemnité réparatrice du préjudice de retraite de ce dernier et d'autre part que les conclusions de l'appel incident de M. A... doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par La Poste.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que La Poste demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste la somme de 1 500 euros, à verser à M. A..., sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de La Poste est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : La Poste versera à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à La Poste, à M. A... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.
La présidente-rapporteure,
M. HEERS
La présidente-assesseure,
C. BRIANCONLa greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00525